Cela fait déjà quelques années que la grosse machine hollywoodienne semble prise dans une impasse dont elle n’arrive tout simplement pas à se sortir. Celle-ci dut d’autant plus s’avouer vaincue devant l’ascension fulgurante du jeu vidéo, qui réussit à lui damer le pion pour devenir en l’espace de quelques années le média de divertissement le plus lucratif sur le marché mondial. Cherchant désespérément à se réapproprier la part du gâteau qui venait de leur filer entre les doigts, les grands studios américains se tournèrent vers diverses formes d’art en vogue et autres sources d’intérêts extérieures - dont la bande dessinée - pour ramener tout ce beau monde à l’intérieur des salles de cinéma. Après une suite d’essais et d’erreurs plus ou moins concluante,
300 s’annonçait comme le spectacle exubérant qui permettrait à Hollywood de reconquérir le marché des 18 à 35 ans. Le temps n’aurait d’ailleurs pu être mieux choisi pour revisiter le roman graphique de Frank Miller vue la popularité dont jouit ce dernier auprès du grand public depuis la parution de la première adaptation cinématographique de ses histoires de
Sin City. S’il est vrai que le second long métrage de
Zack Snyder aurait eu davantage sa place sur une console de jeux vidéo que sur de la pellicule, l’entreprise marque tout de même l’occasion pour la ville reine du popcorn de refaire une vive démonstration de ses dernières prouesses en matière de technologies numériques et de réaffirmer haut et fort que la place d’un produit de cette envergure demeure sur un écran de cinéma, et non celui d’un vulgaire téléviseur.
Le film de Zack Snyder s’inspire ainsi assez librement de la célèbre bataille des Thermopyles, au cours de laquelle le roi Léonidas et
300 machines de guerre spartiates sacrifièrent leur vie pour repousser les armées du puissant souverain perse Xerxès. Un geste des plus héroïques qui inspira les cités grecques à s’unir et à combattre l’empire achéménide. Mais contrairement à la dernière vague de péplums hollywoodiens pour laquelle la technologie et des budgets faramineux auront été mis au service de « l’Histoire »,
300 n’en a que faire de l’exactitude historique et met plutôt l’accent sur le sang, la barbarie, des créatures plus étranges les unes que les autres et une avalanche de répliques que nous n’aurions pu imaginer plus pompeuses. Comme dans le
Sin City de
Frank Miller et
Robert Rodriguez, la majorité des environnements de 300 sont le fruit d’images de synthèse faisant vibrer les couleurs on ne peut plus flamboyantes de la direction photo de Larry Fong. Aux commandes de cette mégaproduction, Snyder se révèle à la hauteur de la tâche qui lui a été confiée et signe une mise en scène dont l’arrogance et la désinvolture sont en soi parfaitement assumées. Il ressort de ces élans tapageurs une facture plastique tout ce qu’il y a de plus artificielle, s’appropriant comme bon lui semble les traits propres à la bande dessinée tandis qu’une profusion de ralentis ne manquent jamais de souligner avec une force de frappe tout de même considérable les moindres actes de bravoure et de violence des protagonistes, lesquels abondent évidemment ici en quantité industrielle.
Il est cependant désolant de constater que toute l’énergie déployée par Snyder et son équipe sur le plan esthétique ait été mise au profit d’un scénario aussi peu substantiel. Le cinéaste américain nous sert en somme une imposante scène d’action marquée de quelques pauses plus ou moins bien huilées, alimentant pour la plupart une intrigue politique pour le moins douteuse qui fut littéralement agrafée au récit original. Évidemment, le développement des protagonistes souffre lui aussi de la minceur du projet sur papier. Un détail qui n’empêche toutefois pas une distribution menée par un
Gerard Butler électrisant de camper de manière intrépide et fort charismatique ce groupe de guerriers unidimensionnels assoiffés de sang et de liberté. Le film s’évertue d’ailleurs à défendre un discours sociopolitique ayant tendance à laisser un goût plutôt amer étant donnée la situation particulièrement tendue sur la scène internationale avec laquelle doit composer le pays de l’Oncle Sam depuis le début du nouveau millénaire. Si les parallèles entre le présent exercice et certains conflits actuels auraient pu s’avérer superflus,
300 finit malgré tout par prendre des allures de pamphlet en faveur de la guerre de par la manière souvent agressive dont il aborde le rôle du soldat tout en scandant des slogans que nous n’avons entendus que trop souvent à la télévision américaine au cours des dernières années, tel l’inévitable «
freedom isn’t free ». Il faut dire que Snyder nous avait déjà fait nager dans les mêmes eaux troubles avec son remake tout de même fort respectable du
Dawn of the Dead de
George A. Romero alors qu’il nous soumettait au discours d’un prêtre dénonçant l’homosexualité et l’avortement, et ce, sans jamais vraiment prendre position face aux dires de son personnage.
La notoriété de Frank Miller est basée en soi sur l’habileté de ce dernier à rassembler un impressionnant bagage d’influences en un tout extrêmement stimulant tout en écartant au passage les éléments jugés inutiles. C’est encore une fois le cas ici alors que l’artiste américain ne se complique guère la vie avec l’abondance de détails entourant ce fait d’armes figurant parmi les plus célèbres de l’histoire antique pour ne retenir que les points nécessaires à la création d’un festin épique flirtant bien souvent avec le grotesque - auquel la réalisation tonitruante de Zack Snyder rend évidemment parfaitement justice. Il est simplement décevant de constater que le réalisateur américain et ses coscénaristes Kurt Johnstad et Michael Gordon n’aient pas cherché à aller au-delà des croquis de Miller pour ajouter un peu plus de chair autour de l’os plutôt que de gruger celui-ci jusqu’à la moelle. Snyder signe en bout de ligne un spectacle tapageur n’ayant visiblement été mis sur pied que dans le but d’assouvir nos pulsions sadiques et de nous faire revivre une certaine époque où nous ne pouvions qu’être étrangement fascinés par ce genre de divertissements tape-à-l’oeil et ultra-violents. Mais l’enfant en nous a fini par grandir. Et même si les litres de sang déferlent à l’écran par milliers, l’entreprise de Zack Snyder et Frank Miller ne se veut finalement qu’une autre production surchargée dont on se délecte niaisement pendant près de deux heures pour ensuite passer immédiatement à autre chose.