Bien qu'il en soit déplorablement une chose commune, je me permets avec la sortie d’un film comme Twilight de surligner la jauge d'excès dépassée du romantique pré-pubère américain. Tentation pour le cinéphile lambda en ce divertissement anesthésiant, le fait est que Twilightoccupe dans nos salles l'exacte et même date de sortie qu'un autre film à la thématique foncièrement identique, mais au fond et à la forme tout aussi détonante. Que l'on m'épargne la première pierre du snobisme: le premier des films est adapté d'un roman populaire américain, le deuxième, est d’un créateur indépendant, obscur cinéaste de Suède. Développé tout deux dans la fascination et l’exercice des relations inter-personnelles qu’exercent quasi universellement les créatures fantastiques, le prétexte gothique de Twilight se fait rose bonbon à l'intention d'un public cible bien désigné et par le fait même, peu exigeant du moment que le «cinéma substitut à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs». Sans vouloir en venir à un excès de comparatisme face au film de Thomas Alfredson (auquel je renverrai le lecteur à un texte paru précédemment à l'occasion du festival de Fantasia 2008), l'histoire portée par les deux cinéastes se font échos à travers un champs de cultures révélateur : la cour d'école suédoise écrasée par le bal de finissants étasunien.
Il va s'en dire, la comparaison frôle la mauvaise foi, et pourtant, c'est précisément de cet algorithme de l'uniformisation dont souffre le plus le cinéma de genre hollywoodien. Bella (Kristen Stewart) a quitté le climat chaud de Phœnix pour aller vivre avec son père dans l’état de Washington où les nuages et la froide humidité semble cloîtrer leur petite municipalité l’année durant. Nouvelle de classe, la rencontre de nouvelles amies et cibles amoureuses potentielles en cette année de graduation viennent vite occuper les pensées d’une jeune fille studieuse, gentille et nette de tout vice. Son père chef de police, figure paternelle absente et distante ne « comprenant plus sa jeune fille » fait mince figure aux côtés de son ex-femme demeurée au sud, compréhensive et grande confidente de cette dernière. Portrait « idéal » d’une famille décomposée, le monde sans flammèche de Bella bascule le jour de sa rencontre avec Edward (Robert Pattinson), seul représentant célibataire de la famille Cullen, bande de mannequins au teint blanchâtre, aux yeux luisants et à la chevelure enflammée qui marchent sans bruit en évitant tout contact direct avec les autres étudiants. Du côté d'Edward, Bella présente quelques qualités singulières que le spectateur critique se fera un plaisir d'apprécier à leur juste superficie dramatique.
Près du Harlequin pour adolescents, ce dit culte de feuilletons fait fureur à l’échelle du globe depuis 2002. Suivant l’influence d’un autre monde fantastique éducatif et divertissant en Harry Potter, Twilight, le roman, puise ses sources dans un monde parallèle déjà codé et réglé selon l’œuvre de Bram Stocker en relation avec celle des soap américains de l’heure. Bien qu’il présente une suite logique à la carrière de la réalisatrice anciennement directrice artistique - un fait notable donnant au film un cachet d’arrière-scène tout particulier - Twilight suit le cheminement d'adolescents vers l’âge adulte tout en semblant transporter la plus précieuse préoccupation d'Hardwicke (Thirteen, Lords of Dogtown, The Nativity Story) vers une toute nouvelle opportunité commerciale. Passé le cap de l’adaptation de best-sellers, celle qui défrichait à son propre rythme les sentiers sinueux du cinéma indépendant américain s’est vu projeté sur la grande scène avec en mains un roman d’un maniérisme outrancier (sans en juger l’écriture, le fond du récit, lui, peut passer sous crible) et un public fanatique disséminé aux quatre coins du globe pour finalement s’en tirer avec une réalisation neutre, trop peu inventive pour le sujet traité et bizarrement aseptisée.
Si la direction de son ensemble de comédiens s’avère réussie dans la mesure de l’écriture de leur personnages, certains sortent du lot (les deux comédiens principaux) à l’inverse d’autres figures peu connus de la télévision (on pense au vampire rocker antagoniste) qui sombrent dans un jeu pathétique rappelant le ton sarcastique de Buffy the Vampire Slayer. Parfois mystérieux, souvent empêtré dans un dialogue trop littéraire pour se déclarer pleinement du cinéma, les qualités du films apparaissent dans une exécution moyenne d’éléments clichés, mais encore une fois séduisant. Il est facile d’être porté à croire que le jeune public sera sous le charme d’un vampire végétarien ne représentant aucun danger à proprement parler pour l’homme; qu’un amant soit à la fois capable de briller de milles feux sous le soleil et d’avoir la force d’un surhomme. Pour faire court, on y décrypte rapidement un homme préfabriqué avec tout juste assez de mystère et de mal en lui pour s’imposer comme le fantasme lubrique de toute une génération. Pas qu’il en est un fait à décrier en soit, le concept même de Twilight sent le réchauffé. Ainsi soit-il, l’apothéose du cliché survient lors d’une partie de balle molle entre la famille Cullen et la jeune Bella faisant maintenant partie des buveurs de sang à titre de belle-soeur.
Probablement plus digne d’une série-télé que d’un film, la moindre aspiration du film de Hardwicke n'est autre que d’établir ce qu’une gentille petite demoiselle doit accomplir pour obtenir son homme idéal et de poursuivre la quête de ses rêves. Les thèmes fastidieux deTwilight trempés à la sauce « aimer l’impossible amour » nous lèguent un héritage forcé de la tragédie shakespearienne sans quoi l’intérêt se serait manifesté à travers quelques rares moments de sourire candide et de trouvailles comiques. Filmé maladroitement en étant orienté vers une symbolique de tout premier niveau, la caméra se prête au jeu des fantômes par des séries de déplacements fluides et obliques ponctuant des cadrages manquant cruellement d’expressions. Le produit proposé par Hardwicke en est un mauvais, destiné à miner le talent d’une jeune espoir américaine (la cinéaste dis-je bien) aux griffes des conglomérats qui se sont enorgueillis d'une mise en marché verticale digne de mention du film s’alliant au roman, à la bande-sonore et d'une campagne publicitaire intempestive soutenue par plus de 300 quelques sites de fans. C’est une naissance prématurée qu’est celle de la nouvelle franchise de l’heure alliant Dawson's Creek au Bal des Vampires; l’aristocratie d’un monde en déroute, « vampirisé » aux élucubrations d’une jeune adolescente confuse à la finalité obscure. À la différence qu’étant dans un conte de fées, l’interdit et l’impossible se concrétise en toute fin au plus grand pâmoison du public déjà gracié par une dernière confrontation d'une violence fausse et trop peu participante à l'expérience du film. Voilà un échantillon fort gâté à se mettre sous la dent pointu en attendant la production déjà confirmée des trois prochains volets.
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