Toujours garder son casque
Par
Laurence H. Collin
Les rêveurs, les underdogs, les petits poissons qui deviendront grands - d’impérissables coups de foudre au sein des mangeurs de popcorn. Le drame sportif, valeur sûre dans le septième typiquement hollywoodien, connaîtra ses premiers tours du chapeau avec Rocky et Karate Kid. Leurs triomphes successifs auprès du public auront cimenté les fondements sur lesquels s’appuieront des ribambelles de copies carbones dans les décennies suivantes. Inutile de tomber dans l’énumération - même les caricatures de ces ballades relatant le chemin de la gloire d’athlètes improbables, mais héroïques (malgré leurs évidentes faiblesses), ont depuis longtemps perdu leur fraîcheur. Et les femmes, dans ces univers sportifs à dominance masculine, auront aussi eu droit à leurs montées vers l’accomplissement personnel, peu importe la discipline à l’honneur - viennent tout de suite à l’esprit A League of their Own, Bend it like Beckham ou encore Million Dollar Baby (quoique ce dernier ait une portée spirituelle qui l’élève largement au-delà du récit sportif traditionnel). Whip It, scénarisé par Shauna Cross à partir d’un roman inspiré de sa propre immersion dans le monde du roller derby, joint les rangs du sous-genre sans grande maladresse et marque une première réalisation plutôt réussie dans l’ensemble pour la comédienne Drew Barrymore. Il est donc assez décevant de constater que son adhérence à la recette éprouvée du film de ‘‘champions sportifs en devenir’’ contraste aussi malencontreusement avec ses thèmes de refus de la conformité et de découverte de soi.
Whip It : à l’orée de son passage à l’âge adulte, la jeune texane Bliss Cavendar (Ellen Page) se voit encore participer aux insipides concours de beauté que sa mère (Marcia Gay Harden) lui impose depuis bas âge. Extrêmement lassée de ces compétitions ne lui inspirant absolument rien (et d’où elle ne sort jamais gagnante de toute façon), Bliss rêve de quelque chose à quoi s’accrocher, même si Dieu sait qu’il n’y a pas grand-chose de stimulant dans le trou perdu où elle et sa famille résident. C’est la vue d’un groupe de femmes tatouées, déchainées, libérées et sur roulettes qui lui mettra la puce à l’oreille - juste assez pour lui faire assister (sans l’approbation des autorités parentales, bien sûr) à une soirée animée de roller derby à Houston avec sa meilleure amie Pash (très bonne Alia Shawkat). Bliss se verra totalement enivrée par le talent de ces dames coriaces au coup de patin gracieux et au coup de coude virulent. Avec un courage et une endurance physique qu’elle n’a jamais connu d’elle-même auparavant, Bliss fera ses preuves et parviendra même à joindre l’équipe des Hurl Scouts. Mais plus sa nouvelle voie se verra exigeante, plus le risque que sa mère découvre ladite passion clandestine haussera - que sera donc le coût de cette éprouvante double vie, en bout de ligne? Disons tout bonnement que l’on ne donnera pas de médaille à quiconque s’avère capable d’en prédire le dénouement, car dès son ouverture, le récit de Whip It donne l’impression d’être formaté comme simple course à obstacle n’ayant que pour but cette ultime confrontation émotive mère-fille, ou plutôt ce que l’on serait tenté de désigner comme la scène du ‘‘…mais maman, c’est ÇA que j’aime’’.
Aucune surprise, donc, dans le déroulement du film de Barrymore, si ce n’est que de la plongée dans un microcosme trop peu connu chez les amateurs de sports. On saluera le doigté étonnant de la réalisatrice à manier sa caméra lors des affrontements entre deux équipes, toujours capturés dynamiquement et découpés sans confusion. Elle fait d’ailleurs preuve de peu de retenue quand à la violence du sport lui-même, blessant héroïnes et rivales à chaque match, sans exception - ces joutes étant, il faut le dire, performées en grande partie par les comédiennes elles-mêmes sauf dans les plus dangereuses culbutes. Pour les scènes moins mouvementées, la mise en scène de Barrymore privilégie la compétence à l’originalité, laissant la voie libre à sa distribution prodigieuse. Centré sur la composition authentique de Ellen Page, Whip It offre ici à l’interprète révélée au grand public dans Juno un autre rôle d’adolescente à cheval entre deux âges, mais cette fois-ci au caractère largement moins extraverti. Bliss est un être dont l’intériorité, bien que propice à un parcours très prévisible, mérite d’être incarnée par une force tranquille plutôt qu’à une présence à l’écran imposante. Page s’avère donc un choix de casting judicieux : celle-ci choisit d’habiter le personnage de l’intérieur plutôt que de l’interpréter à gros traits, et bien qu’il se situe sans doute dans la ‘‘zone de confort’’ de la jeune actrice, celle-ci maîtrise ses dimensions avec un timing impeccable. Elle est épaulée par l'excellente Marcia Gay Harden, qui limite les pressants larmoyants de son rôle et donne beaucoup d’épaisseur à un personnage plutôt bidimensionnel sur papier. Si la scène convenue mentionnée plus haut dans laquelle le terrible secret de sa progéniture est découvert ne fait pas mal à regarder (malgré ses répliques paralysantes de banalité), c'est surtout parce que les deux actrices l'interprètent davantage comme un instant où deux femmes s'exposent enfin leur conception de la vie plutôt que comme l'affrontement familial mélodramatique que le texte suggère.
Hélas, les instants dans lesquels la sincérité des interprètes, tous forts attachants au passant, parviennent à neutraliser le sentiment de préchauffé de la trame narrative s'avèrent rares, trop rares. Malgré des touches d'humour faisant mouche (les surnoms de derby sont d'ailleurs très comiques), la formule n'est jamais bien loin. L'intérêt romantique que représente un beau guitariste et chanteur de groupe rockabilly (Landon Pigg) envers Bliss devient rapidement fleur bleue - leur tension amoureuse culminant enfin dans une scène où ceux-ci ont leurs premiers ébats dans une piscine, pirouettant, s'embrassant maintes fois et se déshabillant jusqu'aux sous-vêtements alors que le montage n'aie pas cru bon conserver les instants où ceux-ci remontent à la surface pour reprendre leur souffle. La bande sonore, première création originale de The Section Quartet, double chaque moment de découverte ou d'émotion de mélodies parfois un peu trop sûcrées, parfois carrément dégoûlinantes, jusqu'au point de faire espérer un peu de silence. Et c'est sans parler de la scène requisitoire où les règlements du roller derby sont expliqués, machinale et didactique au possible avec son schéma gribouillé informatiquement et occupant la moitié de l'écran.
Les intentions honorables de tous ceux derrière Whip It sont bien senties; on ne cherche pas en aucune façon à réinventer la roue, mais bien à raconter l'histoire d'une marginale trouvant l'épanouissement dans une discipline sportive méconnue. Sommes-nous en mesure de nous demander pourquoi était-il donc nécessaire de manoeuvrer son ascension avec toutes les conventions du genre quand un récit comme celui-ci évoque l'importance de l'intégrité et de la différence? Une scène en particulier traduit très bien la construction du film de Barrymore - on y voit Bliss et d'autres joueuses de derby de son équipe (comprenant Kristen Wiig, Eve, Zoe Bell et la réalisatrice elle-même) échanger dans une cafétéria de gymnase, déblatérant joyeusement sur leurs blessures et sur leur plan de match. Surviendra la mesquine capitaine de l'équipe adverse (mémorable Juliette Lewis), qui les provoquera. Jusqu'ici, la dynamique de ce cercle de rebelles intéressantes et indépendantes fait plaisir à regarder. Mais cet accrochage les mènera ensuite à un foodfight instantané : tout à coup, de nombreuses tartes à la crème surgissent dans le tableau, faisant chavirer en un rien de temps un moment mignon et tout en retenue vers la sottise. La sincérité de Whip It lui permet donc de faire quelques tours de pistes, mais le projet est vite rattrapé par son protocole usé.
Critique publiée le 23 décembre 2009.