DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Violent Night (2022)
Tommy Wirkola

La schizophrénie de genre

Par Olivier Thibodeau

Tommy Wirkola carbure à la nostalgie, c’est bien connu. Depuis son Kill Bilju : Ze Film, parodie de Kill Bill (Quentin Tarantino, 2003), en 2007 jusqu’à Seven Sisters (2017) et son univers dystopique à la Ridley Scott, en passant par les Dead Snow (2009, 2014), où il ressort les zombies nazis de Shock Wave (1977), son cinéma est largement référentiel. Ici, il se paye un délire nostalgique particulièrement touffu, éclectique et viscéralement attrayant, sous la forme d’une tapisserie d’hommages aux classiques de Noël des amateurs de genre. Ce faisant, il s’inscrit d’ailleurs dans l’air du temps, tel qu’en témoignent les belles bandes-annonces qu’on a pu voir avant la représentation, celle pour un film d’horreur naturelle de stoners qui s’appelle Cocaine Bear (2023, réalisé par Elizabeth Banks) et l’autre pour un récit de « science-fiction d’épouvante » avec une petite gynoïde monstrueuse, M3gan (Gerard Johnstone, 2023), qui fait du breakdance avant d’attaquer les gens avec une lame de trancheuse arrachée. Voilà autant d’engeances hybrides, distinctement postmodernes, dotées d’un ton à la fois ouvertement parodique et parfaitement solennel. Le commerce de la nostalgie, c’est sérieux après tout!

Violent Night commence comme Bad Santa (Terry Zwigoff, 2003), avec une incursion dans un bar de cols bleus où un homme habillé en père Noël boit sa misère saisonnière. Or, il s’agit du vrai père Noël (David Harbour), dont on apprendra plus tard qu’il était autrefois un guerrier viking qui massacrait ses adversaires à coups de marteau. À l’instar de John McClane, il sera ensuite malencontreusement mêlé à une prise d’otages orchestrée par des voleurs aux noms colorés (Mr. Scrooge, Gingerbread, Candy Cane…) dans le manoir d’une matriarche suffisante, Gertrude Lightstone, qu’est venu visiter pour les fêtes son fils Jason, avec son ex-femme Linda et sa fille Trudy, qui souhaite que ses parents se réconcilient pour Noël. Ceci donne lieu à un enchevêtrement bordélique de récits distincts où seuls les traumas saisonniers des personnages semblent servir de liant dramatique, et où prime avant tout le déploiement complaisant des codes associés à chacun des genres qu’ils représentent. Tout est mélangé, comme dans un gros malaxeur postmoderne: les scènes d’action prosaïques et les méchants procéduraux de Die Hard (John McTiernan, 1988) (dans des plans séquences minutieusement chorégraphiés), le sentimentalisme dégoulinant du film de famille saisonnier (dans de longs plans pénibles), le Saint-Nicolas iconoclaste, vomissant et pissant, de Bad Santa, les séquences d’action gore à la Christmas Horror Story (Grant Harvey, Steven Hoban et Brett Sullivan, 2015), la comédie cartoonesque de Home Alone (John Hughes, 1990). Fidèle à la logique d’emprunt propre au cinéma de genre postmoderne, on profite ainsi du génie de chaque référent individuel sans jamais y accéder totalement, procurant au spectateur du plaisir dans des lieux faciles, dans la nostalgie, dans la surenchère, dans un effort transparent de « souiller » l’iconographie proprette de Noël pour mieux renchérir sur une poignée de classiques qu’on parodie pour mieux les encenser.   

Wirkola et sa bande beurrent large ici, et ils beurrent épais. Le film se révèle donc assez généreux, particulièrement dans ses séquences d’action, énergiques et violentes, où Chris Kringle brise les articulations de ses adversaires à coups de masse, où il les décapite à coups de patin, leur crève les yeux avec des étoiles électriques et les empale dans des glaçons. Ho ho ho! C’est très amusant pour les grands enfants, comme les variantes gore des pièges de Home Alone, où les méchants se prennent des clous à travers le menton et se déchirent la peau de l’occiput. On en ressort avec l’impression qu’il s’agit avant tout ici de fournir une version « épicée » du film de Noël populaire pour les grincheux, les cyniques et les machos, pour les amateurs de Krampus (Michael Dougherty, 2015), de Christmas Evil (Lewis Jackson, 1980) et de Silent Night, Deadly Night (Charles E. Sellier Jr., 1984), pour ceux qui s’obstinent avec acharnement à affirmer que Die Hard est bel et bien un film de Noël comme si ce combat n’était pas encore gagné… À ce titre, on privilégie systématiquement ici le grossier au subtil, le pastiche à l’originalité, le vulgaire au raffinement, tel qu’en témoignent les premiers propos du protagoniste à propos des « petites merdes » que sont devenus les enfants d’aujourd’hui et la rivière de vomi qu’il fait tomber sur des spectateurs ébahis du haut de son traîneau.

Dans son désir d’hybridité, dans son passage sec et subreptice de la comédie, à l’horreur, à l’action, le film développe malheureusement une identité schizophrène, parfois abrasive, où les ruptures de ton constantes nous tenaillent. Dur en effet de réconcilier la mesquinerie vicieuse des méchants avec l’humour léger de la caricature bourgeoise; on sent à la fois que cette mesquinerie est essentielle pour justifier le massacre, mais qu’elle est simultanément antithétique de l’approche gamine du genre que privilégie le film. Les scènes de torture « humoristiques », où l’on brise les doigts d’un père de famille à l’aide d’un casse-noisette, sont particulièrement indigestes, plutôt troublantes qu’hilarantes, évoquant presque le torture porn. On note conséquemment des discordances d’interprétation au sein de la distribution, alors que certains acteurs cabotinent de part en part (Cam Gigandet, par exemple, dans le rôle d’une pseudo-vedette d’arts martiaux), tandis que d’autres apparaissent trop sérieux, voire trop sombres, comme John Leguizamo dans le rôle de Scrooge, version prolétaire psychotique de Hans Grüber.

On s’amuse pourtant ferme avec Violent Night tant le film déborde d’énergie, tant il essaie de nous en donner pour notre argent, tant il est imbu d’une passion débordante pour le cinéma de genre. Même la confusion narrative semble liée à un désir de plaire, un désir candide de créer le film de Noël ultime pour un public niché, constitué d’amateurs simultanés de Bad Santa, de Home Alone et particulièrement de Die Hard, dont le film reprend plusieurs éléments en exacerbant son caractère noëlien. Le résultat est un genre de cocktail qu’il fera bon prendre en salle, à l’abri des intempéries hivernales, voire au salon, devant un feu de foyer crépitant, à l’instar des délires de l’époque VHS sur lesquels l’œuvre est basée.   

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Critique publiée le 6 décembre 2022.