Quand un singe-jouet joue du tambour, une personne apparemment aléatoire meurt dans les environs — c’est la prémisse on ne peut plus simple du dernier film d’Osgood Perkins, inspiré d’une nouvelle éponyme de Stephen King. Immédiatement, on peut se demander comment construire un long métrage à partir d’une telle idée, qui invite à une forme sérielle, répétitive, où, à chaque séquence, un personnage tourne la clé dans le dos du simien et déclenche le mécanisme, nous faisant languir après les résultats délectables d’une mort atroce dans des circonstances absurdes confinant au burlesque. Et à son meilleur, The Monkey ressemble en effet à une belle collection de freak accidents ridicules, quand le cinéaste détourne la lourdeur habituelle de sa mise en scène pour embrasser le grotesque et l’humour morbide de sa proposition, et que les morts s’enfilent dans un spectacle gore parfaitement calibré (quoiqu’à l’impact parfois affaibli par le rendu lisse d’effets numériques trop désincarnés). La formule est empruntée aux Final Destination, la nature mécanique du singe-jouet étant répétée dans l’enchaînement de cause à effet menant inexorablement au trépas, mais aussi dans le montage rythmique des mises à mort : un harpon est tiré, pause, il s’est enfoncé dans le ventre d’un homme, pause, un mécanisme ramène l’arme en faisant défiler les intestins de la victime. Perkins découpe ce genre de scène avec une précision maniaque, prenant le temps de savourer chaque moment avant de pousser la violence un peu plus loin, nous révélant de la sorte un plaisir de l’invention macabre plutôt jouissif et souvent surprenant dans ses effets alliant le rire au dégoût.
La première partie du film se montre ainsi des plus nihilistes en riant de la mort qui se déchaine autour de deux enfants, Hal et Bill, des frères jumeaux (tous deux interprétés par Christian Convery) : même le prêtre, dans un sermon décousu durant des funérailles, ne peut s’empêcher de lancer des jeux de mots douteux sur la défunte, décapitée, et la mère des protagonistes, plutôt que de les réconforter, leur offre une longue énumération désabusée de toutes les choses qu’ils vont perdre inévitablement durant leur vie. La table est mise pour une comédie très noire utilisant ce singe-jouet qui fascine et effraie pour exprimer, avec un clin d’œil malicieux, le caractère imprévisible, incompréhensible et inévitable de la mort. Car rapidement, les enfants découvrent qu’il n’y a qu’une seule règle : celui ou celle qui tourne la clé enclenchant les rouages maléfiques sera épargné·e, mais sinon, il est impossible de prévoir qui sera la victime, encore moins de faire des demandes à ce singe qui n’obéit qu’à sa propre logique obscure. « Like Life », comme il est écrit sur la boite où les jumeaux le trouvent, dans une garde-robe d’effets appartenant à leur père, c’est-à-dire « comme dans la vie », où la mort peut frapper n’importe qui à tout moment.
Mais il ne faut pas s’attendre ici à une grande cohérence thématique : est-ce réellement « comme la vie », s’il faut que quelqu’un active l’appareil, qui agit moins comme la foudre tombant par hasard sur un quidam que comme un fusil dont les balles agiraient de façon imprévisible, mais qui reste inerte tant que personne n’appuie sur la gâchette ? L’humour, au départ, permet de camoufler ce genre de contradictions internes, comme quand un personnage, confus, affirme en même temps que « tout n’est qu’accident » et que « rien ne l’est », un non-sens qui semble appuyer la veine anarchiste du film, mais qui s’avère finalement le symptôme d’un scénario tout aussi confus. Car dès que Hal devient adulte (Theo James), et que soudainement le film traite son traumatisme d’enfant et sa faillite comme père avec un certain sérieux, puis que peu à peu les blagues d’abus parentaux font place à des monologues mélodramatiques de réconciliation familiale (dans les circonstances, ils ne peuvent que tomber à plat), les maladresses deviennent plus difficiles à ignorer. À commencer par la pauvreté des dialogues qui, comme dans les films précédents de Perkins, passent leur temps à expliquer ce que le récit lui-même n’arrive jamais à dramatiser.
La critique américaine Angelica Jade Bastién avait abordé ces problèmes dans un essai sur Longlegs (2024), où elle se questionnait sur le cinéma d’horreur américain contemporain et son incapacité à parler de notre monde, à s’adresser à nos peurs et à nos angoisses les plus profondes : l’enjeu n’en est pas exactement un de « style over substance », comme on le remarque souvent à propos de l’elevated horror, mais relève plutôt d’une incuriosité (« incurious ») qui se traduit par cette impression d’être devant des coquilles vides. Ou d’être face à des films où « everything is literal, over explained yet at the same time under-explored », comme si le cinéaste n’osait pas réellement toucher aux sujets de ses films, comme s’il se contentait d’expliquer ses obsessions plutôt que de s’y plonger en nous amenant avec lui dans des zones obscures. Il n’est pourtant pas difficile de déceler des motifs dans son cinéma, notamment la transmission du Mal, le joug de la religion et la figure du parent monstrueux, mais une fois qu’ils sont repérés il n’y a rien de plus à en dire sinon qu’ils sont là : sans un regard inquisiteur, voire trop curieux, qui ose aller un peu plus loin qu’on le voudrait dans des directions inconfortables, l’horreur est bien peu de choses.
:: Christian Convery (Hal et Bill) [Neon]
Et l’humour n’est pas incompatible avec une telle posture, même qu’il peut y être intimement lié, comme King sait le faire, avec une joyeuse facétie. En ce sens, le singe-jouet représente très bien l’écrivain, dans sa façon de tuer allégrement, cruellement, jusqu’à créer le chaos. L’occasion était donc belle pour lui rendre hommage, mais le film se contente de quelques clins d’œil superficiels (par des noms de personnages, surtout, comme une Annie Wilkes, en référence à Misery, et une Mrs. Torrance, pour The Shining), alors que la mise en scène n’arrive pas à rendre compte de la vie et du sens de la communauté qui animent les écrits de l’auteur (les cadres étant trop vides, aseptisés). Cela n’est sans doute pas un hasard si The Monkey est à son meilleur lorsque l’on demeure plus près du texte d’origine, et que Perkins peut en reprendre la dynamique fraternelle, avant de la faire dévier vers son propre cinéma. Mais c’est justement à partir de ce point que les personnages se développent d’une manière qui frise la stupidité (par exemple, le film n’arrive jamais à répondre de façon convaincante à cette question pourtant essentielle : pourquoi quelqu’un tournerait la clé du singe ?), et c’est finalement ce qui empêche toute forme de malaise lorsque les victimes se font décimer.
Perkins demeure adroit pour créer des images fortes, que ce soit l’éventail d’accidents mortels ou des moments jouant plutôt sur la peur, comme ce plan où le singe se tapit dans la noirceur de la nuit, ses traits se dessinant subtilement tant la créature fait partie elle-même des ténèbres (une idée qui était déjà dans Longlegs). Mais elles ne peuvent pas nous faire oublier les comportements aberrants et les réactions inconsistantes des personnages face aux scènes de violence, qui peinent alors à s’imprégner en nous, à nous secouer réellement : le singe a beau grimacer, jouer fièrement de son tambour, nous défier de remonter son mécanisme, il échoue à se moquer sérieusement de notre peur de la mort.
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