Dans un rôle qui n’est pas sans rappeler son personnage des Invasions Barbares (Denys Arcand, 2003), Rémy Girard incarne Édouard Beauchemin, un professeur d’université de renom dont la mémoire commence à faire sérieusement défaut. Autrefois actif dans les médias et la vie intellectuelle de la Belle Province, sa maladie le pousse malheureusement à se retirer de la scène publique. Sa femme Madeleine (France Castel), exaspérée par l’incessant radotage d’Édouard et déterminée à vivre une idylle amoureuse avec un riche anglophone, le confie à leur fille Isabelle (Julie Le Breton). Elle-même surchargée par son emploi de journaliste, c’est à Patrick (David Boutin), son conjoint en rémission d’épuisement professionnel, qu’incombera la tâche de se charger de son beau-père. Mais celui-ci, décidé à retourner sur le marché du travail, ne trouve pas davantage le temps de s’occuper de lui. Il choisit alors de faire appel à sa propre fille Bérénice (Karelle Tremblay), une jeune femme cynique, sans emploi et qui n’a d’yeux que pour son téléphone. À travers cette rencontre intergénérationnelle, qui prend un peu les allures des Intouchables (Olivier Nakache et Éric Toledano, 2011) et de Still Alice (Richard Glatzer et Wash Westmoreland, 2014), mais version fleurdelisée et post-référendaire, la milléniale apprendra l’importance de connaitre son histoire nationale et d’aider ses ainés, tandis que le baby boomer reviendra sur un évènement qu’il passait sous silence, le suicide sa fille. Tu te souviendras de moi n’est pas sans bons points. Rémy Girard livre une solide performance. Les réminiscences que provoque chez lui l’approche de la mort sont ce qu’il y a de plus émouvant dans le film, mais ce dernier souffre dans son ensemble d’allégories faciles et de personnages à moitié écrits.
C’est clair comme le jour : Tu te souviendras de moi est un film sur le Québec. Quand on y traite de la mémoire défaillante d’Édouard, c’est de celle du peuple québécois dont il est question. Quand la charge du baby boomer se voit transférée aux générations X puis aux milléniaux, c’est de la jeunesse qui hérite de la dette des générations antérieures dont on parle. Puis, quand on fait d’une jeune femme suicidée l’un des thèmes centraux, c’est une métaphore pour le projet d’indépendance du Québec. Cela n’est même pas voilé, un simple calcul nous le révèle sans ambiguïté. En effet, Nathalie, la fille d’Édouard et Madeleine, a été conçue le soir de l’élection du Parti Québécois en 1976. Cette soirée-là, explique Édouard à la très milléniale Bérénice — elle ne connait rien sur René Lévesque, sinon qu’il était petit et aimait fumer —, tout le monde était à ce point électrifié que de nombreux enfants y doivent leur origine. Or, on apprend aussi que Nathalie s’est suicidée 19 ans plus tard, c’est-à-dire… en 1995, la même année que la deuxième défaite référendaire ! Parfois, le symbolisme du film ressemble au jeu de points à relier. L’équivalence entre les problèmes personnels des personnages et leur rapport au Québec relève de l’évidence : les baby boomers perdent la mémoire, les X se consacrent à leur carrière et les milléniaux s’en foutent… Comment ne pas considérer Tu te souviendras de moi dans le cadre d’un ensemble d’œuvres qui traitent plus ou moins des mêmes thèmes ? Tous ces demi-mots, ces litotes et ces allégories sont si terriblement compliqués, pour si peu au fond : nous n’avons pas besoin de 108 minutes de métaphore filée pour comprendre que l’indépendance du Québec a marqué la psyché des Québécois, que l’environnement est un enjeu pressant, que nous sommes surchargés d’informations et que les générations devraient s’unir et apprendre l’une de l’autre.
Édouard est une encyclopédie vivante (il le proclame lui-même). Allégoriquement parlant, il est le dépositaire de notre histoire et sa mort risque de réduire la devise « Je me souviens » à une simple mention sur les plaques d’immatriculation. Dans un des derniers moments du récit, Bérénice lui relit ses notes finales, dans lesquels il est parvenu à la conclusion — au fond libératrice — qu’à l’instar de son esprit, le Québec et sa langue sont condamnés à disparaitre. Cette résignation est assez surprenante, voire contradictoire, avec les nombreux gros plans sur le visage admiratif de la jeune femme lorsqu’elle écoute l’ancien professeur s’épivarder sur les référendums ou Ti-Poil, alors qu’au départ elle roulait des yeux à la seule idée d’étudier des « personnes mortes ». C’est un peu comme si on nous disait : l’histoire du Québec meurt avec une génération entière, mais les jeunes devraient s’épater de cette histoire qu’ils ne connaissent pas.
Dans l’une des dernières scènes, Bérénice offre à Édouard l’opportunité de s’adresser une dernière fois au Québec, en le filmant avec son téléphone pour publier son message en ligne. Un montage des visages ébahis de tous les personnages du film vient certifier que ce message est un coup de circuit. L’importance de léguer quelque chose au monde — surtout quand ce monde va excessivement mal — est au cœur du film, mais on ne comprend pas toujours ce qui doit être légué, parce que l’accent est constamment mis sur les capacités d’Édouard à épater la galerie, au détriment de la vie intérieure des autres personnages. Une grande part du drame tourne autour du fait qu’Édouard n’a de cesse de projeter sa fille suicidée sur Bérénice. Il faut sans doute comprendre que c’est maintenant à la jeunesse qu’incombe de faire le Québec de demain. Mais quelle est la vision du Québec de Bérénice, exactement? Davantage, quelles sont ses ambitions personnelles ? On croirait parfois qu’elle n’a été écrite que pour mettre en valeur Édouard, au point où son existence entière reste mystérieuse. Par exemple, elle accepte initialement d’aider ce vieil homme qui lui est inconnu en échange d’un salaire. À la fin du film, elle indique à son père qu’elle ne veut plus être payée : elle a appris la bonté et l’entraide ! Mais cela laisse en suspens la question fondamentale de sa survie. Comment doit-elle subvenir à ses besoins sans argent ? Semblablement, elle se promène en Dr. Martens et son sac est truffé d’épinglettes, comme pour nous signaler qu’elle est remplie de convictions. Mais ces convictions, le film ne les expose jamais vraiment. L’idéalisme est-il donc l’apanage d’une seule génération ?
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