DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Hello Mary Lou - Prom Night II (1987)
Bruce Pittman

Tutti Frutti

Par Mathieu Li-Goyette

Vicki Carpenter, héroïne possédée à ses heures par un spectre diabolique, est étudiante à Hamilton High. Ses camarades de classe et ses professeurs ont pour nom de famille Browning, Romero, Henenlotter, Wood, Dante et Craven, formant une galerie de personnages dont les patronymes rendent hommage aux grands idéateurs du cinéma d’horreur américain. L’avalanche référentielle de Hello Mary Lou: Prom Night II n’est pourtant pas bien importante, ce n’est du moins pas ce qui rend si imaginative, excitante et surprenante cette suite sous-estimée, pas quand, dans l’urgence, les victimes du fantôme de Mary Lou fuient sa colère sanguinaire, couvée dans l’établissement depuis une funeste soirée de bal des finissant·e·s survenue il y a 30 ans (et tout droit sortie du Carrie [1976] de Brian de Palma). Non, les références gamines aux maîtres de l’horreur défilant lors du générique final ont plutôt l’effet d’une confirmation: Prom Night II est un hommage en même temps qu’une réappropriation, un film studieux, totalement conscient de ses origines au point d’être en mesure d’en proposer de nouvelles combinatoires pour le grand plaisir des cinéphiles déjà enterrés sous les suites qui, à la fin des années 1980, sont devenues dangereusement insignifiantes (le 4e film de Halloween, le 4e de Nightmare on Elm Street et le 7e film de Friday the 13th sont alors tous en production…).

Hamilton High, on l’imagine bien plantée en banlieue de Toronto, alors que tout le tournage est effectué à Edmonton, où le film bénéficie d’un directeur d’école enthousiaste à accueillir le projet, en plus d’être à la tête d’un établissement à l’architecture gothique — pile ce que recherchent les producteurs de la Simcom qui télécommandent la production à partir de la Ville Reine. Le tournage est alors l’occasion de faire travailler des équipes et des interprètes albertains, alors bien plus habitués à accueillir des projets de grandes plaines à saveur historico-westerniennes. C’est ce qu’on lit notamment dans un article du Edmonton Journal du 8 octobre 1987, publié à quelques jours de la première locale, alors que l’actrice principale, Wendy Lyon, 27 ans mais interprétant une adolescente de 17, confie ses angoisses aux journalistes. Actrice de télévision, interprète travaillante n’ayant d’expérience à l’époque que dans la minisérie Anne of Green Gables (1985) et le téléroman très « Haut-Canada » qu’était The Campbells (1986-1990), Lyon cherche par tous les moyens à s’établir comme une actrice de premier plan, tout en s’avouant apeurée par les films d’horreur et n’en avoir vu aucun depuis Poltergeist (Tobe Hooper, 1982). L’actrice avoue toutefois être satisfaite de ses « deux mois de travail », accablée par la scène de nudité sous la douche (« Yes, I thought it was gratuitous but there was nothing I could do about it then and there’s nothing I can do about it now »), puis finalement heureuse d’avoir pu jouer un personnage qui bascule dans le surnaturel grâce à une volonté de puissance toute subversive (« I felt great, very vibrant, very much in control and powerful »).

En effet, le personnage de Vicki Carpenter qu’interprète Lyon est fait de grands écarts («From good girl to bad girl», résume l’actrice), alternant entre l’adolescente issue d’un foyer catholique conservateur (aussi sorti de Carrie) et sa possession débridée par le fantôme de Mary Lou la tombeuse, morte, donc, il y a 30 ans, brûlée vive par un copain jaloux alors qu’elle venait d’être couronnée reine du bal des finissants. La possession opère dans Prom Night II a l’instar de celle de The Exorcist (William Friedkin, 1973) comme un révélateur d’une sorte de transgression face à l’institution (religieuse, comme chez Friedkin, en plus d’être ici scolaire), Vicki la rangée se transformant en une aguicheuse inquiétante, prenant en chasse les autres étudiant·e·s, les professeurs et même son père. Celle qu’on ira jusqu’à traiter de Linda Blair (en référence à l’actrice de The Exorcist) est une bombe en classe tout comme dans le bureau du directeur de l’école (joué par l’indispensable Michael Ironside), lançant des regards sournois et s’arrogeant le droit d’exciter les figures d’autorités les plus intouchables.


:: Wendy Lyon (Vicky Carpenter) [British Columbia Television / CFCN Communications / et al.]

« I knew Mary Lou / We’d never part », chantait Ricky Nelson en grand tombeur des années 1950 qu’il était, ces années qui justement débordent de partout dans Prom Night II, pris dans un revival assumé (au point d’être littéral) et constructif de la décennie rock ‘n roll tout en jouissant certainement de la sortie encore toute récente de Back to the Future (Robert Zemeckis, 1985) et de Peggy Sue Got Married (Francis Ford Coppola, 1986) qui avaient aussi fait de la période satinée leur avant-scène. En cela, avec sa structure qui se replie sur cette décennie et celle des années 1980, Prom Night II est plus intelligent qu’il n’y paraît au premier regard, proposant des parallèles évidents (dans le choix de la musique mais aussi dans des dialogues qui se renvoient la balle d’une époque à l’autre), montrant le fantôme de Mary Lou comme celui de la femme abusée, du type qu’on accusait autrefois de l’« avoir cherché ». Or son spectre, enfermé dans un cabinet de costumes du high school, est réveillé lorsque son diadème de reine du bal est profané, à la manière d’une vieille momie dont la malédiction viendrait s’abattre sur une nouvelle génération qui n’aurait pas vraiment appris de ses erreurs (reflétant aussi la faillite de toute une parentalité déconnectée dont le film se moque ponctuellement). 

La mode évolue, mais les institutions demeurent et le plaisir de les transgresser reste intact, tout comme la misogynie s’encrotte, avec le plaisir non-négligeable de voir les pires gaillards disparaître dans les rêves inavouables qu’ils entretiennent. Dans un sadisme plus inventif qu’effrayant, Mary Lou ne tue pas à coup de couteau (comme le tueur du médiocre Prom Night original [Paul Lynch, 1980] qui n’a rien à voir avec celui-ci [1]), elle tue plutôt par une réalité fantasmée qu’elle parvient à contrôler, étendant son emprise par-delà sa légende urbaine, coinçant ses victimes comme Freddy Krueger dans un univers onirique qu’impose sa présence diabolique. C’est tout le décor et ses objets (le cheval de carrousel à la langue qui s’avère visqueuse, le tableau noir qui devient une ténébreuse piscine  idée géniale qui annonce le portail infernal de Prince of Darkness [John Carpenter, 1987], sorti deux semaines après Prom Night II…), des subversions matérielles donnant lieu à de généreux trucages et à une mise en scène totalement complice du manège organisé.

On pardonnera ces interminables références, toutes finalement inutiles à l’appréciation du film, sinon pour pointer cette belle posture de la marge canadienne s’accrochant au gigantesque patrimoine horrifique américain, incluant les classiques adolescents de John Hughes ou celui à venir de Michael Lehmann (génial Heathers qui paraît l’année suivante). Pour le dire une dernière fois, il ne s’agit pas d’un simple assemblage référentiel à l’attention des initié·e·s. Il s’agit plutôt pour le réalisateur Bruce Pittman (cinéphile torontois, responsable de la remise sur pied du célèbre Revue Cinema de Toronto) et pour son scénariste Ron Oliver (qui deviendra le plus accompli des cinéastes à rabais des productions Hallmark !) de mélanger une pléthore d’éléments plus ou moins disparates en les réunissant sous le toit d’une même école (cinéphile), guidés par un discours appuyé sur l’asservissement des corps féminins aux mains des puritanismes et des abus de tous ceux qui n’ont pas su respecter la pauvre Mary Lou. En jonglant avec une certaine totalité du cinéma d’horreur ayant fait de la femme, entre autres, une final girl « simplement » héroïque, Hello Mary Lou: Prom Night II, parvient à accomplir sa critique des mœurs tout en livrant à ses victimes ce qu’elles avaient toujours secrètement désiré : une vengeance bonne pour crever l’imaginaire.

 


[1] Affublé en premier lieu d’un titre davantage canadien, The Hauting of Hamilton High devient Hello Mary Lou: Prom Night II à l’achat des droits de distribution du film par la maison Samuel Goldwyn, qui avait distribué le premier Prom Night, et qui crée ainsi de toutes pièces une franchise qui connaîtra deux autres épisodes parus en 1989 et 1992.

 

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Critique publiée le 18 juillet 2023.