DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Wrestler, The (2008)
Darren Aronofsky

Le dernier combat

Par Jean-François Vandeuren

Le générique d’ouverture de The Wrestler est en soi tout ce qu’il y a de plus éloquent. Sous un titre écrit en gros caractères d’un vert scintillant et un vieux tube « hair metal » pompeux et énergique à souhait défile un collage de coupures de journaux nous remémorant les exploits fictifs de Randy « The Ram » Robinson (Mickey Rourke), un catcheur professionnel ayant connu son heure de gloire durant la belle époque des années 80. Mais lorsque le quatrième long-métrage de Darren Aronofsky prend véritablement son envol, nous sommes aussitôt confrontés à une tout autre réalité. Nous retrouvons alors The Ram, vingt ans plus tard, dans les locaux d’une école primaire à la suite d’un gala amateur peu lucratif. Pour des raisons nébuleuses, la star a fini par toucher le fond. Randy habite désormais dans un parc de maisons mobiles dont il a peine à payer le loyer et travaille de temps à autre pour une épicerie d’un quartier peu favorisé du New Jersey pour joindre les deux bouts. Comme si ce n’était pas suffisant, l’univers de ce dernier chavirera de nouveau à la suite d’un combat particulièrement violent alors qu’il sera victime d’un arrêt cardiaque. The Ram devra du coup se résigner à accrocher ses bottes et son costume en spandex, lui qui s’exposerait autrement à une mort presque certaine. Le lutteur sera alors tiraillé entre l’appel d’un retour à la vie normale, qui lui permettrait d’approfondir sa relation avec une stripteaseuse avec qui il s’est lié d’amitié (Marisa Tomei) et sa fille (Evan Rachel Wood) qu’il n’a pas vue depuis des lustres, et celui d’un dernier combat d’envergure devant célébrer le vingtième anniversaire de l’un de ses plus célèbres affrontements.

The Wrestler n’est pas tout à fait le genre d’effort qui nous vient en tête lorsque nous pensons au cinéma de Darren Aronofsky, surtout après un trop ambitieux The Fountain qui en avait laissé plusieurs sur leur appétit. Il est d’autant plus étrange de voir le nom du scénariste Robert D. Siegel être associé à un tel projet, lui qui n’avait participé jusqu’à présent qu’à l’écriture de The Onion Movie. Et pourtant, non seulement le duo nous propose-t-il une incursion fascinante dans les coulisses d’une forme de divertissement de moins en moins populaire, mais il porte également un regard lucide et perçant sur un univers qui semble être resté figé dans le temps et qui repose en soi sur un grand nombre de contradictions - telle la fraternité unissant ses montagnes de muscles dont le métier est pourtant de se taper sur la gueule pour le plaisir d’un public friand de piètres performances d’acteurs et de violence gratuite. Le protagoniste de Siegel et Aronofsky est l’un de ces laissés pour contre qui n’a tout simplement pas réussi à suivre le courant. Un étranger dans un monde qui n’est visiblement plus le sien qui est resté accroché à sa console 8-Bit et qui continue de trainer sa carcasse dans un vieux Dodge Ram (tiens donc…) en réécoutant les hymnes heavy metal d’une ère qui n’avait pas encore été souillée par la plume anxieuse et dépressive de Kurt Cobain. Les deux cinéastes dressent un portrait étonnamment sensible et touchant de cet individu condamné à porter les marques de son alter ego, l’accompagnant discrètement dans son quotidien et dans les différentes étapes de sa préparation, qu’il s’agisse d’une brève visite au salon de bronzage ou de la prise de substances illicites devant l’aider à garder en forme une enveloppe corporelle de plus en plus vieillissante.

Ce qui retient également l’attention tout au long du présent long-métrage, c’est la grande sobriété et l’immense retenue dont fait preuve Aronofsky dans l’orchestration de sa mise en scène. Ce dernier délaissa d’ailleurs complètement les effets de style dont regorgeaient ses trois précédents opus pour nous immiscer de façon beaucoup plus naturelle dans la lourde réalité de ses deux principaux personnages. Un monde d’une dureté qui ne fait souvent aucun compromis et dans lequel la meilleure source de protection et de réconfort demeure encore les liens que ses habitants tentent tant bien que mal de tisser les uns avec les autres. Appuyé à la direction photo par Maryse Alberti - dont les expériences passées furent souvent liées au cinéma documentaire -, le réalisateur nous propose une vision extrêmement franche et directe de cet univers peu clément en basant la quasi-totalité de sa démarche artistique sur la simple utilisation de la caméra à l’épaule. Aronofsky accompagne ainsi son sujet tel un ange gardien impuissant se tenant juste au-dessus de son épaule, soulignant sans éclat, mais avec une force de frappe tout de même considérable, les petites victoires de ce dernier tout comme les défaites les plus amères. Le cinéaste observera d’ailleurs l’ensemble des actants de ce microcosme grisâtre et en décrépitude sans jamais porter le moindre jugement ou chercher à inspirer un quelconque sentiment de pitié chez le spectateur. Le Jersey de The Wrestler rappellera en ce sens le Hochelaga-Maisonneuve du surprenant Le Ring d’Anaïs Barbeau-Lavalette, si celui-ci nous avait été présenté à l’origine non pas du point de vue d’un fanatique, mais plutôt de celui de l’un de ces gladiateurs qui combattaient jadis dans les plus grands amphithéâtres et qui ne peuvent désormais se produire que dans les salles communautaires à moitié vides de quartiers peu cossus.

Une grande partie de la réussite de The Wrestler repose évidemment sur la performance phénoménale d’un Mickey Rourke que nous n’aurions jamais cru capable d’une telle intensité dramatique. Le parcours personnel de l’acteur lui aura, certes, permis de camper ce personnage pris entre deux univers diamétralement opposés avec un naturel confondant en plus de rendre cette figure somme toute assez pathétique terriblement attachante. Face à Rourke s’exécute une Marisa Tomei tout aussi convaincante dans un rôle assez similaire, elle qui sera tiraillée entre son travail dans un bar de danseuses nues et son rêve d’élever son fils dans un milieu un peu plus accueillant et chaleureux. Le tout viendra évidemment renforcer l’idée de dualité sur laquelle repose essentiellement tout le film et qui mènera au dernier saut de l’ange d’un The Ram qui aura alors tout à perdre et plus rien à gagner. Après les junkies de Requiem for a Dream, Aronofsky nous expose à un autre cas de dépendance - cette fois-ci à l’adrénaline et à l’amour de la foule - qui conduira de nouveau son protagoniste au bord du gouffre. Il ne reste plus qu’à espérer que le réalisateur continuera de s’attaquer à ce genre de projets à l’avenir, lui qui possède vraisemblablement tout le talent et le flair nécessaires pour prendre de tels cas de misère humaine et de profonde désillusion et les transformer en récits tout ce qu’il y a de plus poignants. The Wrestler s’intéresse à un sujet évidemment beaucoup plus convenu et moins ambitieux que le précédent effort du cinéaste américain, mais l’un avec lequel ce dernier est visiblement beaucoup plus à l’aise également. Preuve que Darren Aronofsky a non seulement gagné en maturité derrière la caméra, mais qu’il sait désormais reconnaître ses forces, et surtout les domaines dans lesquels il pourra le mieux les utiliser.

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Critique publiée le 2 janvier 2009.