Sans nécessairement vouloir intenter un procès à l’industrie lourde de la sérialisation hollywoodienne, ni sacraliser l’importance du scénario original dans un genre dédié en grande partie à des variations sur les thèmes classiques, force est d’admettre l’énorme paresse scénaristique démontrée par Fradley, McBride et Green, qui dans une perspective bêtement révisionniste, appauvrissent non seulement leur propre œuvre, mais tout le canon d’où elle émane. Faisant fi de(s) arc(s) narratif(s) développé(s) entre Halloween II (1981) et Halloween : Resurrection (2002), les trois humoristes se dédouanent commodément des impératifs créatifs, synthétiques et populistes qu’impliquent leur proposition auprès des amateurs, débroussaillant sauvagement la mythologie myersienne pour mieux justifier la nature générique de leur ennuyeux récit de retour. Un récit qui ne possède ni le mérite d’étayer le personnage de Laurie Strode, soliste perdu dans une mer de seconds violons, ni de proposer une seule mise à jour notoire des mécanismes et des tropes du film original… et de tous les autres films d’horreur semblables parus depuis. En somme, on assiste à une mouture parfaitement symptomatique du postmodernisme mercantile propre à l’industrie culturelle contemporaine, produit de l’éviscération chirurgicale d’une œuvre exploitée pour le potentiel nostalgique des lubies de son créateur (comme en fait foi le recours aux compositions électroniques et aux langoureux travellings carpenteriens, garants ici de presque tout l’affect), mais aussi d’une mythologie dépouillée depuis de toute sa spécificité, engraissée artificiellement aux lieux communs qu’elle a contribué à institutionnaliser.
S’imposant vite comme un treillis grossier de calques opportuns, c’est d’abord la carence iconographique du film qui frappe le spectateur, lors d’une séquence d’ouverture qui se gargarise allègrement de redites visuelles et narratives, cherchant vainement à évoquer, dans les grimaces de patients psychiatriques, les gros plans du dispositif sécuritaire qui les entoure et le discours procédural du Dr. Sartain à propos de la monstruosité innée de Michael, un sentiment qui ne soit pas chez nous dérivatif du déterminisme iconographique inhérent à la franchise, mais aussi aux standards usés du film de slasher qu’il a aidé à inaugurer. Heureusement, le montage est nerveux à souhait, et il contribue à une montée fort satisfaisante du suspense, concrétisant ainsi la nature pendulaire de l’expérience spectatorielle à venir, qui entre les moments de tensions pourvus par la mise en scène de Green et les interminables séquences d’exposition consenties aux personnages secondaires, se résume finalement à une série d’anticipations déçues. En effet, pour chacune des scènes d’horreur dignes de ce nom, recyclées généralement de l’imaginaire zombo-carpenterien, il faut souffrir la progression parallèle des mille archétypes emmerdants et des myriades d’engrenages grinçants dont est cousu ce « nouveau » chapitre.
Peu après le générique d’ouverture, par-delà la scène liminale de rencontre entre Michael Myers et le couple d’investigateurs internet lancés à sa poursuite, on retourne dans un Haddonfield qui ressemble à s’y méprendre à celui de 1978. Les mêmes adolescents semblent arpenter les mêmes trottoirs et les mêmes écoles, épiés par les mêmes fenêtres, à la différence près qu’ils se permettent parfois un petit gag réflexif. Juste pour dire. Juste pour nous rappeler que nous sommes bien en 2018. C’est notamment ce que fait Dave, le poteux du groupe, qui dans un éclair de génie parfaitement digne de l’astuce réflexive des scénaristes, déclare que le massacre perpétré à l’époque par Myers n’est pas très impressionnant « selon les standards d’aujourd’hui ». Voici là un appel sans équivoque à la surenchère du spectacle qu’on pouvait espérer ici, mais qui n’implique finalement des cinéastes que le rajout de quelques meurtres procéduraux, dont Dave fera évidemment les frais, après avoir osé remettre en question la perfection du « travail » original. On note à cet égard que Dave enchaîne immédiatement avec une gaminerie archi-usée (l’explosion d’une citrouille avec un pétard), question de nous rappeler qu’il n’est finalement rien de plus qu’un autre adolescent stupide, archétype intemporel dans l’économie implacable du slasher de banlieue, dont les vœux de changement importent moins que les dogmes historiques qui régissent son existence… et la fin de son existence.
Les auteurs disent vouloir renouveler la série en extrayant le gras accumulé au cours des décennies, mais ils n’expriment diégétiquement aucun désir autre que celui de se complaire dans la nostalgie. On n’a qu’à penser aux nombreux effets-miroirs qu’ils proposent entre leur film et le film original : la fuite de Michael du convoi carcéral, la réutilisation paresseuse de la musique, le retour du masque, les plongées de cadavres évasifs sur la pelouse des maisons, le personnage du psychiatre obsédé, assimilé à Loomis dans une série de renvois constants… Le calque du modèle carpenterien est partout, sauf là où ils calquent d’autres modèles, remplissant les trous du scénario avec une sorte de gelée d’horreur primordiale, modernisée artificiellement pour les besoins de la cause. On nous impose ainsi d’emblée deux investigateurs criminels génériques, qui s’ils ne mentionnaient pas leurs baladodiffusions, pourraient très bien sortir des années 80, deux personnages censés servir d’ancrage dans la mythologie, mais qui finissent exécutés sommairement dans les toilettes d’une station-service (question de réaffirmer le respect entretenu envers la mythologie en question). On nous impose ensuite toute la ménagerie des archétypes (halloweeniens ou autres) : le vieux policier, témoin du massacre original (auquel incombe de réciter la réplique-clé : « il y a quarante ans jour pour jour… »), les gardiennes d’enfants et leurs copains bêtas, l’héroïne endurcie à la Sarah Connor (comme le temps passe), et toute la parenté exaspérée, qui puisqu’elle n’est plus celle de H20 (1998), doit être réintroduite à grand renfort de dialogues passe-partout débités avec un désintérêt parfois palpable (le « paranoia and horror » traumatique décrit par Karen Strode est particulièrement risible). Même la représentation de la ville n’a rien d’organique, évoquant plutôt une sorte de non-lieu thématique, avec ses citrouilles décoratives et ses îlots de cuisines dignes d’un Décormag de 1990. Le passé et le présent se reflètent ainsi sans cesse, dans la boucle infernale d’un exercice nostalgique mou, dénué à la fois du raffinement nécessaire pour aspirer à la parodie et de la passion brutale nécessaire pour assouvir notre soif de sang.
Regarder Halloween, c’est constater l’énième échec de la nostalgie non-critique dans l’arène cinématographique postmoderne. C’est une tentative vaine et frustrante de se remémorer l’époque où le film de slasher monstratif recelait encore un certain potentiel affectif. Ou même la candeur faisait figure de génie, et où la simple intrusion d’un élément violent dans l’univers domestique évoquait une terreur sans nom. C’est un exercice de mémoire tous azimuts, qui malgré de bonnes intentions, oscille trop faiblement entre le désir de réappropriation et le désir de fidélité aux modèles pour justifier sa raison d’être. Un film qui se permet, pour le spectateur d’aujourd’hui, de travestir avec discrète ostentation les costumes de Bonnie et Clyde portés par le couple de jeunes Strode, et pour le spectateur d’antan, d’une scène de traque interminable et mécanique, où la vieille Strode piste Michael jusque dans la remise de mannequin commodément sise à l’étage de sa maison blindée. Un film qui dans sa valse-hésitation entre l’abandon total à la nostalgie et un désir timide d’innovation, entre l’appât du gag et la déférente solennité à l’égard des traditions, est condamné à ne pouvoir dire grand-chose, à arpenter la terre comme un malabar muet, déterminé mais sans volition… à l’instar d’un vulgaire zombie.
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