La façon dont l’histoire de Geneviève Jeanson aura résonné dans l’imaginaire québécois n’a en soi rien de très étonnant. À l’instar des supporters de Lance Armstrong, nous voulions nous aussi croire aux miracles, croire qu’une « petite fille bien de chez nous » puisse s’imposer avec autant d’aplomb sur la scène internationale. Malgré les scandales, malgré les soupçons qui auront longtemps pesé sur la cycliste originaire de Lachine, elle qui, pendant des années, aura nié avoir recouru à des substances illicites pour améliorer ses performances, nous aurons préféré nous fermer les yeux et vivre le rêve plutôt que de faire face à la réalité. L’attitude paternaliste qu’a tendance à adopter le peuple québécois vis-à-vis son élite sportive et artistique est d’ailleurs parfaitement canalisée ici à travers le personnage d’Alain (
Denis Bouchard), le père de la jeune sensation Julie Arseneau (
Laurence Leboeuf). Évidemment inspiré de Jeanson, qui aura accepté de prendre part au projet avec l’espoir de pouvoir enfin mettre le point final au chapitre le plus tumultueux de son existence, ce personnage de fiction offrait une latitude supplémentaire à
Alexis Durand-Brault et son équipe, qui en auront profité pour s’aventurer au-delà des habituelles obligations liées au drame sportif et biographique.
Il est clair d’entrée de jeu que
La petite reine s’intéresse davantage aux implications de la tricherie qu’à l’envers du cyclisme. Julie sera formellement introduite au spectateur au cours d’une séquence où elle s’injectera un produit dopant tout en faisant état de ses exploits à ses parents au téléphone, comme s’il s’agissait du geste le plus anodin qui soit. L’ensemble du propos défendu par le film d’Alexis Durand-Brault sera d’ailleurs relevé en moins de quinze minutes. Le dopage sera aussitôt présenté comme un moyen d’arriver à une fin, de gagner dans un monde où le sport n’est plus synonyme d’exploits, mais de business, où un athlète qui ne performe pas à la hauteur des attentes n’attirera pas les commanditaires nécessaires et ne sera donc pas en mesure de poursuivre sa carrière. Une machine infernale et parfaitement huilée dont le réalisateur révélera les rouages d’une manière impitoyable, entrecroisant continuellement les sphères de la manipulation et du mensonge, de l’arrogance et de l’égocentrisme.
La petite reine nous restreint dès lors à l’ombre, laissant la cycliste et son entraîneur retarder le moment de leur inévitable déclin par l’entremise d’une nouvelle justification, d’une nouvelle façon de contourner les règles et de déjouer les tests antidopage.
Le présent exercice n’exprime d’ailleurs aucune empathie à l’égard de son protagoniste, dont l’attitude méprisante et l’endossement des pratiques illégales rendront l’adhésion à sa cause carrément impossible, et ce, même si la pression exercée par son entraîneur (
Patrice Robitaille, redoutablement efficace) sera de plus en plus relevée à mesure que progressera le récit. La cycliste n’éprouvera pour sa part de remords que lorsque l’étau commencera à se resserrer sur elle, que lorsque le masque sera sur le point de tomber et qu’elle risquera de perdre la face devant tous ceux qui auront tant voulu croire en ses exploits. Un traitement certainement audacieux pour un cinéma cherchant généralement à produire des victimes, à justifier toute action ou tout comportement, qui s’avère ici des plus payants, pavant la voie à un discours pouvant dès lors se concentrer pleinement sur le coeur d’un problème auquel il n’existe toujours aucune solution. Le visage du sport que présente
La petite reine n’a du coup plus rien d’inspirant et d’emblématique. Car il y aura toujours des tricheurs pour entraîner les autres à tricher.
Les élans les plus notables du film d’Alexis Durand-Brault sont toutefois rattrapés par un recours à des méthodes beaucoup plus conventionnelles, découlant assurément d’une volonté de rejoindre le plus large public possible. Une intention qui s’avère particulièrement perceptible dans les moments où l’effort adopte soudainement les mécaniques du thriller, les images éculées comme la bande originale tonitruante et sans nuance du compositeur Dazmo venant alors passablement réduire la portée d’un ensemble faisant pourtant continuellement part d’un nombre étonnant – pour ne pas dire inespéré – de qualités formelles. La façon à la fois concise et pertinente dont
La petite reine parvient à relever chaque enjeu de sa problématique demeure, certes, le résultat d’une démarche aussi rigoureuse que réfléchie. Mais si nous n’avons rien à redire quant à l’efficacité de l’ensemble, certains coins semblent néanmoins avoir été coupés un peu ronds dans l’unique but d’en accroître la valeur marchande. Un réflexe pouvant être attribué à un manque d’assurance, un manque de confiance envers un projet dont les éléments de base étaient pourtant amplement suffisants pour oser espérer de bonnes performances aux guichets.
Nous pouvons donc parler ironiquement de « dopage cinématographique » dans le cas de
La petite reine. Le troisième long métrage d’Alexis Durand-Brault finissant par en faire beaucoup plus que ce qui est réellement nécessaire, l’exercice se présente sous son meilleur jours lorsqu’il tente justement de faire les choses plus naturellement, voire différemment. L’initiative la plus notable à cet effet demeure évidemment la façon dont le cinéaste injectera toute la tension voulue à des séquences de compétitions sportives dont le résultat n’importe pourtant aucunement. Ce traitement en deux temps aura cependant son ultime répercussion sur les derniers instants du film, alors que le portrait dépourvu de toute sympathie de Julie Arseneau tournera carrément à l’humiliation. Une coupe franche au moment opportun aurait pourtant été suffisante pour laisser présager la déchéance à venir de la cycliste tout en lui permettant de conserver le peu de dignité qu’elle aura su acquérir dans le dernier droit. Production dans laquelle se chevauchent trop souvent des ambitions contradictoires, ses élans les plus inspirés méritent malgré tout d’être soulignés. Porté par les solides performances de sa distribution,
La petite reine parvient en bout de ligne à dresser un portrait aussi fascinant que désolant d’une discipline dont la crédibilité risque d’être continuellement à refaire au cours des années à venir.