Oui : c’est ce qu’on veut dire à Christine « Lady bird » McPherson. Tout le monde peut aimer Lady Bird. Si le public ne voit jamais l’issue de sa campagne électorale, il est gagné dès les premières minutes du film. Son authenticité nous la rend tout de suite sympathique. On revoit en elle tantôt une cousine, une amie, ou l’adolescente qu’on a été. Il est très facile de s’identifier à sa connivence avec le père, à ses passages obligés et difficiles de coupure avec la mère, à son aspiration d’aller vers une vie qui lui ressemble, « where the culture is ».
La ville de Sacramento, dont l’héroïne souhaite tant s’affranchir, représente rien de moins que la vie qu’on a choisie pour nous. Le rapport d’amour-haine que Lady Bird nourrit envers ce qui lui est donné de naissance (sa famille, sa ville, son nom) marque le ton, une énergie puissante, qui concorde en tous points avec l’énergie qui nous tenaille à cet âge (et dont on apprend à savoir quoi en faire). Cette pulsion de vie, ce coup de pied à l’oiseau pour sortir du nid, c’est elle-même Christine qui se le donne, et sans égards pour les luttes, les incertitudes, la pauvreté, la dépression du père, les mauvaises notes, les premiers échecs amoureux, les répliques assassines de la mère.
Un
coming of age féminin, ça fait franchement du bien, dans le paysage cinématographique, avec tout ce que ça comporte de témoignage sur l’amitié, les amitiés que l’on néglige pour chercher à être cool parmi les cools (ce qui ne fonctionne évidemment pas lorsqu’on est marginale), la vraie complicité amicale des
best friends devant les hauts faits et méfaits de l’amour (et les premières expériences sexuelles). La famille, l’école et les premières classes d’art dramatique.
Seulement dans les films de
Noah Baumbach ou de
Mike Leigh les relations mère-fille semblent aussi justement exposées. Car si dans les dernières décennies, les films ont abondé sur la question de la quête d’identité et des rapports père-fils, la complexité du lien qui unit la mère et sa fille, et surtout, leur importance dans les films psychologiques sur le passage à l’âge adulte, se font plutôt rares. Ici, la principale caractéristique de ce lien, troublé par l’ambition de la jeune héroïne, est agrémentée d’une très imposante composante judéo-chrétienne de culpabilisation, que l’on doit à l’environnement de l’école catholique fréquentée par le personnage-titre. « I am so sorry I wanted more » : cette réplique de Christine au mutisme de sa mère, à la fin du film, résume très bien de quoi il en retourne.
Comment dire en termes intelligents : j’ai adoré ce film. Construit simplement, comme l’a été
Frances Ha (écrit, tout comme
Lady Bird, par
Greta Gerwig), ce film, par sa facture, s’affranchit également tout juste de la tradition du
mumblecore, culture dans laquelle la réalisatrice a agi à plus d’un titre (comme actrice, scénariste ou réalisatrice). Suivant donc la volonté de l’héroïne de se rendre à New York pour étudier dans une « grande école », on se rapproche de la métropole de
Frances Ha; on croirait même à un
prequel tellement le personnage de Lady Bird ressemble à Frances. Elle possède en effet une force, une énergie et une verve aussi inspirantes.
On reste sans mots devant un tel film, et c’est sa plus grande force. La dimension émotive dans laquelle il nous projette démontre la réussite et la finesse de son scénario, à savoir la profondeur dramatique de ses personnages et la façon dont celle-ci interagit avec l’humour et l’intelligence des dialogues. Gerwig réussit haut la main dans la forme du portrait (de Frances, de Lady Bird), et ses personnages sont forts, inspirants, et humains.
Par ailleurs, l’autre très grande réussite de Gerwig est d’avoir réalisé un authentique film de femme, avec des femmes, qui s’adresse tout autant aux hommes. Ces derniers seront intéressés par cette très instructive incursion dans la vie féminine par le biais de tels scénarios. Car les hommes, ici, tiennent les rôles de soutien. Le point de vue est subjectif et assumé, sans être surligné (ce qui fait que chacun peut s’y identifier, peu importe son sexe et son âge). Et, fait notable, Lady Bird a beau être adolescente, elle est forte et affirmée sur tous les plans : dans sa famille, où elle prend les arrangements nécessaires pour réaliser son ambition, à l’école, où elle se défend devant ses professeurs, et avec ses amies, qu’elle choisit. Même ses échecs amoureux ne la montrent nullement comme une victime. Et jusque dans sa sexualité, elle est étonnamment affirmée pour son âge. À ce compte-là, il y a peu de choses qui lui résistent, qu’elle ne réussit pas, et, si on n’a pas voulu en faire une super-héroïne, on a peut-être négligé un certain réalisme. Mais après tout, a-t-on vraiment besoin d’approfondir un scénario dans la souffrance pour aller dans le réalisme, lorsque, justement, on a l’ambition de s’en sortir? C’est une leçon de persévérance qui nous est faite.
C’en est aussi une de féminisme. Et le féminisme auquel on a affaire n’en est pas un de lutte, de confrontation, ce n’est pas un féminisme qui s’inscrit en réaction. En ce sens c’est un brillant
feel-good movie. C’est un film constructif, du début à la fin. Qui glisse sur les obstacles et les difficultés de la vie comme sur le dos d’un canard. Et l’image du féminisme est tout pareil, il est tout humble et honnête, et fait simplement état de ce que c’est que d’être une femme, et surtout, d’en devenir une. Pour cette raison, j’aurais beaucoup aimé voir ce film à quinze ans (amenez vos filles – et vos fils). C’est aussi pourquoi, je le répète, il nous faut plus d’héroïnes, de films et de réalisatrices de cette trempe dans une société égalitaire.
Dans un tel cas on se réjouit d’une salle comble qui rit aux larmes.