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In a Violent Nature (2024)
Chris Nash

Mécanique du massacre

Par Olivier Thibodeau

« Réinventer » le slasher n’est pas une tâche facile, mais le cinéaste ontarien Chris Nash y parvient avec assez d’adresse pour mériter son succès d’estime auprès des amateur·ice·s du genre. Les échos de Sundance (où le film a tenu sa première mondiale en janvier dernier) étaient plutôt positifs. On parlait d’une « étude de personnage » ; on évoquait même la sensibilité méta du Behind the Mask (2006) de Scott Glosserman. Mais là où ce dernier s’intéressait aux codes visuels, au symbolisme psychanalytique et à la construction narrative du genre, Nash s’efforce à la place de décrire la mécanique implacable qui régit l’archétype du tueur surnaturel à la Jason Voorhees, qu’il portraiture ici avec une déférence mêlée d’ironie. Il résulte du processus un récit extrêmement procédural, mais parfaitement fidèle à la formule éculée qui a nourri le marché VHS pendant deux décennies. C’est aussi l’occasion pour le réalisateur de célébrer les excentricités plastiques qui ont fait les choux gras du cinéma d’épouvante pour adolescents des années 1980, grâce à une série de séquences gore amoureusement élaborées.

Inspiré par l’énigmatique Gerry (2002) de Gus Van Sant, Nash développe ici une esthétique de la déambulation qui sied particulièrement bien au cinéma d’horreur de la traque monstrueuse. En se concentrant presque exclusivement sur un meurtrier muet nommé Johnny, qui progresse lentement à travers la forêt luxuriante du sud de l’Ontario à la recherche d’un pendentif dérobé par une bande de jeunes, In a Violent Nature dénude les rouages grinçants d’une figure arthritique, auquel seul le pouvoir des mythes, combiné à la thaumaturgie foraine du cinéma, parvient à ériger en croque-mitaine. Johnny est invincible et inarrêtable, et ses prouesses physiques dépassent de loin les capacités d’un être humain moyen, gracieuseté d’un appareil technique et d’une narration entièrement dédiés au fantasme de puissance qu’il représente dans l’écosystème du genre. En ne s’intéressant qu’à cette figure, le film arrive également à escamoter la caractérisation laborieuse des personnages d’adolescent·e·s insipides qui lui sont jeté·e·s en pâture, et que le glissement de focalisation permet de reléguer en périphérie du récit que constitue la quête silencieuse de leur bourreau. En gardant celui-ci constamment dans notre mire, il conjure aussi complètement la pratique déloyale du « jump scare » sur laquelle misait si lourdement la série des Friday the 13th. Pas de bout de lance qui pénètre subrepticement dans le cadre pour transpercer la gorge d’un adolescent ici, que le spectacle décomplexé d’une prédation au résultat télégraphié… et l’extrapolation perverse du dépeçage imminent des victimes. Bref, la manifestation d’un cinéma d’horreur populaire réduit à sa plus simple expression d’anticipation macabre.

Le film révèle d’emblée son parti pris avec une séquence dédiée au réveil du dépeceur, où les personnages de ses (futures) victimes restent complètement en hors champ. « Que fait ce pendentif en plein milieu de nulle part ? », demande la voix d’un adolescent tapi à l’extérieur du cadre tandis que la caméra arpente une cabane délabrée où se dresse une grande tige de métal sur laquelle pendouille le bijou. Une autre voix s’engage alors dans une explication didactique à propos du « White Pine Massacre » qui se serait déroulé dans ces mêmes bois une décennie plus tôt. On infère dès lors que le retrait du pendentif provoquera la résurgence de son auteur, chose que confirment le tressautement de la tige et la résurrection spectaculaire qui suivent le vol du collier par une main subreptice. La focalisation nous force alors à partager la perspective du meurtrier, dont les victimes ignorent l’existence, mais dont nous connaissons tout, de sa position spatiale à son dessein en passant par son histoire familiale (par voie d’un court flashback provoqué par un coup d’œil dans le miroir). Nous le suivrons scrupuleusement de sa tombe vers la forêt, où la caméra adopte un point de vue à la troisième personne qui nous place directement dans son sillon, jusqu’à une petite maison où il massacrera un péquenaud lambda, puis le chalet où sont regroupés les jeunes du début. Toute la mise en scène, sobre, silencieuse, presque pieuse de l’œuvre se trouve ainsi dédiée à l’étude d’un personnage d’automate inhumain, mu par l’idée fixe d’une rétribution d’outre-tombe, et à la démonstration guignolesque de ses pouvoirs surhumains.


[Low Sky Productions / Shudder / Zygote Pictures]

Paradoxalement, le fait de s’accrocher à cette entité silencieuse et maladroite ne fait qu’exacerber l’ennui que distillent les personnages de héros adolescents qui accaparent généralement le temps d’écran dans les productions du genre. La complicité avec le meurtrier nous stimule en laissant planer la perspective constante d’un assassinat sanglant — c’est l’unique raison d’être de cet archétype après tout — de sorte que les quelques scènes réservées aux personnages humains nous apparaissent d’autant plus agaçantes. Celles-ci constituent néanmoins la chance de constater la stricte fonction mythologique des victimes. La majorité du temps qui leur est consenti (incluant une longue séquence de travellings circulaires autour du feu) ne sert qu’à entretenir l’aura mystique du méchant. Le poteux de la gang narre le récit de Johnny à des comparses peu convaincu·e·s, qui devront subir la morsure de ses armes pour y croire ; le garde-chasse aguerri, survivant du White Pine Massacre, raconte son expérience, avant de se faire découper à son tour, rappelant lui aussi la place de subalterne qu’il occupe au sein d’une économie narrative mise entièrement au service du croque-mitaine. Même le costume de pompier forestier dont s’affuble ce dernier lors de sa visite dans une station touristique participe d’un processus d’individuation thématique cher au genre. C’est une façon détournée de l’inscrire dans un écosystème social sans toutefois développer une véritable perspective sociologique sur l’univers diégétique. C’est le signe extérieur d’une appartenance folklorique que vient incarner (et ironiser) la figure dégénérée de la créature ; c’est surtout l’expression principale de son identité auprès du public. C’est la personnalité d’un être sans personnalité.

Le costume ne se résume pourtant pas au particularisme social du tueur, mais à son identité de bourreau également, tel qu’en témoigne la spécificité des armes (ici la hache et la chaîne au double crochet) associées à l’accoutrement qu’il revêt. Les slashers se définissent avant tout par leur façon de faire violence (Jason avait sa machette, Freddy ses griffes), et l’un des plus grands plaisirs du film de Nash tient au ludisme qu’il déploie dans le spectacle inusité du maniement de l’arsenal qui se retrouve dans la forêt. L’excitation entourant la pleine démonstration des pouvoirs de Johnny est également tributaire d’un sens de l’anticipation assez habile de la part du réalisateur qui, après la rencontre initiale de celui-ci avec le péquenaud lambda, effectue un raccord sur son poing maculé de sang, suivi d’un travelling vers la victime gisant au sol, le visage défoncé et le bras sectionné. Et lorsqu’on voit le boucher se promener avec ses crochets et sa hache en main, lorsqu’on le voit tester la fendeuse à bûches, il ne nous reste plus qu’à espérer le pire pour les pauvres agneaux coincés dans le sillon du loup (tel que le veut la métaphore animale constamment réitérée dans le scénario). Et à cet égard, le film ne déçoit pas, déployant moult chorégraphies morbides savoureuses aux effets gore travaillés qui font foi d’un esprit forain qui s’inscrit à la fois dans l’auscultation patiente de la Bête, mais aussi dans la démonstration spectaculaire de ses capacités.

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Critique publiée le 31 mai 2024.