Loin des yeux...
Par
Louis Filiatrault
À bien y penser, il est difficile d'imaginer quelqu'un de mieux placé que Lasse Hallström pour réaliser le présent Dear John : depuis Chocolat en 2000, le faiseur d'origine suédoise semble avoir développé une affinité particulière pour les projets au risque faible et au fort potentiel d'affluence féminine. Et la satisfaction de ce dernier critère, c'est bien tout ce que demandait cette cinquième adaptation cinématographique d'un roman de Nicholas Sparks. Mais si les précédents The Notebook et A Walk to Remember ont pu marquer certaines mémoires grâce à leur sentimentalisme bien assumé, ce dernier en date nous confronte à l'exécution dénudée, cynique, d'une formule dont les modestes mérites ne pouvaient que finir par stagner. Film dépourvu de toute imagination, hormis quelques libertés laissant deviner le manque d'expérience de son scénariste, Dear John est un exemple parfait de ce qui se produit lorsque des forces créatrices insuffisantes et une logique marchande complaisante se rencontrent. C'est aussi une enfilade malhabile de poncifs dépassés dont même les plus fervents amateurs du genre devraient reconnaître l'inhérente faiblesse.
Il vaut sans doute mieux de commencer par le début, avec ce qui s'avère être l'une des ouvertures romantiques les plus paresseuses de mémoire récente. Il n'en faut tout simplement pas bien plus qu'un sac à main tombé à l'eau et une intervention hâtive de Channing Tatum pour que s'amorce une idylle aussi improbable qu'assommante de banalité. Aucun flirt, aucune hésitation ; rien d'autre qu'un coup de foudre entre deux individus quelconques dont les différences de classe ne se feront sentir que très allusivement. Fort distinctifs dans leur physionomie, Amanda Seyfried et son partenaire masculin n'en paraissent pas moins profondément incongrus, que ce soit l'un avec l'autre ou tout simplement dans la suite de situations anodines où ils se trouvent placés. De toute évidence obsédés par les bords de mer, les auteurs s'obstinent à entourer leurs personnages d'aussi peu de figurants que possible, tandis que défilent des panoramas fort jolis à l'occasion, mais généralement trop stériles pour susciter le moindre émoi. Les attachantes simagrées des amants de The Notebook, tout comme la palette riche et l'interprétation chaleureuse du film de Nick Cassavetes, manquent cruellement à l'appel, les quelques inspirations fugaces de la réalisation ne cessant de se buter au jeu limité des comédiens ou à la rudesse des dialogues.
Dans un revirement spectaculaire donnant au film son titre, John quitte éventuellement sa belle Savannah pour une guerre aux contours étrangement obscurs, condamné à suivre le trajet si souvent parcouru du martyr sentimental. Mais tandis qu'un film comme Atonement avait su brillamment illustrer l'exil militaire pour accentuer la déchirure de ses protagonistes (et par le fait même d'une nation entière), et que l'admirable Pride & Prejudice du même Joe Wright, malgré sa distance historique, présentait un modèle d'équilibre entre beaux sentiments et peinture sociale, les héros de Dear John semblent vivre en vase clos, harmonieux, aux enjeux infiniment frivoles. Le monde extérieur y surgit de manière sporadique, à l'occasion d'une réception huppée ou des événements du 11 septembre 2001, et ne s'avère jamais rien de plus qu'une occasion pour les tourtereaux de se retrouver, de s'ennuyer, tandis que ses brèves cartes postales de contrées « étrangères », qu'il s'agisse du Congo ou de la Pologne, sont aussi convaincantes que si elles avaient été reconstituées au beau milieu de la Caroline du Nord (ce qui est précisément le cas). Quant à sa mise en scène rudimentaire de l'activité militaire, incluant une escarmouche parfaitement vulgaire avec un groupe d' »insurgés » présumés afghans, celle-ci ne saurait tonifier une posture confuse, pour ne pas dire ingénue, face à l'engagement du soldat contemporain.
Mais le délit le plus aberrant de ce conte à dormir debout, c'est de laisser l'impression de passer à côté d'une histoire bien plus intéressante, à savoir la relation entre John et son père, librement diagnostiqué d'autisme par Savannah (donnant lieu à des tensions aussi éphémères que forcées). Se débrouillant du mieux qu'il peut avec ce qui lui est donné, l'honorable Richard Jenkins interprète de manière sentie la méthodique solitude de cet homme dépassé par le cours du destin. Aussi, les quelques scènes ralliant ce dernier avec Amanda Seyfried comptent parmi les moins désagréables du film, tout comme les visualisations des bonheurs simples jadis partagés entre lui et son fils. Mais devant le temps d'écran somme toute abondant consacré à cette intrigue, la façade s'écroule ; terriblement simpliste dans son portrait de l'aliénation, Dear John s'empêtre dans ses bonnes intentions et réduit le problème à un traumatisme lointain, unique, dont le pauvre paternel n'aura pas eu le bonheur de revenir. La présence d'un garçon atteint lui aussi de troubles mentaux s'ajoute au registre des opportunités manquées, celui-ci ne remplissant finalement qu'un rôle de faire-valoir auprès de la jeune fille aimante, raisonnable, et surtout parfaitement « normale ».
Au bout du compte, la banalité de la réalisation et l'incompétence générale de l'écriture sont révélées au grand jour lorsque vient le temps de boucler le tout. Malgré des préparatifs adéquats et les meilleurs efforts de Tatum, mieux connu pour ses rôles plus physiques, l'inévitable séquence du lit de mort se prend les pieds dans une analogie forcée entre la formation militaire et la fabrication des pièces de monnaie, dont l'inclusion à même le prologue annonçait déjà la lourdeur à venir. La situation romantique des deux amants, pour sa part, frétille quelques derniers instants avant de se conclure sans véritable résolution, suggérant autant une lourde séparation qu'une éventuelle retrouvaille quelque part dans le temps. Au final, le film nous abandonne sans la moindre idée claire de son propos sur les relations de couple, si ce n'est du fait qu'elles semblent constituer une gigantesque perte de temps. Coquille sans aspérités dont n'émane aucune vie ni vérité, Dear Johnsaura au mieux satisfaire quelques plaisirs coupables, mais ne dupera que son public adolescent n'ayant rien de mieux à faire que rêver de beaux yeux et de masse musculaire.
Au bout du compte, la banalité de la réalisation et l'incompétence générale de l'écriture sont révélées au grand jour lorsque vient le temps de boucler le tout. Malgré des préparatifs adéquats et les meilleurs efforts de Tatum, mieux connu pour ses rôles plus physiques, l'inévitable séquence du lit de mort se prend les pieds dans une analogie forcée entre la formation militaire et la fabrication des pièces de monnaie, dont l'inclusion à même le prologue annonçait déjà la lourdeur à venir. La situation romantique des deux amants, pour sa part, frétille quelques derniers instants avant de se conclure sans véritable résolution, suggérant autant une lourde séparation qu'une éventuelle retrouvaille quelque part dans le temps. Au final, le film nous abandonne sans la moindre idée claire de son propos sur les relations de couple, si ce n'est du fait qu'elles semblent constituer une gigantesque perte de temps. Coquille sans aspérités dont n'émane aucune vie ni vérité, Dear John saura au mieux satisfaire quelques plaisirs coupables, mais ne dupera que son public adolescent n'ayant rien de mieux à faire que rêver de beaux yeux et de masse musculaire.
Critique publiée le 14 février 2010.