Esthétique de l'éthéré
Par
Mathieu Li-Goyette
Plongée au coeur des forêts isolées de la Nouvelle-Angleterre, la maison Hill a été érigée il y a de ça 90 ans. Une histoire sordide se cache derrière celle-ci, peuplée de trahisons, de drames et de morts mystérieuses. Espace parfait pour la recherche sur les maisons hantées compte tenu de son aura, l’anthropologue John Markway rassemble une équipe de deux femmes (une capable de clairvoyance, l’autre ayant été témoin d’événements surnaturels) ainsi que le neveu de la propriétaire pour passer quelques jours dans la maison Hill. Il faudra être attentif pour être en mesure de noter toutes anomalies. Le soir venu, des bruits inquiétants surviennent, la rumeur d’un chien qui rôde dans le manoir éloigne le professeur de ses cobayes, des ombres mesquines apparaissent sur les murs par le pouvoir de quelque chose ou quelqu’un qui croit bon de confirmer sa présence en y allant d’un avertissement envers Eleanor (Julie Harris), l’invitée au passé le plus troublé.
Ultime oeuvre dans le monde de l’horreur pour Robert Wise qui y avait fait ses premières armes aux côtés de Val Lewton chez la RKO, les sources à l’origine de ce projet bien modeste aux côtés des oeuvres de 1961 et 1965 West Side Story et The Sound of Music sont autant de descendances lovecraftiennes qu’hitchcockiennes. Il ne faut d’ailleurs pas plus qu’un plan de voiture et une première frénésie musicale pour se croire dans le premier acte du Psycho du maître anglais. L’entrée d’Eleanor sur les terres hantées est celle de Marion Crane s’approchant du Motel Bates, le manoir aux aspects gothiques, aux fenêtres pernicieuses semble être la maison-mère de la demeure du spectre de la mère chez Hitchcock. Tout comme chez son contemporain, Wise est un réalisateur d’abord intéressé par la technique et l’écriture du personnage classique. Ici appuyé par la voix off récurrente d’Eleanor qui nous permet de facilement glisser entre l’effroi et la prise de connaissance, la frayeur de The Haunting est toute subjective et sujette au bon vouloir de son spectateur. Un homme à la recherche du savoir, une maison perdue de Nouvelle-Angleterre, une architecture décrite comme crochue, dénuée d’angles droits, c’est finalement au génie de Lovecraft à qui Wise doit la sombre aura de ses décors.
En tant que rare film d’horreur encore capable de se vanter de son efficacité avant le tournant du genre vers une visée plus corporelle, l’oeuvre de Wise tire a profit du meilleur des films de fantômes. Pornographiques à bien des égards, le slasher, le gore, le film à parasites, le film de torture, le snuff movie, ces genres corporels (ou body horror) que l’on considère aujourd’hui largement comme le propre de la production du cinéma fantastique floue par sa popularité même et la surenchère de ses stratégies de suspense l’effet des films d’épouvantes à saveur littéraire. Certainement verbomoteur, le scénario de Nelson Gidding ne laisse aux apparitions du surnaturel que quelques minutes de prestation d'un bout à l’autre du long-métrage de 1h50. Alors qu’il tire sa force des dialogues entre Markway et Eleanor, le traitement de l’occulte fait du film encore aujourd’hui un document important pour réfléchir le paranormal. « Même si vous ne croyez pas aux fantômes, vous ne pouvez pas renier la terreur », l’avertissement lancé par la bande-annonce prédit que le spectateur le plus incrédule sera du moins confronté à la peur de la peur ou plutôt à la peur de croire celle-ci capable de raidir nos membres, malmener notre coeur, se jouer de notre esprit avec une résolution infernale ne pouvant mener qu’à la mort. Comme chez Lovecraft, acquérir du savoir sur le mal qui se cache en deçà de notre monde est toujours faire un pas de plus vers la folie et, comme chez le célèbre auteur, c’est encore l’instigateur qui se retrouvera survivant en dépit de la perte de ses collègues dans une enquête devenue fardeau pour la conscience.
Déterminé à convaincre l’audience de la possibilité des fantômes à l’image, le professeur s’érige contre le manque de coopération d’invités aux nerfs solides, efficace dispositif pour positionner le spectateur comme quatrième invité d’une soirée à la maison hantée. Il ne faudra évidemment qu’attendre une nuit avant de voir les premières manifestations surnaturelles étendre leur emprise sur les protagonistes au moyen d’une mystification complète de leur origine. Loin de s’accaparer des trucages par surimpressions ou d’une anthropomorphisation de l’au-delà, Wise manifeste la puissance du spectre de la maison Hill par la mise en scène (à l’exception du dernier acte lors d’une dérogation ultime où une porte se gonfle sous la pression de l’esprit). Des travellings rapides, une caméra à l’épaule, des angles obliques, des accélérés, l’esthétique classique des studios que maîtrise si bien Wise ne lui sert ici qu’à s’attacher au conventionnel de son film : des personnes qui discutent, mangent et dorment dans une vieille maison. Une fois la nuit tombée, les excentricités techniques lui permettent par contre de faire de la caméra l’oeil même de l’esprit frappeur qui tourmente ses victimes. Alors que la caméra se jette sur Eleanor, elle tombe à la renverse pour être ensuite rattrapée in extremis par le docteur éberlué. Lorsqu’il fait jour, les longs travellings dans les corridors de la maison amplifient l’effet évident du labyrinthe qui n’est pourtant jamais porteur de l’esprit malin. Avec quelques sauts musicaux en renfort, les personnages sont surpris par leurs reflets dans le miroir, par les gargouilles et les bustes ancestraux alors que le spectateur codifie lui-même le classicisme de ces scènes en les opposants aux déchaînées scènes nocturnes; en mesure de confronter son incrédulité face à l'artifice occulte, il croit au moins désormais en un cinéma bien maîtrisé capable de matérialiser l’impossible par le propre de la mise en scène.
Critique publiée le 2 juillet 2009.