À peu près personne ne parle de The Running Man. Les gens semblent à peine se souvenir de l'existence du film – pourtant réalisé par Carol Reed, l'auteur du très grand The Third Man (1949). C'est tout juste s’il existe une légende urbaine à son sujet. Durant des années, à Hollywood, on a raconté que son échec commercial était imputable au fait qu'il mettait en vedette Lee Remick et Laurence Harvey et que leurs noms combinés évoquaient celui de Lee Harvey Oswald, l'assassin présumé de John F. Kennedy. La vraie raison a sans doute beaucoup plus à voir avec le fait que The Running Man devait paraître un peu vieux jeu, selon les standards de 1963. À une époque où Alfred Hitchcock se réinventait avec Psycho (1960) et The Birds (1963), embrassant l'horreur comme matière première du suspense, Reed propose pour sa part un thriller sorti tout droit de la décennie précédente – pour ne pas dire de celle d'avant.
Reed, à bien y penser, possède l'aura du cinéaste maudit. Ses détracteurs ont longtemps soutenu qu'il n'avait pas vraiment réalisé son chef-d’œuvre, que c'est Orson Welles qui en était l'auteur véritable. En 1961, il sera renvoyé du plateau de Mutiny on the Bounty (1962) et remplacé par Lewis Milestone, ses méthodes d'un autre temps s'étant buté à celle de Marlon Brando. The Running Man, à cet égard, relève définitivement du retour aux sources pour le réalisateur britannique. Le voici à nouveau aux commandes d'un thriller avec, à ses côtés, ses plus fidèles collaborateurs : le directeur de la photographie Robert Krasker, le compositeur William Alwyn et le monteur Bert Bates. Même le titre semble vouloir inscrire ce long métrage dans la lignée de Odd Man Out (1947), The Third Man, The Man Between (1953) et Our Man In Havana (1959). En France, on ira d'ailleurs jusqu'à renommer le film Le deuxième homme afin d'insister sur le lien avec le classique de 1949.
Évidemment, The Running Man n'est aucunement en mesure de soutenir la comparaison à son illustre prédécesseur. Peu de films en seraient capables. Mais pour peu que l'on accepte la place qu'il occupe dans la filmographie de Reed, ses qualités paraissent néanmoins indéniables. Le récit reprend le motif familier de l'homme feignant sa propre mort, espérant ainsi toucher une prime d'assurance dont il compte bien pouvoir profiter de son vivant. Le plan de Rex (Laurence Harvey) est rapidement établi, tout comme l'est la complicité de sa femme Stella (Lee Remick) – qui doit aller le rejoindre en Espagne après avoir récolté l'argent. C'est là que les choses vont se compliquer. Tout d'abord parce qu'un agent de la compagnie d'assurances les retrouve soi-disant « par hasard » durant ses vacances et, ensuite, parce que la fortune semble avoir corrompu Rex – qui joue désormais avec un peu trop de conviction le rôle d'un riche éleveur australien afin de dissimuler sa véritable identité.
L'intrigue repose essentiellement sur les relations qui se tissent entre ces trois protagonistes ainsi que sur les tensions qui émergent progressivement au sein du couple formé par Remick et Harvey. La transformation de ce dernier est particulièrement saisissante, renvoyant à cette idée que la notion d'identité est changeante dans toute l'œuvre de Reed. Le film rappelle à certains égards Plein soleil (1960) de René Clair, splendide adaptation d'un roman de Patricia Highsmith mettant en vedette Alain Delon. D'abord par cette espèce de schizophrénie habitant le personnage de Rex, qui cherche à disparaître complètement pour pouvoir se réinventer; et ensuite parce que la photographie solaire de Krasker, aux antipodes des noirs et blancs patiemment sculptés dans The Third Man, utilise habilement une lumière abondante afin de créer autrement une sensation d'enfermement. L'exotisme touristique des images masque ainsi au grand jour le mal-être existentiel des trois figures centrales – à commencer par celle de Stella.
The Running Man, malgré ce titre, gravite principalement autour du personnage de Lee Remick. Convoitée par deux hommes qui ne lui conviennent pas plus l'un que l'autre, prisonnière d'un triangle amoureux où ses désirs sont négligés au profit des intérêts de ses partenaires, la jeune femme cherche effectivement à fuir quelque chose – comme le laisse entendre la prémisse. Mais la nature de cette fuite se transforme au fil du récit, au fur et à mesure que l'étau se resserre et que la vérité sur Rex nous est progressivement révélée. C'est de cette mélancolie constituant le cœur du récit qu'émerge au final la tension, Reed se servant surtout de son intrigue policière pour construire des liens de confiance précaires, des relations troubles et des êtres complexes. Le doute, plus encore qu'un ressort au service du suspense, devient une manière pour le cinéaste d'explorer une intériorité qu'il met en scène avec un savoir-faire indéniable. Son classicisme exemplaire n'était peut-être plus tellement au goût du jour en 1963. Mais le passage du temps nous rappelle généralement qu'un bon film est un bon film; et The Running Man porte aujourd'hui son anachronisme avec une élégante distinction.
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