DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Paranormal Activity (2007)
Oren Peli

Quand la peur nous gagne

Par Laurence H. Collin
Plus les années se succèdent, moins il nous paraît difficile de concevoir un futur dans lequel nous visionnerons toute forme de cinéma sur nos propres écrans plats 120 pouces, bercés par le bourdonnement continu d’un système de son surround dans le confort de notre salon. Piratage industriel de films, délai s’amoindrissant continuellement entre le cinéma et le DVD, prix gonflés aux guichets - ''à quoi bon'', se disent déjà certains à l’égard du grand écran. Même aux yeux d’un cinéphile assidu tel le présent chroniqueur, il faut bien admettre que les circonstances nous contraignent parfois à vouloir de plus en plus favoriser le cinéma maison. Des instances comme celles où l’on se demande quand était la dernière fois que nous avons vu un film en salles, ou si le nouveau Soderbergh peut attendre quelques mois de plus s’avèrent de moins en moins rares. Naturellement, juste quand l’enthousiasme pour la salle de ciné commence à blêmir un peu trop, une production ensorcelante émerge de nulle part et désamorce une privation aussi absurde. Bon public, voici Paranormal Activity; expérience communale au traitement minimaliste certes emprunté, mais à l’efficacité prodigieuse, rendant sa projection sur grand écran non pas ''vitale'' - car il ne faudrait pas méconnaître la puissance viscérale de l'oeuvre elle-même - mais assurément enrichissante à son bon fonctionnement.

‘‘You believe me, right?’’, lance donc Katie (Katie Featherston) à son copain Micah (Micah Sloat) à propos d’une caméra vidéo que monsieur s’est récemment procuré - le nouveau joujou électronique servira en fait à documenter certaines occurrences supposément paranormales qui se sont produites la nuit en la présence de Katie. Tous deux dans la vingtaine avancée, voilà qu’ils viennent d’emménager dans une jolie demeure banlieusarde de San Diego. Le jour, caméra à la main, ils essaieront de déterminer la cause de ces évènements inexplicables, allant même jusqu’à solliciter l’aide d’un démonologue. La nuit, caméra fixée au trépied, ils tenteront de sommeiller malgré d’étranges conjonctures qui ne demanderont que d’être examinées une fois le soleil levé. L’audience de Paranormal Activity se verra donc exposée nuit après nuit à la même prise de vue monochrome de la chambre à coucher du couple, avec sa porte bien ouverte sur le corridor et ses escaliers ainsi que de l’horloge fixée au coin droit inférieur de l’écran. En conditionnant son public à témoigner des inquiétantes occurrences surnaturelles dans ce plan seulement, l’oeuvre du nouveau venu Oren Peli estampe l’image banale dans la tête du spectateur pour ensuite la réitérer en un tableau particulièrement angoissant. Procédure pavlovienne semblant à prime abord plutôt obtuse, la reprise soutenue de ce cadrage ne se limite étonnamment pas aux mêmes tactiques d’effroi, allant chercher le maximum de frissons à travers plusieurs artifices ingénieux - évidemment, le moins possible étant relaté sur ces techniques... Disons tout simplement que cette lente ascension d’épisodes obscurs, régulée par un cadran accélérant durant les heures de sommeil ininterrompues du couple et ralentissant tout juste avant l’activité paranormale tant attendue, maintient une tension presque insoutenable jusqu’à la toute dernière image du film.

L’efficience saillante d’un film conçu avec un budget aussi microscopique réside donc dans son respect sentencieux d’une règle transcendante du cinéma d’épouvante : toutes les images que l’on peut présenter au spectateur ne valent rien comparées à celles que celui-ci peut s’imaginer. Il n’est donc pas très surprenant de constater que l’horreur générée par le récit découle entièrement d’un concept tout aussi inquiétant, soit celui de l’inconnu s’introduisant dans le quotidien sans raison apparente. Katie et Micah ne campent pas dans une forêt suspecte, pas plus qu’ils ne se sont pourvus d’une maison construite sur un cimetière ou qu’ils n’ont fait de pacte dément avec un homme dans un ciré noir un soir de pluie - une entité malveillante s’est accrochée à Katie lorsqu’elle avait huit ans, et voilà tout. La crainte s’enracine donc sans problème puisque leur quotidien est solidement rendu par l'approche spontanée de Peli, celui-ci laissant ses personnages à peine esquissés convaincre dû à des préoccupations authentiques, des échanges sonnant justes, des touches d’humour dégagées et l’interprétation désarmante de naturel des comédiens. Un titre viendra incontestablement à l’esprit du spectateur durant le premier tiers de la projection, et avec raison - soit The Blair Witch Project - mais la corrélation s’affaiblira de plus en plus : tout d’abord parce que Paranormal Activity s’affaire davantage à une parcimonie extrême d’images troublantes qu’à une absence totale de celles-ci, et ensuite parce que le menace proposée prendra des dimensions palpables à un point précoce et inusité du récit. Bien qu'il prévienne une structure de trois actes classique à son genre, d’où une certaine impression de flottement ressentie à mi-parcours, cet empêchement d'un doute quelconque sur la nature des évènements ne permet aucune halte à l’énervement progressif imposé.

Les respirations suspendues, les sursauts, et les soupirs de l’audience assujettie aux tics, rémissions et fracas de Paranormal Activity contribuent donc généreusement à cette exaction robuste des attentes du spectateur. Voici l’un des rares cas cinématographiques de l’année à utiliser sa familiarité à des fins tout bonnement ahurissantes, ne laissant qu’à peine ses intelligentes stratégies de manipulation transparaître derrière sa façade rudimentaire. La peur est concrète, dérangeante, puisque celle en nous l’est tout aussi. Qu’importe, en bout de ligne, si l’esthétique du film de Peli n’a rien de bien exceptionnelle. Qu’importe si l’utilisation particulière de deux accessoires patents provoque un effet inégal face à la portée de l’oeuvre. Qu’importe si les motifs de Micah à conserver sa caméra en tout temps, bien que clairement définis, ne donnent pas dans la cohérence absolue. Pendant un peu plus d’une heure et demie, Paranormal Activity domine l’écran au grand complet ainsi que tous ceux qui l’observent. Viendra un point où les blagueurs habituels ne trouveront absolument plus matière à ricaner, et ce silence collectif pesant dans l’obscurité du cinéplex, certainement garant de plusieurs nuits blanches à venir, parle au nom d’un véritable prodige dans sa branche, et rien de moins.
7
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 8 novembre 2009.