DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Timecrimes (2007)
Nacho Vigalondo

Le crime derrière l'image

Par Mathieu Li-Goyette
On ne peut plus le nier, le cinéma mondial est en plein questionnement sur sa propre entente avec le langage qu’il s’est lui-même donné, celle d’une grammaire permettant d’apposer une certaine crédibilité à toutes ces images qui naissent et meurent aussi vite qu'elles ont été conçues. Poursuivant ces habitudes semblant s’être étendues par-delà les frontières étas-uniennes, Timecrimes démultiplie le perspectivisme des récents films « paranormaux » (ne pas y inclure que l’horreur) à travers duquel il installe sa propre fonction, sa propre problématique et sa propre résolution. La dite multiplication des points de vue étant ici exploitée à travers le voyage dans le temps, le film s’exécute sans cesse à rebours, dans l’attente systématique du moment où son héros se voit forcer d’échapper à son némésis par le biais d’une machine à voyager dans le temps et de son scientifique à l’aspect plutôt louche. Dédoublement du héros par-dessus dédoublement, le jeu de vases communicants se propage à travers les épreuves répétées d’une manière amusante, presque impressionnante, rappelant celle de Cours, Lola Cours. Devenus triplets, ils récupèrent tous à leur tour un temps donné de plus en plus important en vue d’une mission distincte selon leurs préoccupations, mais finalement de leur exaspération mentale qui ne va qu’en s’accentuant. Confrontés à leurs images-miroirs comme épreuve finale, les réalités s’entrecroisent avec leurs personnages attachants auxquels on ne sait plus vraiment comment s’identifier. Course contre la montre et crimes à travers les temps, Los Cronocrímenes, de son titre original, est on ne peut plus cohérent dans son divertissement et tout autant perspicace dans sa représentation.

Ce jeu du chat et de la souris temporel prend son envol lorsque Hector, homme marié et honnête qui vient de s’installer dans une maison de campagne, repère une jolie jeune femme se déshabillant à l’orée du bois. Sa femme partie en ville, il observe sa vénus jusqu’à ce que celle-ci disparaisse, forçant notre cher voyeur à aller la retrouver à travers les champs. La croyant morte alors qu’il s’approche du corps maintenant nue de la jeune fille affaissée sur le sol, un maniaque masqué de bandages ensanglantés, visiblement sorti tout droit d’un métissage entreDarkman et Michael Myers, poignarde Hector à l’épaule à coup de ciseaux pointus. Il parviendra à se faufiler hors d’atteinte de son psychopathe pour atterrir chez un scientifique qui lui proposera de se cacher à l’intérieur d’une machine à voyager dans le temps (fait jusqu’alors inconnu de notre pauvre vacancier). Une fois sorti, une journée de moins s’est déroulée et Hector se retrouve face aux événements précédant ceux de son accident… comme le destin fait bien les choses, des circonstances que je tairai ici le conduira à panser ses coupures à la tête à l’aide d’un épais bandage médical… qu’il taillera à l’aide de ciseaux pointus. Vous voyez le genre.

Construits autour d’une idée originale, intéressante et laissant lieu à la fantaisie, les retournements de situation, quoique cohérents, restent majoritairement lassants après la première version du récit. En comparaison, lorsque Cours Lola, Cours alternait les réalités pour alterner aussi son dénouement en donnant continuellement de nouvelles chances à son cobaye,Timecrimes annonce qu’il s’en tiendra strictement aux mêmes 30 minutes répétées à trois reprises au total. Malgré une performance particulièrement attachante du personnage de Hector et un jeu paranoïaque du scientifique (joué par le cinéaste lui-même, régisseur des dimensions), fou serait celui qui prétendrait être renversé après avoir écouté trois fois de suite sensiblement le même court-métrage. Soi-disant nécessaire à sa thèse, la simplicité du mécanisme explique peut-être, à la limite, la facilité de sa cohérence. Timecrimes est aussi un film qui a du mal à s’inaugurer. Hésitant pendant un bon moment entre suspense et humour grinçant, il faut attendre le premier tiers de l’œuvre avant d’être bien fixé sur la réaction qu’une telle superposition d’actions devrait stimuler en nous. Ensuite soudoyé en émotion par les galipettes d’un meurtrier en herbe tentant de faire peur à une autre version de lui-même, le second segment devient un semblant de manuel scolaire du slasher populaire tandis que le troisième et dernier segment se transforme dans un élan de folie où l’incompréhension du personnage prend le dessus sur ses bonnes aspiration. Présentation à la fois charmante, comique et originale d’un questionnement esthétique demeurant jeune, mais tout aussi éclairant (qui fera bientôt l’objet d’un remake de la part de David Cronenberg).

Mise en scène maîtrisée, inventive quant à une esthétique de la « fausse » profondeur, elle renvoie essentiellement au mécanisme de la machine du scientifique Chico. Cette vérité relative de l’image dont nous discutions ci-haut retrouve ici tout son sens dans la mesure où les trois segments restent filmés (dans la mesure du possible) du même angle de vue, mais en rajoutant, époque après époque, une dimension de plus en plus élargie dans la profondeur du champ de l’image. Si l'on voyait d'abord uniquement Hector se cacher derrière un arbre, la deuxième dimension nous présente son agresseur en train de rechercher sa proie. Dans la première dimension, le meurtrier n’est présent qu’en hors-champ, différemment positionné et, finalement, esthétiquement dans une autre dimension, bien qu’elle reste semblable. Elles sont relativistes dans l'authenticité des trois différentes versions d'Hector (toutes aussi importantes dans leurs missions auxquelles la même valeur est accordée) et finalement demeurent nécessaires à leur mise en place. Plus une question de réflexion qu’une recherche maniériste et démesurée d'un œil-vérité au cinéma, ces petits moments de confusion dispersés ainsi à travers le film de Vigalondo participent au questionnement actuel des images en tant qu’exemple par excellence de l’utilisation esthétique d’une recherche philosophique, mais finalement anthropologique de nos sociétés de consommations.

Avec des clins d’oeil à coup d’assauts de table IKEA, des comportements candides face au scientifique « bon vendeur-bon vivant », mais surtout grâce au déclenchement de son intrigue,Timecrimes, malgré ses limites bien déclarées, arrive comme un courant d’air frais à la ligne de son peloton d’exécution de l’image. Attiré initialement par le voyeurisme de sa mystérieuse femme des bois, il ne peut que tenter de survivre à travers tout le calvaire que cette tentation lui aura fait endurer puisqu’en bout de ligne, la multiplication des images – son nom l’indique – multiplie les possibilités de survie au cinéma. Reste que cette incarnation féminine de la tentation médiatique ne pourra connaître qu’un seul destin tragique: maîtrisée par son admirateur puis reniée au profit d’une vie sereine et respectueuse devant le ciel étoilé, beauté primitive de la nature annoncée par les orages du dernier plan. Et pourquoi pas? Restons nous aussi respectueux des images et tentons de ne pas se laisser berner à notre tour par cette grande valse des réflexions sur la représentation.
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Critique publiée le 11 juillet 2008.