Trop près de Dieu
Par
Olivier Thibodeau
La plus grande qualité de cette petite production tennesséenne, variation contemporaine sur le mythe de Frankenstein, est également son plus grand défaut. Il s’agit de l’ambition excessive du réalisateur et scénariste Billy Senese, dont la prédilection pour le style froid et réaliste du cinéma hollywoodien compromet toute la liberté narrative, et l’expressivité passionnelle qu’on associe généralement au cinéma indépendant. L’auteur nashvillois, réalisateur du court-métrage The Suicide Tapes présenté à Fantasia en 2011, s’évertue donc à maintenir un regard rigoureusement analytique sur son sujet, oeuvrant d’arrache-pied à l’élaboration de dialogues et de situations minutieusement vraisemblables dans un style sobre et maîtrisé seyant plus aux films produits par les grands studios. Cette tactique fonctionne admirablement bien pour décrire l’effrayant détachement scientifique du protagoniste, ainsi que les graves implications éthiques de sa pratique, mais elle prive l’œuvre de tout militantisme cathartique, lequel trouve normalement racine dans un discours passionné totalement absent du présent récit. Ce n’est pas dire que celui-ci n’est pas politique, mais il ne l’est qu’en demi-teintes, jamais de la façon assumée dont pourrait l’être une production libérée des lourdes attaches du naturalisme. Senese parvient donc à couvrir l’ensemble des préoccupations éthiques liées au thème du clonage, mais il le fera d’une façon désintéressée, presque distante d’un sujet dont il souligne superficiellement les implications humaines et émotionnelles. Le résultat est un tour d’horizon tout à fait pertinent, mais trop peu stimulant, propre d’une entité cérébrale en manque de cœur.
Le Dr. Victor Reed, ainsi nommé en référence au Prométhée moderne de Mary Shelley, est un homme de science calculateur et méthodique dont la plus récente création, clone humain nommé Elizabeth, fera les frais de sa paternité pragmatique et désintéressée. Obtenue par césarienne lors d’une scène d’ouverture intense et rythmée, la petite fille se verra tout de suite affublée d’un récepteur planté directement dans son front. L’objectification de la vie humaine sous-tendant la pratique du clonage s’immisce violemment au cœur du récit, surtout que cette objectification se poursuit bientôt lors d’une série d’expériences mystérieuses performées sur la personne gémissante du bébé. Il faudra finalement attendre la mi-parcours pour assister à un assouplissement du protagoniste, pour qui le transfert d’Elizabeth du laboratoire secret où elle est née vers les intérieurs familiers de son manoir suburbain stimulera vite sa fibre parentale. Devant ainsi composer avec des incertitudes croissantes quant au bien-fondé de sa démarche, le Dr. Reed devra aussi combattre les nombreux manifestants massés devant sa demeure depuis la révélation de ses recherches, ainsi qu’une monstrueuse créature nommée Ethan, échec scientifique précédent qu’il aura refusé d’anéantir par souci d'humanisme.
Fort de nombreux dialogues raffinés, mais éminemment cérébraux, le film dresse un portrait rigoureux, voire mécanique des nombreux problèmes sociopolitiques liés au clonage humain, nous offrant pour l’occasion un barrage de pseudo reportages médiatiques dont le ton ne manquera pas de nous rappeler celui des marchands d’opinion de CNN et de Fox News. Malheureusement, l’ensemble de la mise en scène et de la caractérisation est à l’avenant, froide affaire qui ne parviendra jamais à humaniser une série de personnages abstraits et archétypiques au-delà de la fonction dramatique précise qu’ils occupent au sein d’un récit réglé au quart de tour. Senese conclura d’ailleurs celui-ci sur une fausse note particulièrement discordante avec l’inclusion tardive et incongrue d’éléments d’horreur grossiers qui cadrent mal avec le style prédominant de l’œuvre, et dont l’exécution technique abrasive gâchera l’atmosphère savamment véhiculée jusque-là. La révélation progressive de la créature antagoniste responsable du massacre nous évite ainsi la surprise totale, propre des plus médiocres exemples du genre, mais sa violence soudaine et excessive nous semblera néanmoins obligatoire, comme si le savant fou devait nécessairement subir les foudres de sa création pour que l’étendue de sa transgression nous semble intelligible. Cette violence semble ainsi trouver sa seule raison d’être comme simple élément sur la liste à cocher du réalisateur, dont l’excellent travail de synthèse thématique cache un manque criant de puissance dramatique.
Tel que le suggère son titre hyperbolique, Closer to God est un petit film qui voulait être grand, abordant ainsi un sujet dense et sensible avec tout le détachement clinique d’un philosophe. Chef d’orchestre sévère et discipliné, Billy Senese se trouvera donc à filmer à la fois Frankenstein (1931), mais sans l’excentricité joviale de James Whale, The Brood (1979), mais sans l’énergie irrévérencieuse de David Cronenberg, et Splice (2009), mais sans le sens aiguisé de la tragédie propre à Vincenzo Natali. Le résultat est un film satisfaisant, mais impersonnel dont la pérennité n’est possible que par le truchement de son sujet. Doté d’un talent certain pour la mise en scène et la narration, il ne reste plus qu’à souhaiter que le réalisateur puisse parvenir à se trouver un cœur de la taille de son encéphale.
Critique publiée le 19 septembre 2014.