DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Turbo Kid (2015)
François Simard, Yoann-Karl Whissell et Anouk Whissell

Génération Turbo

Par Mathieu Li-Goyette
En 2011, un appel à films est lancé pour compléter l’anthologie The ABCs of Death d’un 26ème épisode, voté vainqueur à la suite d’un concours les plus 2.0 qui soient. Le collectif Roadkill Superstar (François Simard, Anouk et Yoann-Karl Whissell) remplit le mandat et livre T is for Turbo, qui arrive bon premier au vote populaire, mais qui est finalement recallé derrière T is for Toilet par le jury, un film d’animation surprenant qui n’avait cependant pas le potentiel de l’univers post-apocalyptique des créateurs de Bagman et Ninja Eliminator. Ces enfants du Festival Fantasia et du Festival Spasm avaient trouvé dans le concept d’un rôdeur des landes armé d’un gant digne de Mega Man un parfait frontispice pour leur talent si particulier; misant sur des décors pauvres, mais adroitement recyclés, la tentation d’en faire un long-métrage apparaissait soudainement plausible. Auditionné durant l’année inaugurale du marché de coproduction internationale Frontières organisé par Fantasia, Turbo Kid a très rapidement été salué comme le film de genre québécois rêvé, ralliant le public à son image autrement plus facilement que le Scaphandrier d’Alain Vézina sorti plus tôt dans l’année, bien mieux encore que le douloureux Poil de la bête où se cachait Guillaume Lemay-Thivierge, nous poussant même à une conclusion des plus précaires : jamais un film de genre québécois n’avait-il été plus attendu que celui-ci, provoquant l’entrain des connaisseurs tandis que les médias officiels, toujours inconfortables à traiter des « mauvais genres », perpétuèrent une certaine indifférence gênante suite au succès de Turbo Kid au festival de Sundance.

Si bien qu’à son insu, du moins au Québec plus qu’ailleurs où les circuits pour le cinéma de genre sont souvent plus rôdés, Turbo Kid a hérité de la dure mission de réconcilier deux types de public : celui qui s’attroupe joyeusement en dizaines de milliers dans le Theatre Hall de l’Université Concordia et celui qui attend du cinéma une mise en scène propre et un certain sens du bon goût. Or sous toutes ses dégoulinades, ses fluides visqueux et ses membres virevoltants, Turbo Kid cache un grand cœur qui pourrait charmer les plus méfiants, tellement la construction émotionnelle de ses deux personnages principaux, Kid et Apple, emprunte au cinéma des années 1980 ses tonalités les plus réconfortantes. Les discussions seul à seul sur un banc de parc surplombé d’étoiles, le rapport aux figures parentales, à leur absence, au bunker secret qui devient l’ultime cabane d’enfant remplie à rebords de jouets et de comic book à l’effigie de Turbo Man, tous les éléments du film construisent rapidement un univers de souvenirs nostalgiques qui n’est évidemment pas étranger au cinéma dont s'est nourri RKSS.

Car Turbo Kid est un immense hommage au cinéma d’une époque où l’innocence des scénarios était la plus belle de leurs vertus, alors que le Kid (Munro Chambers) et Apple (Laurence Leboeuf) errent nonchalamment à dos de BMX dans un monde sans eau. Le vilain Zeus s’en prend à une communauté voisine, recyclant les corps de ses victimes en précieux H2O et force les héros à clopiner d’une séquence à l’autre jusqu’à la confrontation finale. Cherchant à faire ronronner une structure qui manque d’agressivité, l’écriture semble parfois trop bénigne, riche en répliques mignonnes, mais pas assez en gifles verbeuses. Heureusement, une somme de travail assidu et d’équilibrage transparait à travers de nombreuses scènes d’exposition qui parviennent à compiler à la fois la structure simpliste du récit et ses personnages plus grands que nature. La sensibilité de RKSS se révèle étonnement dans ces scènes de développement, filmées avec un goût mature et articulé pour le plan long ainsi qu’avec un plaisir de retrouver dans la performance de leurs comédiens des physiques, des postures et des cris archétypaux (les cris stridents d’Apple, les grognements kaijueskes de Zeus, le cri viril de Frederic quand il perd sa main, etc.), autant de caractères éprouvés qui participent à créer un univers dont le ton passionné surclasse sa propre naïveté.

En ce sens, les moments de brio de Turbo Kid rachètent bon nombre de ses creux narratifs, ces scènes prétextes à des effets visuels où la construction des personnages peine à s’aider de l’action, l’un et l’autre évoluant à quelques enjambées de distance; l’impression de récit disloqué, qui aurait mérité notamment des péripéties plus formatives, trouve dans ses dialogue l’histoire d’un passage à l’âge adulte et dans son action les exploits d’un psychopathe super-héroïque (paradoxe du genre dont James Gunn avait su tirer profit dans Super, par exemple). La différence des agendas, si elle ailleurs cause de désastre, instaure ici un régime ludique et enfantin, près du conte de fées (empalement à coup de licorne aidant – surtout quand il provient du Pinocchio du film), mais surtout un régime qui, s’il est limité dans sa gamme de nuances, professe néanmoins le plaisir des jouets et des souvenirs qu’on y rattache, glissant parfois adroitement entre sa nostalgie matérialiste et la condition spéciale d’Apple.

Les objets adulés de Turbo Kid s’érigent ainsi en artefacts légendaires, déclinant un cinéma geek fondé sur la vénération et la reprise expéditive, porté par un bagou de tripeux qui passe d’ailleurs résolument bien en anglais, la langue française peinant à traduire avec concision toutes les subtilités du mot « fun ». En tant que fruit d’une époque où le VHS est considéré de plus en plus comme le nouveau vinyle des amateurs, l’entreprise de RKSS est donc tout à fait singulière et a le cœur au bon endroit, c'est-à-dire aux côtés de son public – dans le même ordre d’idée, Turbo kid n’est peut-être pas cette mission diplomatique annoncée à l’égard de l’industrie du cinéma québécois, mais plutôt la conséquence d’une réalité bien plus réjouissante...

Soit la conséquence d’une culture du genre dument implantée par des passionnés, œuvrant à Fantasia, à Spasm, à Vitesse Lumière, au Film Society de Philippe Spurrell, à l’ancien Blue Sunshine, aux jours passés du Cinéma du Parc, aux défunts vidéos clubs montréalais, à toutes ces instances qui, depuis une vingtaine d’années, implantent tranquillement, mais sûrement, le germe d’une contestation enjouée de la culture officielle la plus dominante en dynamitant ses assises. Cette génération est à l’image du héros de Turbo Kid : près de ses « jouets », de ses lubies qui traînent encore dans sa vie d’adulte rangée (ou pas). Avec comme résultat un cinéma qui n’a plus de responsabilité morale mais de toutes nouvelles responsabilités esthétiques, Turbo Kid est un grand cri de joie et le premier film québécois depuis longtemps à faire de la satisfaction de son public un dogme convaincant.
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Critique publiée le 5 août 2015.