La rançon de la gloire
Par
Jean-François Vandeuren
Par expérience, nous pouvons constater que les histoires d’enlèvement au cinéma donnent lieu, la plupart du temps, à un nombre de scénarios tout de même assez limité. Il y a d’abord les cas où les proches du sujet tenu en captivité bien malgré lui feront tout ce qui est en leur pouvoir - avec l’aide d’autorités plus ou moins compétentes - pour contrecarrer les plans des malfrats et ainsi permettre à l’être aimé de retrouver sa liberté. Il y a ensuite ces véritables leçons de courage et d’intelligence où la victime parviendra à échapper à ses ravisseurs par ses propres moyens. Certains personnages appartenant à cette illustre catégorie pourront alors compter sur des moyens physiques ou techniques peu ordinaires pour arriver à leurs fins. On pense, entre autres, à Tony Stark qui, dans Iron Man, réussissait à fabriquer une armure mécanique de plusieurs tonnes pour sortir sa carcasse des grottes afghanes. L’une des premières choses que nous apprenons d’ailleurs au terme de ce Rapt du cinéaste d’origine belge Lucas Belvaux, c’est qu’Yvan Attal n’est pas Robert Downey Jr. Il est également clair que le présent exercice (fort de quatre nominations au dernier gala des Césars, dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur) ne cherche aucunement à se conformer aux règles du suspense autour desquelles tournent habituellement ce genre de prémisses. Le réalisateur tentera plutôt de couvrir la crise en cours de tous les points de vue possibles en allant au-delà de l’événement pour en illustrer les conséquences humaines et sociales. Le tout servi sur un fond de scandale médiatique qui apportera à l'intrigue une dimension qui aurait dû lui permettre - en théorie - de se démarquer de ses contemporains. Mais l’approche on ne peut plus terre-à-terre du cinéaste donnera plutôt lieu à un effort pour lequel il sera assez difficile de développer ne serait-ce qu’un tant soit peu d’intérêt.
Avant que l’impensable ne se produise, nous aurons la chance d’accompagner Stanislas Graff (Attal) dans son quotidien au cours d’une journée tout ce qu’il y a de plus banale. Le portrait qui ressortira de ce président d’une importante société française sera celui d’un homme respecté en haut lieu, d’un père de famille aimant et aimé, mais qui n’est toutefois pas sans vices. Nous surprendrons ainsi ce dernier en compagnie de l’une de ses maitresses avant de le suivre jusqu’à une partie de poker qui le rendra moins riche de 50 000 euros. Jusqu’ici, il n’y a pas de quoi à s’inquiéter, puisque notre homme semble en parfait contrôle de son univers. Ce sera du moins le cas jusqu’au jour où Stanislas se fera enlever par une bande d’individus qui exigeront pour sa libération la coquette somme de cinquante millions d’euros. Le problème, c’est que la fortune personnelle de notre président n’est pas aussi importante que le monde entier semble le croire. Et cette histoire, qui aurait dû normalement se régler en quelques jours, s’étalera finalement sur plusieurs semaines. Belvaux jouera d’abord de finesse en cherchant à illustrer toute la complexité entourant la disparition d’un tel personnage public alors qu’il ne sera bientôt plus question ici que de simplement sauver la vie d’un homme. La condition physique et psychologique de Stanislas deviendra d’ailleurs rapidement secondaire, expliquant que les ravisseurs, surtout durant la deuxième partie du film, soient de moins en moins présentés comme des tortionnaires, eux qui finiront même par traiter leur monnaie d’échange avec plus de compassion que ses proches. Car en exigeant un tel montant d’argent, les criminels déclencheront un processus au cours duquel le procès de la victime sera fait sur la place public. Ses péchés étant désormais connus à travers l’hexagone, Stanislas ne sera plus tant considéré comme un martyr plus qu’une réelle source d’embarras.
Si le présent exercice semble vouloir proposer une prémisse des plus prometteuses, la signature esthétique de Lucas Belvaux vient malheureusement ralentir de tels élans scénaristiques en ne réussissant jamais à impliquer entièrement le spectateur, et ce, autant d’un point de vue cérébral que purement émotionnel. Ce dernier s’en remettra d’ailleurs à une série de raccourcis plutôt douteux afin d’alimenter l’état de crise dont son film fait état. Nous pensons surtout à cette étrange couverture médiatique au coeur de laquelle seront publiés plusieurs clichés compromettants de Stanislas, nous amenant à remettre en question le travail des paparazzis français qui ne doivent vraiment plus avoir de gibier à chasser pour suivre à la trace les directeurs généraux de grandes entreprises. Même son de cloche en ce qui a trait au manque de subtilité pour le moins déconcertant des forces de l’ordre, au point de nous faire croire à la théorie du complot tellement elles semblent déterminées à tout mettre en oeuvre pour que notre pauvre victime ne revoit jamais la lumière du jour. Le scénario de Rapt se révèle également beaucoup trop bavard, rendant les longs intermèdes au cours desquels seront discutés les enjeux financiers et humains entourant le drame particulièrement ennuyeux. La piètre qualité de certains dialogues ne sera évidemment d’aucune aide dans une telle situation, eux qui, en plus de manquer diablement de naturel, seront d’autant plus appauvris par la manière des plus inertes et mécaniques dont Belvaux les met en scène. Le tout est en soi tributaire d’un travail on ne peut plus morne sur le plan visuel alors que l’approche très théâtrale du cinéaste belge finit par anéantir tout sentiment d’urgence en plus de freiner l’effort dans toutes ses tentatives d’adopter un certain rythme de croisière, faisant paraître celui-ci encore plus interminable et redondant qu’il ne l’est déjà en plus de rendre les quelques rares séquences de suspense totalement inefficaces.
Le cinéaste réussira tout de même à sauver légèrement la mise grâce à un dernier tiers étonnamment réussi. Stanislas sera alors libéré par ses ravisseurs sous certaines conditions particulièrement lourdes de conséquences. Nous nous retrouverons du coup face à un homme ayant vécu l’enfer, mais qui n’est pourtant pas au bout de ses peines. Loin de là. Belvaux illustrera brillamment ce contexte d’après-crise où son protagoniste sera confronté à cette interrogation à savoir pourquoi toute cette histoire s’étira sur une aussi longue période de temps. Pourquoi ses proches ne se sont-ils pas montrés plus désireux de le voir s’en tirer sain et sauf? Mais Stanislas devra surtout faire face à un monde qui aura évolué durant son absence, lui dont la crédibilité aura été particulièrement écorchée, et ce, autant auprès de sa famille que de ses employés et du monde en général. Il n’y aura plus que son chien chez qui Stanislas pourra aller chercher un peu de réconfort ainsi que le spectateur, qui ne pourra malgré tout qu’éprouver de l’empathie pour ce dernier. Tout le crédit revient évidemment ici à un Yvan Attal qui s’avère plus que convaincant dans le rôle principal, tandis que le reste de la distribution n’a pas toujours la chance de mettre en évidence tout le talent qu’on lui connaît. L’idée d’aborder un concept aussi éprouvé en concentrant davantage d’énergie sur le passage du temps et l’attitude des médias dans ce genre de dossiers aurait pu - et même dû - se révéler des plus fructueuses, surtout lorsque l’effort en question revisite par la même occasion l’histoire bien réelle du baron Édouard-Jean Empain, enlevé en France au début de l’année 1978. Malheureusement, en refusant toutes concessions d’ordre spectaculaire et en repoussant son scénario aux limites de la vraisemblance, Rapt nous laisse finalement avec un récit aux enjeux moraux, certes, intrigants, mais dont l’approfondissement s’avère beaucoup trop lourd et impertinent.
Critique publiée le 28 juin 2010.