Nous pouvions évidemment nous demander où était passé Jean-Pierre Jeunet ces cinq dernières années, lui qui semblait pourtant sur une lancée au début de la dernière décennie, soit avant qu’il ne disparaisse complètement du radar de nombreux cinéphiles. Le réalisateur français, reconnu pour ses films à forte teneur fantaisiste, nous avait laissés sur une note d’autant plus incongrue en s’éloignant de son registre habituel pour porter à l’écran le roman Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot. Un choix de projet qui semblait tout de même logique à l’époque, surtout après le succès fracassant qu’aura connu Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain partout sur la planète. S’agissait-il de l’exception qui confirmerait la règle? Ou le réalisateur de Delicatessen avait-il tourné définitivement le dos au cinéma de genre pour se concentrer sur la mise en scène de productions dramatiques de grande envergure? La réponse nous arrive aujourd’hui sous la forme de ce Micmacs à tire-larigot. Avec ce sixième long-métrage, Jeunet effectue finalement un retour aux sources par la bande en proposant une comédie aux ambitions visiblement plus modestes, mais à la créativité toujours aussi débordante. Les fans du cinéaste se retrouveront immédiatement en terrain connu. Et c’est peut-être pour cette raison que le film laisse plutôt froid au premier coup d’oeil. Car la formule du présent effort en est une ayant déjà fait ses preuves auprès de son public, et une que Jeunet continue d’apprêter avec un plaisir palpable. Si le réalisateur nous aura habitués à des scénarios beaucoup plus étoffés par le passé, ce dernier nous propose cette fois-ci une expérience purement visuelle cherchant à tirer le maximum d’un curieux mélange d’humour absurde et burlesque qui, lui aussi, a manifestement ses limites. Surtout que lorsqu’un cinéaste possède un style aussi facilement reconnaissable que Jean-Pierre Jeunet, les accusations de complaisance et d’autoplagiat ne sont jamais très loin.
Le scénario du présent exercice est en soi fort simple. Nous assisterons d’abord à la mort d’un militaire français dans le désert marocain alors que celui-ci tentera en vain de désamorcer une mine antipersonnel. Une trentaine d’années plus tard, nous retrouverons le fils du défunt soldat, Bazil (Dany Boon), qui, pour sa part, travaille à présent pour le compte d’un petit club vidéo de quartier. Par un soir tout ce qu’il y a de plus ordinaire, ce dernier sera atteint à la tête par une balle perdue tirée au cours d’une poursuite qui aura pris fin juste en face de son commerce. Bazil survivra miraculeusement, mais le déséquilibre cérébral dont il souffre depuis l’incident le mènera tout droit à la rue. C’est alors qu’il fera la connaissance d’une joyeuse bande d’hurluberlus ayant élu domicile dans une maisonnée construite au coeur d’un tas de ferraille. Décidant de prendre part à la petite entreprise de recyclage du groupe, Bazil s’aventurera un beau jour sur la rue où opèrent les deux plus importants fournisseurs d’armes de l’Hexagone, l’une ayant manufacturé la balle qu’il a dans le crâne et l’autre ayant fabriqué la mine qui tua son paternel. Pris d’un soudain désir de vengeance, notre héros mettra sur pied un plan abracadabrant pour pousser les deux sociétés à se livrer une guerre sans merci. Les divisions sur lesquelles repose l’univers de Micmacs à tire-larigot seront dès lors on ne peut plus claires. Nous aurons ainsi droit à un affrontement entre une « famille » des plus hétéroclites, mais non moins unie, et deux vilains businessmen ne laissant paraître aucune trace d’humanité. Une révolte de clochards contre de gros bonnets nous donnant l’impression de nous retrouver devant une version plus luxuriante et moins ouvertement « trash » du Enfermés dehors d’Albert Dupontel - dont Jeunet aura récupéré l’acteur Nicolas Marié pour lui confier un tout nouveau rôle d’homme d’affaires véreux.
Micmacs à tire-larigot ne se gêne pas non plus pour mettre en pratique certaines leçons apprises du trépidant Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh. Chaque personnage de ce petit groupe de héros aussi improbables qu’efficaces fera ainsi part d’un talent bien particulier, de l’homme-canon à la femme contorsionniste en passant par l’écrivain aux mille proverbes et l’artiste capable de faire tout à partir de rien. Tout comme chez Soderbergh, les personnages de Jeunet arriveront eux aussi à leurs fins de la manière la plus inhabituelle qui soit, et ce, en étant rarement confrontés à l’échec ou à l’adversité. Jeunet substituera évidemment les moyens techniques et financiers exorbitants de la bande à Danny Ocean par diverses machinations d’une étonnante inventivité dont il demeure l’un des rares cinéastes à posséder le secret. Un contexte dont se servira également le réalisateur français pour réitérer son amour pour le cinéma muet. Il s’agit d’ailleurs de l’opus dans lequel cette passion aura été mise le plus en évidence depuis le remarquable Delicatessen de 1991. Évidemment, l’essence de Micmacs à tire-larigot découle davantage de la comédie burlesque que de l’expressionnisme allemand, enchaînant une avalanche de situations comiques qui n’auraient pu se matérialiser ailleurs que dans l'imaginaire de Jean-Pierre Jeunet, même si celles-ci ne fonctionnent pas toujours comme nous l’aurions espéré. Il n’y a néanmoins pas grand-chose que nous pouvons reprocher à l’artiste sur le plan technique. Ce dernier réussit bien à rendre de nouveau vraisemblable son univers joyeusement décalé par l’entremise d’une démarche visuelle particulièrement éclatante, renouant avec ses cadres à la composition toujours aussi incongrue et une direction photo perpétuellement dominée par des teintes de jaune et de vert. Le réalisateur se servira à tout aussi bon escient du jeu très physique et expressif de ses différents comédiens tout comme de la trame sonore signée Raphaël Beau, que l’on croirait sortie tout droit d’un film des années 20.
Toutes les facettes de ce Micmacs à tire-larigot nous donnent ainsi l’impression d’avoir affaire à un Jean-Pierre Jeunet étant toujours en pleine possession de ses moyens… ou qui ne déroge pas, à tout le moins, du style haut en couleur ayant fait sa renommée. Si nous pouvions parler autrefois de véritables trouvailles visuelles, chaque nouveau tour du réalisateur paraît désormais sortir d’une machine cinématographique qui, même si encore assez bien huilée, semble avoir de moins en moins de secrets pour son public. Jeunet continue malgré tout de faire preuve d’une grande virtuosité dans la façon dont il construit ses gags et dont il fait évoluer l’ensemble de son récit. Ce dernier signe un film amusant, prenant souvent les traits d’un gigantesque dessin animé, auquel nous serons prêts à pardonner certaines idées plus ou moins pertinentes (l’apparition répétée d’affiches promotionnelles représentant la séquence en cours), en plus de quelques scènes un peu plus laborieuses dans lesquelles l’humour tombe particulièrement à plat. Micmacs à tire-larigot se révèle par conséquent la création la moins percutante du cinéaste français à ce jour. Un détail qui ne semble toutefois pas déranger le principal intéressé outre mesure. Le metteur en scène orchestre du coup ce sympathique conte pour adultes comme s’il n’agissait dans le but que de se faire plaisir. Jeunet aura d’ailleurs profité de l’occasion pour retravailler avec ses collaborateurs de longue date tels le dialoguiste Guillaume Laurant et les acteurs Dominique Pinon, André Dussolier, Yolande Moreau et Urbain Cancelier, pour ne nommer que ceux-ci. Tous sont encore fidèles au poste et prennent visiblement un malin plaisir à répéter (in)consciemment ce que leur maître d’oeuvre leur demande de faire depuis le tout début. Car s’il n’y a rien qui cloche en soi avec ce sixième long-métrage de Jean-Pierre Jeunet, tout porte à croire que le projet fut tout de même entièrement réalisé sur le pilote automatique.
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