2023 [1] a été plutôt rude pour les productions Marvel pilotées par les studios Disney. The Marvels ainsi que Ant-Man and the Wasp: Quantumania [2] n’ont tristement pas répondu aux attentes des investisseurs au box-office. Impossible désormais d’ignorer la « super-hero fatigue », dont l’avènement, tel Galactus, a maintes fois été annoncé par les « Watchers » de l’industrie. Cette baisse drastique en popularité a convaincu le géant du divertissement de freiner son rythme de sorties en salle. Quelques projets ont été mis en pause, d’autres ont carrément été annulés [3]. Résultat : un seul film de superhéros estampillé Disney a pris l’affiche cette année, soit la valeur sûre qu’était Deadpool & Wolverine (2024).
Ayant les droits cinématographiques des personnages de Spider-Man, Sony [4] a suivi le pas en faisant à son tour acte de prudence. La division a également limité son offre avec sage…
Mais non, évidemment que je blague. Ce n’est ça pas du tout ça qui est arrivé. Vous le savez aussi bien que moi. Alors qu’il est somme toute possible de deviner une certaine logique mercantile derrière les décisions prises par Disney [5], le modèle d’affaire de Sony semble consister à balancer de la gomme sur un mur en espérant qu’elle colle [6]. Suite à l’éclaboussure qu’a été Morbius en 2022, nous aurions pu nous attendre à un peu plus de retenue de leur part. À la place, nous avons eu droit à un tout aussi pathétique Madame Web (2024) qui, n’en déplaise au fan numéro 1 de Dakota Johnson [7], a été un bide catastrophique. Un échec qui n’empêche pas les studios de poursuivre leur cap au pire avec deux autres longs métrages inspirés par l’univers de Peter Parker. En attendant que Kraven the Hunter (2024) ne s’écrase lamentablement sous le sapin de Noël [8], nous avons donc droit à Venom: The Last Dance (2024), l’ultime épisode de la trilogie dédiée à Eddie Brock et son ami extraterrestre. Épisode qui devrait surtout permettre à Sony de refaire fortune, ses prédécesseurs ayant fait un carton [9].
Un film comme celui-là est une sorte d’obstacle à la critique. Ses créateur·ice·s n’ont rien à cirer de sa réception dans les médias. Même vous, fidèles lecteur·ice·s, n’en avez probablement rien à foutre de l’avis de Panorama-Cinéma sur ce troisième opus portant sur les mésaventures de Venom. Vous saviez déjà si vous le verriez avant même de découvrir sa bande-annonce. Peut-être êtes-vous curieux·ses de savoir si l’antihéros y affronte enfin Spider-Man, son ennemi de toujours. L’une des scènes post-générique [10] de Spider-Man : No Way Home (2021) présageait qu’ils allaient éventuellement se croiser. À ce sujet, disons simplement que Sony hésite encore à concrétiser cette rencontre au sommet, de la même manière qu’Olivia Rodrigo se demande si elle devrait ou non passer la nuit avec son ex [11].
Venom 3 s’avère donc hermétique au discours des spécialistes en cinéma. Il ne nécessite pas son appui et sait résister à ses attaques. Certaines œuvres ont la chance d’avoir cette autonomie. Elles rejoignent directement leur public, sans avoir à d’abord passer par une instance qui l’approuve. Ce sont bien souvent les suites qui peuvent se permettre de sauter une étape [12]. Un lien intime garantit une fidélité quasi totale de la part des fans. En retour, elles dépendent de cette communauté pour garantir leur longévité. Les critiques sont exclu·e·s de cette dynamique, au point d’être férocement maintenu·e·s à l’écart.
[Columbia Pictures / Marvel Entertainment / et al.]
Alors, pourquoi se donner la peine de rédiger un compte-rendu sur ce film, en sachant pertinemment qu’il ne servira à rien ? Parce qu’on peut tout simplement le faire [13]. Par souci d’exhaustivité, dans la mesure où on a écrit sur les épisodes antérieurs. Parce qu’il s’agit d’une production Marvel et, qu’on le veuille ou non, elle contribue à un phénomène culturel de masse que l’on aurait tort d’ignorer [14]. Pour souligner que ce projet de grande envergure est l’un des rares à être réalisé par une femme. Pour tenter vainement de défendre la validité du métier de critique face à la machine Disney. Et, ne nous le cachons pas, pour justifier notre présence à une projection de presse [15].
Maintenant, que dire sur ce Venom: The Last Dance de Kelly Marcel qui pourrait potentiellement vous intéresser ? Ben, c’est rigolo. Ça occupe bien une soirée, surtout si vous êtes fatigué·e·s de votre journée de travail. L’histoire implique Knull, le dieu des symbiotes créé par Donny Cates. Il n’apporte pas grand-chose, parce que le scénario préfère surtout montrer des scènes dans lesquelles Venom fait [16] le boute-en-train au lieu de combattre le mal. Celle où ils dansent sur Dancing Queen version disco au dernier étage d’un hôtel à Las Vegas est à la fois risible et magnifique. Ayant participé à l’écriture du scénario, Tom Hardy s’est lui-même amusé à se mettre en scène dans des situations rocambolesques. Tout en respectant les conventions du genre, The Last Dance sert finalement de véhicule à des moments de folie camp.
En fait, s’il fallait apporter un point permettant d’aborder le long métrage sous un angle inédit, alors je dirais que ce film — encore plus que Let There Be Carnage (2021) — renoue avec l’esprit des miniséries Venom publiées dans les années 90. Au lieu d’avoir ce traitement sombre imposé aujourd’hui aux superhéros [17], elles obéissaient à une dynamique de je-m’en-foutisme qui dédramatisait l’action. Venom butaient des méchants à coup de « one-liners » plus ou moins efficaces, le tout ayant un ton ludique annonçant Deadpool. Si cet humour peut sembler un brin déplacé dans un contexte superhéroïque post-Nolan, il découle d’une véritable fidélité aux œuvres originales. Voilà le but de cette critique : relever cet élément du long métrage qui aurait pu passer inaperçu. Mon travail ici est terminé, laissez-moi jeter mon micro au sol.
Venom: The Last Dance est surtout le film parfait pour réviser ses choix de carrière [18]. Alors qu’Eddie et la symbiote traversaient le désert de l’Ouest américain, j’avais tout le loisir d’interroger l’apport du présent texte au grand ordre des choses. Qu’est-ce que ma contribution pouvait bien changer au destin qui attendait cette production hollywoodienne ? N’avais-je pas mieux à faire de mon temps, comme défendre ces petites œuvres fragilisées par l’embourgeoisement des plateformes [19] ?
C’est alors que Venom: The Last Dance m’a complètement pris au dépourvu, réussissant à faire miroiter mes propres tourments et inquiétudes. Tandis qu’il se trouve à bord de la fourgonnette d’une famille de hippies [20], Eddie Brock en vient à se demander ce à quoi son existence ressemblerait s’il n’était pas devenu l’hôte de la symbiote. Il aurait pu mener une vie normale, avoir une femme et des enfants au lieu de fuir des militaires ainsi que des créatures extraterrestres. Peut-être que le message du film se trouve là. Nous suivons la saga épique de Marvel depuis maintenant seize ans, mais nous aspirons en secret à la quiétude d’un train-train banal [21]. Des moments de connexion aussi forts sont très rares au cinéma. Je ne m’attendais pas à en ressentir un de cette puissance avec l’adaptation d’un spin-off de Spider-Man.
Il a toutefois été de courte durée, Eddie étant rapidement rattrapé par les enjeux du récit [22]. J’ai alors pris conscience de ce qui me différencie de lui. Brock a la chance d’avoir en la symbiote une amie prêt à le suivre n’importe où, qui est même prêt à se sacrifier pour lui. Je n’ai pas pu m’empêcher de l’envier. Il n’y a rien que je souhaite plus que d’avoir quelqu’un pour m’accompagner quand je vais voir des niaiseries au Marché central [23]. Ainsi Venom: The Last Dance m’a confronté à cette immense solitude que je fuis lors des projections. C’est déjà ça de gagné [24].
[1] J’avais songé à appeler ce texte « Jamais deux sans trois », faisant alors référence à Eddie, à la symbiote et au troisième épisode de leurs aventures. Une reprise un peu molle de Tandis que j’agonise de Faulkner (que je n’ai pas lu, mais j’ai vu le film) me permet de mieux flasher. C’est aussi plus approprié, mais vous ne savez pas encore pourquoi.
[2] Une exception notable est Guardians of the Galaxy Vol. 3, qui a fait plus d’un milliard au box-office. Il s’agit d’ailleurs du dernier film que James Gunn a signé pour le compte de Marvel avant de consacrer toute son énergie aux prochaines productions des studios DC. Le réalisateur de Tromeo and Juliet (1996) va d’ailleurs relancer la franchise de Superman avec une première apparition de Krypto, le super-chien, au grand écran. J’aurais préféré Mr Mxyzptlk, mais bon.
[3] Je ne crois pas me tromper en affirmant que Nomandland (2020) a plus de chance d’avoir une suite que Eternals (2021).
[4] Si vous ne savez pas à quoi je me réfère ici, sachez qu’il y a un tas d’excellents balados ayant couvert cette histoire. De la même manière que je n’ai pas expliqué à Gab pourquoi Channing Tatum en Gambit dans Deadpool & Wolverine était une idée absolument géniale, je n’ai pas l’intention de vous tenir par la main tout au long de ce compte-rendu.
[5] J’insiste ici sur l’emploi de « somme toute » dans cette phrase, parce que Disney n’est pas à l’abri des erreurs de jugement. Il était écrit dans le ciel que le reboot de Pinocchio (2022) n’allait être qu’un navet carabiné.
[6] Ou des tranches de cornichon sur une vitre, comme dans Billy Madison (1995).
[7] Cette référence va se perdre sans précision (et elle n’a fait l’objet d’aucun podcast). En mars dernier, je suis dans le bus vers Québec avec un ami. Question de tuer le temps, je lui raconte l’intégrale de MadameWeb. Arrivé à la gare d’autobus de la capitale, je poursuis toujours mon résumé. Un homme dans la soixantaine m’interrompt alors, me demandant si je ne serais pas en train de parler d’un film avec Dakota Johnson. Je lui réponds que oui et il s’empresse de hurler qu’« Elle est tellement belle, tellement plus que sa mère ! ». Il nous demande ensuite si elle ne serait pas grande. Ne sachant quoi dire, mon ami et moi décidons de laisser le fan numéro un de la fille de Melanie Griffith à ses spéculations sur sa taille.
[8] Le film sort mystérieusement en salles le 13 décembre 2024, quelques jours avant le Nosferatu de Robert Eggers qui, tant qu’à lui, prend l’affiche le jour de Noël. Est-ce qu’il y a vraiment des gens qui veulent voir un remake d’un classique de l’expressionnisme allemand avant de déballer leurs cadeaux ? Seul l’avenir nous le dira.
[9] C’est bel et bien ce qui est arrivé, The Last Dance ayant amassé un impressionnant 400 millions pour un budget de 120 (les podcasts que l’on peut produire avec une somme pareille!).
[10] Saviez-vous que ce terme a droit à une page sur Wikipedia ? Ben oui toi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Scène_post-générique.
[11] « I should probably, probably not », vers tiré de la somptueuse chanson pop « bad idea right? ». La pièce prend la forme d’un monologue intérieur dans lequel la narratrice jongle avec les pours et les contres, pour finalement céder à ses désirs avec un provoquant « Seein’ you tonigh, fuck it, it’s fine ». Sony gagnerait à suivre l’exemple de Rodrigo et enfin nous donner ce que nous souhaitons voir sur grand écran.
[12] On s’entend que l’équipe derrière Spiral: From the Book of Saw (2021) ne s’est jamais inquiété de ce que Mathieu Macheret au Monde allait penser de leur travail.
[13] « J’ai l’doua. »
[14] C’est l’argument que j’ai utilisé la fois où j’ai dit à Mathieu Li-Goyette que l’on ne pouvait pas faire un survol sur les années 2010 en laissant de côté la série Sharknado. (NDLR : Nous souhaitons préciser que nous avons donné raison à Simon Laperrière et qu’il n’avait pas à nous appeler sans arrêt à 4 heures du matin pour écrire sur ces films.)
[15] J’ai ici une pensée pour les publicistes de Venom: The Last Dance, qui devront peut-être expliquer à leur client pourquoi ce texte comporte autant de notes de bas de page.
[16] Est-ce que l’on peut s’il vous plait arrêter d’employer des verbes au singulier pour Venom? Ils sont deux entités, Eddie et la symbiote (qui ne s’appelle d’ailleurs pas Venom, du moins dans les comics). Les personnages le répètent depuis leur apparition dans les bandes dessinées : « We are Venom! » De grâce, un peu de rigueur. (NDLR : Chose que Laperrière n’a lui-même pas fait dans ses premières critiques de la série Venom.)
[17] J’exclue ici la mini-série Venom: The Madness (1993), dans laquelle ils affrontaient Juggernaut. C’était malade.
[18] Je vous l’avais dit !
[19] Ou j’aurais tout aussi bien pu mettre à jour mon CV dans l’espoir de me trouver une job au gouvernement. Un ancien collègue de club vidéo a fait ça et il gagne un très bon salaire.
[20] J’ai mentionné plus haut que, dans ce film, Venom dansaient sur Dancing Queen version disco. Plus rien ne devrait vous étonner.
[21] Je me suis toujours dit que Paterson (2016) de Jim Jarmusch était secrètement le fantasme de Kylo Ren. Il ne souhaite pas être un Sith, mais être tout simplement un chauffeur d’autobus. Ne riez pas, ça fait plus de sens qu’il n’y paraît.
[22] Knull n’y est pas important, mais il n’est pas complètement inutile.
[23] Personne n’a voulu me suivre quand je me suis laissé tenter par le film de piscine tueuse de Blumhouse (je pourrais googler le titre, mais j’ai la flemme. Il faut que je finisse ce texte si je veux ensuite laver ma vaisselle).
[24] Une dernière précision avant d’aller dans la cuisine. La note que j’ai donnée à Venom 3 est probablement le seul élément de ce texte à être pris au sérieux. Il mérite bel et bien ce « 5 », c’est un film moyen. Alors si vous avez décidé d’aller directement à la côte sans ne rien lire, ne vous sentez pas mal.
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