DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Mommy (2014)
Xavier Dolan

Arriver à maturité

Par Jean-François Vandeuren
Il émanait des premiers films de Xavier Dolan un profond désir de prouver sa valeur, de faire reconnaître son talent, d’étendre une culture générale « bien au-dessus de la moyenne » à travers un geste cinématographique convaincu et impulsif, voire agressif, mais qui, au final, divisait beaucoup plus qu’il ne rassemblait. Les premiers films de Xavier Dolan carburaient à l’influence et à la citation. Le tout contenu dans un emballage parfois surfait, laissant paraître une arrogance ayant certainement restreint le dialogue entre le principal intéressé et le public – moyen comme des cinéphiles les plus avertis. La démarche du Québécois demeure, certes, immédiatement reconnaissable. Ce qui a toutefois changé dans Mommy, c’est la façon dont le réalisateur se sert à présent du médium cinématographique pour mettre en valeur les qualités de la création plutôt que du créateur. Dolan s’exprime ici avec tout son être, mais ne laisse plus cette impression de vouloir constamment prouver quelque chose. Si les thématiques abordées par le jeune cinéaste (amours troubles, relations familiales tumultueuses, incertitudes face au temps présent, etc.) demeurent on ne peut plus communes au cinéma québécois, l’assurance et l’intransigeance de ses méthodes – tout comme la charge émotionnelle souvent brutale qui en découle –, le placent définitivement dans une classe à part.

Si l’énergie déployée sur le plan esthétique tend à nous laisser croire le contraire, Dolan n’a pourtant pas l’habitude de faire dans la dentelle. Son cinéma finit toujours par prendre la forme d’un match de boxe l’opposant aussi bien à ses personnages qu’au spectateur. Le cinéaste enchaîne les coups à un rythme effarant, mais amplifie également chacune des pauses au cours desquelles il prépare sa prochaine attaque, poussant petit à petit ses adversaires dans les câbles. L’essence de ce cinquième long métrage est en soi parfaitement résumée dès son entrée en matière, nous donnant déjà une bonne idée de ce à quoi ressemblera la suite des événements pour Diane « Die » Després (Anne Dorval). À l’image de cet accident de voiture, Diane est sur le point d’être frappée de plein fouet par la vie, elle qui devra vite reprendre ses esprits pour poursuivre sa route tandis que s’attrouperont les curieux autour d’elle pour observer la scène plutôt que pour lui venir en aide. Cette même détermination refait surface lorsqu’elle décide de reprendre son fils Steve (Antoine-Olivier Pilon) à la maison, refusant de recourir à une nouvelle loi permettant à un parent de se libérer de ses responsabilités légales envers un enfant souffrant de sévères troubles du comportement. Le combat est perdu d’avance, mais Diane a pourtant toutes les raisons de croire que la victoire est à portée de main.

L’introduction d’un tel élément d’anticipation nous laisse évidemment présager sur quelle note prendra fin le parcours on ne peut plus turbulent de ce nouveau duo mère-fils. Entretemps, Mommy nous entraîne dans une autre célébration du chaos dans ce qu’il a à la fois de plus sombre et violent et de plus éblouissant et unificateur. Une déflagration dans laquelle Kyla (Suzanne Clément) trouve d’ailleurs vite refuge, percevant dans l’authenticité brute et l’absence de retenue de ses nouveaux voisins une manière d’échapper à un foyer où tout semble avoir été mis en veille, où les mots se décomposent dès que l’on prend la parole, où l’on marche sur la pointe des pieds plutôt que d’avancer d’un pas ferme et décidé. Nouvelle ode à la différence et à la marginalité, Mommy s’en prend à une société cherchant de plus en plus à se défaire de tout ce qui la lie au réel, préférant le confort de ce qui est prévisible, immobile et calculé. Steve s’impose dans un tel univers comme cette force indomptable, capable du meilleur comme du pire, si essentiel au cinéma du Québécois. Chez Dolan, l’harmonie naît du désordre et vice-versa. L’un donne un sens à l’autre, mais l’impulsion est toujours préférée au statu quo.

À l’opposé de plusieurs de ses compatriotes, le Québécois ne cherche pas à reproduire la réalité, à confronter le spectateur à l’inertie et à la vacuité du quotidien. Dolan s’empresse plutôt de remplir chacun de ces fossés d’une surabondance de répliques livrées avec autant de fougue que de vulnérabilité, d’un recours constant à des pièces musicales se collant sans retenue à sa prémisse, ainsi que d’une accentuation de chaque mouvement – autant physique que cinématographique. Des situations on ne peut plus banales auxquelles il nous convie émergent des personnages plus grands que nature, reflétant une réalité dont le cinéaste bouleverse continuellement la cadence, mais sans jamais la dénaturer. Dolan donne de nouveau dans l’hyper expressivité, mais le choc artistique et émotionnel de sa création paraît à présent beaucoup plus symptomatique de son récit et de ses intentions. Le réalisateur embrasse l’action, n’hésite pas à faire chanter, danser et virevolter ses personnages durant des moments tout ce qu’il y a de plus anodins. Mommy, c’est la vitalité et l’exubérance du film Bollywood voulant venir à bout de la grisaille d’une situation sans issue. C’est d’ailleurs ici que l’emploi du format 1:1 prend tout son sens. Car Mommy, c’est aussi l’histoire d’individus se débattant à chaque instant pour échapper à leur condition – cette cellule parfaitement symétrique faite de gros plans asphyxiants et indiscrets –, ne serait-ce que pour contempler un instant l’horizon, pour enfin vivre leur vie en cinémascope.

Au premier abord, les méthodes du cinéaste paraissent pratiquement inchangées. Les cris assourdissants et le tapage incessant des premières séquences sont de nouveau suffisants pour mettre les nerfs de quiconque à rude épreuve. Car Dolan n’en a que faire des compromis. À l’instar de Steve, il préférerait lui aussi mourir plutôt que de voir sa fureur contrôlée, anesthésiée. Mommy révèle néanmoins un changement d’attitude pour le moins drastique chez le réalisateur par rapport à son art, par rapport à la relation qu’il désire entretenir avec le spectateur. Dolan cherche d’ailleurs à interpeller ce dernier sur une base de plus en plus viscérale, intégrant à des moments de grâce aussi bouleversants que d’une violence inouïe de savantes pointes d’humour nous laissant entrevoir une tendresse qui s’était faite plutôt discrète dans ses opus précédents. Ce cri du coeur que poussent ses personnages comme si c’était le dernier, Dolan ne l’a jamais filmé avec autant d’urgence et d’égard que dans Mommy. Son trio n’a que lui-même pour faire face au reste du monde, et c’est cette unité à la fois si puissante et si fragile qui constitue le coeur et l’âme de son film. Mommy est l’oeuvre d’un artiste ayant enfin su assimiler ses influences, d’un cinéaste ayant abandonné pour le mieux la quête d’une perfection illusoire qui, au final, ne pouvait satisfaire pleinement que le principal intéressé.
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Critique publiée le 30 septembre 2014.