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National Anthem (2023)
Luke Gilford

Fiertés américaines

Par Louise Bertin

Sous le soleil du Nouveau Mexique, un jeune ouvrier ramasse des graviers, inlassablement. L’air taiseux et le regard triste, Dylan (Charlie Plummer) enchaine les petits boulots pour pouvoir s’acheter une caravane et partir, loin de chez lui. En attendant, il travaille et veille sur son petit frère dans la maison familiale désertée par leur père, et où leur mère ne passe qu’en coup de vent, entre deux soirées trop alcoolisées. Mais la vie monotone du jeune homme bascule le jour où il est recruté comme journalier dans un ranch queer, où vit une communauté amatrice de drag et de rodéo. Pour son premier long métrage, Luke Gilford adapte son livre, National Anthem: America's Queer Rodeo, pour lequel il a plongé pendant trois ans, en immersion, dans cette culture rurale peu connue des États-UnisÀ travers ce récit d’apprentissage et d’initiation, le cinéaste se joue des codes du western comme du cinéma queer : là où les expériences LGBTQIA+ ont souvent été représentées par le prisme de la violence et de la tragédie, Gilford fait le choix d’un portrait à la fois tendre, drôle et sexy. Malgré quelques lourdeurs, National Anthem est un premier film enthousiasmant et prometteur. S’il ne résiste pas aux écueils d’une mise en scène hyper esthétisante, le réalisateur parvient à nous embarquer dans sa chevauchée et à nous questionner sur les représentations des sexualités affranchies de l’hétéronormativité.

Oubliez tout ce que vous pensez savoir sur les cowboys et leur individualisme poussiéreux : ici, l’homme solitaire laisse place à une troupe solidaire et éblouissante, qui prend sous son aile celles et ceux en quête d’un refuge. Porté par l’impressionnante performance de Charlie Plummer, le personnage de Dylan offre une exploration autour du passage à l’âge adulte et de la masculinité américaine, de la timidité mutique des jeunes garçons torturés à la fluidité éclatante des créatures hybrides. Son jeu nous donne à voir, tout en pudeur, le séisme intérieur provoqué par sa rencontre avec ce qui deviendra sa famille choisie. Le réalisateur alterne subtilement entre l’attention qu’il porte à son personnage, dont il scrute sur le visage filmé en gros plan les émotions et réactions, et le portrait d’une communauté où celui-ci semble enfin trouver sa place.

National Anthem met ainsi en scène la réappropriation des codes classiques de l’Amérique blanche, hétéro et conservatrice, dans un décor où les étoiles et rayures du drapeau américain côtoient, sans opposition, l’arc-en-ciel de l’étendard LGBTQIA+. Ses personnages s’emparent d’une culture longtemps vue comme oppressive dans sa perpétuation des stéréotypes de genre et d’une forme de violence, à la fois sociale et politique. Le film lui-même reprend des codes cinématographiques traditionnellement façonnés par le regard masculin, comme le western, mais aussi le conte de fées. Lorsqu’il passe pour la première fois la grille du ranch, surmontée d’un panneau « House of Splendors », Dylan est saisi par une apparition : Skye (Eve Lindley), à cheval en robe de princesse, les cheveux au vent. Dans ce qui ressemble à une reconstruction queer du paradis originel, la jeune femme est filmée au ralenti, telle une manifestation divine. La splendeur est ici dans l’alchimie entre les corps, comme dans les images de Katelin Arizmendi. Dans les collines rouges du désert, le sable et les corps se mélangent dans une scène d’orgie sous champignons, qui combine délicatesse et désir sans détour, visions oniriques et réalités sensuelles.

Si le scenario présente quelques fragilités, notamment à la fin du film, sa force repose en grande partie sur son désir de ne jamais ni expliciter ce qu’il met en scène, ni justifier ce qui motive ses personnages. Aucun d’entre eux n’expliquera ou ne mettra de qualificatif sur son identité de genre ou sa sexualité. Dans certains dialogues ou moments de rapprochements intimes, Luke Gilford joue sur les attentes des spectateur.rices, habitué.e.s aux scènes de révélation sur la pseudo réalité anatomique ou identitaire des protagonistes. Ici, pas de vérité ni de message asséné, mais la liberté et la force politique d’être qui l’on veut, sans honte ni étiquette.

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Critique publiée le 2 août 2024.