Je me permets d’ouvrir ce texte en me citant moi-même. Non pas par vanité, mais plutôt pour souligner une grossière erreur de ma part. Dans ma critique du premier épisode de Venom, j’anticipais un énorme bide au box-office pour ce navet carabiné :
« Difficile de ne pas le considérer comme l’ultime épisode d’une série morte à l’arrivée qui entraînera le bannissement de Venom des salles de cinéma. »
Voilà ce qui arrive quand on se risque à jouer au petit malin. Quelques jours ont suffi pour me donner tort, Venom de Ruben Fleischer s’étant imposé comme un succès astronomique. En date d’aujourd’hui, il s’agit du troisième film le plus rentable de la franchise Spider-Man, et ce, malgré l’absence remarquée de Peter Parker. Il y a deux leçons à tirer ici. D’abord, que la critique a très peu d’influence sur les choix d’un public avide de blockbusters hollywoodiens. En témoigne le triomphe du pourtant abyssal Rise of Skywalker. Le second point à retenir est que je suis un bien piètre analyste d’industrie culturelle. Julien Bernatchez et Dom Massi ne m’inviteront jamais à leur podcast Box Sophisme…
Une suite à Venom était donc aussi prévisible qu’un troisième mandat pour Justin Trudeau. Les fans du personnage (ou plutôt des personnages ? Ça n’a jamais été clair), auxquels je fais partie, avaient plusieurs raisons d’être méfiants. Outre les séquelles causées par le long métrage de Fleischer, ils se doutaient bien qu’aucune production cinématographique ne saurait égaler la série récemment publiée par Marvel Comics. Du côté des bandes dessinées, 2021 a été une sacrée belle année pour Eddie Brock et la symbiote. Le scénariste Donny Cates et l’illustrateur Ryan Stegman se sont surpassés avec la conclusion épique d’une saga entamée trois ans plus tôt. En adressant les contradictions morales de Venom, ils ont su respecter l’essence du justicier tout en le propulsant vers de nouveaux horizons. Paternité inattendue, voyage interdimensionnel et conflits avec des adversaires de toujours étaient portés par l’énergie des dessins animés du samedi matin. Le point culminant de cette réjouissante odyssée était un événement de grande envergure qui, bien évidemment, impliquait l’univers de Marvel au grand complet. Brock et compagnie devaient alors affronter Knull, l’impitoyable dieu des symbiotes. Annoncée depuis longtemps, cette grande mêlée avait l’ampleur d’une symphonie wagnérienne. Un sommet avait été atteint. La chute, quant à elle, risquait de faire mal, ne serait-ce parce que les productions Marvel font trop souvent acte de prudence. En ne retenant quasiment rien de l’inventivité des comics contemporains, elles apparaissent un brin fades.
Au lieu de suivre Cates et Stegman sur leur lancée en exploitant le potentiel mythologique de Venom, Let There Be Carnage n’a rien de mieux à offrir qu’un récit mineur. Le film s’impose effectivement comme un passage obligé pour son personnage-titre. Si Batman va invariablement croiser le Joker, l’héroïsme de Venom se définit à partir d’un conflit avec son double maléfique (qui, pour l’anecdote, a lui-même rencontré le Prince du crime dans les années 90). Carnage est la version enragée de son prédécesseur, l’effroyable fusion entre la symbiote et un dangereux psychopathe. Beaucoup plus puissant, sa folie meurtrière le prive de toute empathie. Le rôle de Carnage s’avère simple, nous rappelant d’un numéro à l’autre que le costume extra-terrestre ne doit jamais tomber entre de mauvaises mains. Il a donc réussi à confirmer que Venom est finalement un type bien intentionné, malgré sa manie à bouffer le cerveau d’autrui. Comme quoi Marvel n’a jamais su gérer convenablement certaines questions éthiques et morales…
Venom : Let There Be Carnage se limite àrépéter un acte narratif déjà vu en BD, en jeux vidéo et en dessins animés. Cette reprise fait néanmoins partie du pacte que les fans signent avec le récit super-héroïque. Quand on lit une aventure de Spider-Man ou de Daredevil, on lit toujours sensiblement la même chose. L’efficacité découle alors de l’exécution, des moyens mis de l’avant par les scénaristes pour apporter une variation sur un même thème. Dans le cas de cette suite, son réalisateur Andy Serkis a su capitaliser sur le seul élément de Venom méritant d’être sauvé.
Si Tom Hardy a su épater la galerie avec sa performance dans le premier épisode, c’est bien parce qu’il n’en avait rien à foutre. Cabotinant à souhait, il se démarquait en refusant volontairement d’être pris au sérieux. Acteur de formation, Serkis a retenu le je-m’en-foutisme de la vedette et l’a brillamment appliqué à l’ensemble de son long métrage. Let There Be Carnage est un pur produit d’autodérision, une œuvre sans aucun temps mort qui assume pleinement la bêtise de son propos. Cette posture aurait pu mener tout droit à la catastrophe, mais le résultat s’avère jubilatoire. Profitant des excentricités admises par son rôle, Woody Harrelson interprète Carnage avec un plaisir contagieux. Il en va de même pour Hardy qui transforme la dualité Brock/symbiote en hilarant « buddy movie ». Sur ce point, il est à parier que l’expertise d’Andy Serkis à titre de comédien joue beaucoup sur cette dynamique. Ayant lui-même incarné Gollum pour Peter Jackson, il accorde à ses vedettes la possibilité d’épouser la dimension numérique de leur prestation avec humour et espièglerie. Généreuses, les scènes de combat délaissent également un parti pris réaliste en épousant une esthétique propre aux origines bédéesques des protagonistes. Serkis renoue avec l’esprit de la série Maximum Carnage (1993) et rend un vibrant hommage à l’une des périodes les plus étonnantes de la « Maison des idées ».
La force de Let There Be Carnage est de ne pas être un grand film. Alors que la majorité des productions super-héroïques cherchent à s’imposer comme des œuvres majeures, l’honnête long métrage d’Andy Serkis lance un appel à la rigolade. Espérons maintenant qu’il sera entendu et que d’autres projets en cours suivent le pas. J’ai eu tort de croire que Venom avait dit son dernier mot au cinéma. Une fois n’est pas coutume, je suis ravi de m’être gouré !
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