« New York, new rules », qu’ils disaient… sauf qu’il n’y a pas de New York ici ! À part la scène du métro et les quelques plans aériens archi glamour du début, tout a été filmé à Montréal, et ça paraît. Les séquences de traque meurtrière, assez réussies, où Ghostface vient mettre un peu de piquant dans le mélodrame constipant de la famille Carpenter (oui, oui, Carpenter), m’ont tenu en haleine, mais sinon, mon plus grand plaisir aura été d’identifier les différents lieux de tournage. Devanture de bar pour devanture de bar, dépanneur pour dépanneur, Ivy League pour Ivy League (les scènes à l’université ayant été réalisées sur le campus de McGill), ça fonctionne correctement — même malgré l’apparition à l’écran de l’occasionnel autobus de la STM. Mais il n’en reste pas moins que cette supercherie primordiale nous force ici à contempler le problème de l’âme, celle d’une suite qui porte le masque et la toge de l’original pour mieux cacher son visage momifié et son corps arthritique.
Il n’y a pas non plus ici de « nouvelles règles », le fatwa régnant sur les « legacy characters » ayant déjà été exploré dans l’épisode précédent et le fait que « tout le monde est suspect » faisant partie de l’ADN de la série depuis ses débuts. La scène obligatoire d’énumération de ces « nouvelles » règles parait donc ici platement procédurale, n’amenant qu’un mince filet d’eau à un moulin asséché (surtout que celles-ci semblent s’appliquer à un tueur monolithique, plutôt qu’à des antagonistes sans cesse renouvelé·e·s). Même le masque new-yorkais que porte le film en transposant l’histoire de Woodsboro vers non-Woodsboro évoque une tactique commerciale éculée — n’était-ce pas justement à New York que s’étaient retrouvées la série Friday the 13th en 1989 (Jason Takes Manhattan) et la série Hellraiser en 1992 ? Si on est chanceux, le prochain chapitre de Scream se déroulera peut-être dans l’espace. Après tout, ils l’ont bien fait pour Fast & Furious 9 (Justin Lin, 2021). À ce point-ci, on s’ennuie du Hollywood de Scream 3 (Wes Craven, 2000), qui au moins ressemblait au vrai Hollywood…
Scream VI débute de la façon prescrite par les écrits, avec une jeune amatrice de films d’horreur qui se fait déjouer au téléphone par un autre amateur du genre, plus malin et pragmatique, qui l’attire dans une ruelle pour la poignarder férocement, nous permettant de renouer momentanément avec la brutalité inouïe qui avait fait les choux gras du cinquième épisode. Or il ne s’agit pas ici de la blonde bécasse de Drew Barrymore, mais d’une professeure d’université, qui se révèle malheureusement comme une caricature ambulante elle aussi, assimilant avec pédantisme le film de slasher au « outsider art ». On dirait presque un fantasme haineux de cinéphile misogyne, de sorte qu’il n’est pas surprenant de découvrir l’un de ses élèves frustrés derrière le masque du tueur. Derrière le masque, oui, car on verra le jeune homme se dévoiler tout de suite après le meurtre, retirer ses vêtements noirs et se fondre anonymement dans la foule. Il s’agit certainement là du revirement de situation le plus inattendu et le plus rafraîchissant du film, même s’il nous confronte à la perspective déprimante de la proximité avec ce personnage pathétique, qui meure heureusement dès la scène suivante, question de compléter la double mise en abîme qui sert désormais de nouveau cliché dans la série… question de relancer le film sur la voie d’un whodunit particulièrement stérile étant donné qu’il y a ici trop de protagonistes pour trop de tueurs…
Le film s’essouffle ensuite déjà grâce à une scène particulièrement accablante chez le psychiatre, où l’héroïne raconte ses traumas à quelque vieux bonhomme perdu pour le bénéfice des gens qui n’auraient pas vu le film précédent. C’est bien, pas comme les films de Marvel, où on force les spectateur·trice·s à voir douze films pour comprendre les enjeux du treizième, mais c’est aussi l’occasion de révéler quelques-unes des principales tares de l’œuvre, notamment son scénario excessivement explicatif, sa perspective distinctement autarcique et ses personnages insipides, dont le drame intime est lourdement appuyé, mais mal intégré au récit central.
Par comparaison, on réalise d’ailleurs à quel point la recette de Scream (Wes Craven, 1996) était minutieusement dosée, à quel point l’humour et l’horreur (qui ressemblent ici à l’eau et l’huile), mais aussi le mélodrame et l’histoire de meurtre y étaient parfaitement intégrés. Misant sur un scénario savoureux, un montage confondant et une mise en scène constamment anxiogène, capable de générer du suspense à partir de l’absence tout autant que de la présence, Wes Craven parvenait à l’époque à tisser une trame narrative qui s’apparentait toujours à un flot continu, et dont le caractère immersif contraste grandement avec le présent film, où les scènes d’exposition apparaissent toujours comme des interludes pénibles et excessivement solennels entre les scènes d’attaque… La mise en scène arthritique et distraite de Gale Weathers est particulièrement affligeante surtout qu’il s’agissait d’un personnage si dynamique et attachant dans les épisodes précédents…
Face à une expérience d’horreur qui s’apparente de plus en plus à celui du slasher standard, prisonnier d’un univers où la transgression des règles s’apparente désormais aux dogmes que la série s’amusait autrefois à déconstruire, il ne reste plus comme refuge aux auteurs que la surenchère de référentialité. Or, cette dernière s’avère ici entièrement centripète, alors que la franchise ne s’intéresse plus qu’à sa propre mythologie, dans un effort autarcique qui en exhibe impudiquement la fonction nostalgique. On crée ainsi un espèce de musée à la gloire de Ghostface et des films de la série Stab comme repaire des tueurs, un lieu hautement invraisemblable qui n’a d’autre raison d’être qu’une forme de dogmatisation de LA règle de l’univers Scream, soit la sacrosainte référentialité. À tort ou à raison, le principe de citation se fait surtout à l’ancienne, à travers le fétiche des objets (les accessoires de tournage, ainsi que les masques et les couteaux utilisés par la ribambelle de tueur·euse·s passé·e·s) plutôt qu’en essayant d’aborder des formes plus contemporaines de réflexivité, médiatique ou autre (comme on l’avait fait dans Scream 4 [Wes Craven, 2011]). Le rapport de l’héroïne avec les reliques de son père Billy Loomis, l’un des deux méchants du premier, est certes intéressant, mais il n’est pas assez exploité, servant surtout à pourvoir un cliffhanger pour un septième épisode qui donne plus ou moins envie…
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