DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Gamera vs. Viras (1968)
Noriaki Yuasa

Gamera contre les images d'archives

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Sacré « l'ami de tous les enfants », un titre amplement mérité suite à sa prestation franchement empathique dans le Gamera vs. Gyaos de 1967, le plus gentil des kaiju confirme avec Gamera vs. Viras sa vocation de monstre familial par excellence. Mais si le dosage entre frasques infantiles et combats démesurés demeurait agréable de par le passé, l'équilibre de ce quatrième volet de la série à succès penche définitivement du côté des enfantillages – le réalisateur Noriaki Yuasa oubliant par le fait même que c'est pour voir de gros monstres à l'action que les gens écoutent des films de gros monstres. Pire encore : la plupart des combats présentés ici sont en réalité tirés des trois volets précédents de la série, à un point tel que le film aurait pu s'intituler Gamera contre les images d'archives ou encore Gamera contre son propre passé, qui eût été un titre plus poétique que Gamera vs. Viras – nom d'un monstre que l'on voit au final à peine dix minutes à l'écran.

L'essentiel du film se concentre donc sur les péripéties de deux scouts facétieux, Masao et Jim, qui symbolisent la franche camaraderie américano-nippone en plus d'offrir aux jeunes spectateurs des deux principaux marchés cibles du film un protagoniste auquel s'identifier. Lors d'une ballade à bord d'un petit sous-marin jaune qui pourrait se glisser sans problème dans The Life Aquatic de Wes Anderson, nos espiègles gamins croisent le chemin de Gamera alors qu'il prend, sans doute, des vacances bien méritées entre deux farouches duels d'épiques proportions. Mais c'est aussi ce moment précis que choisissent des malfrats cosmiques pour emprisonner notre héroïque tortue à l'aide de leur rayon paralysant – qui produit une coupole de caoutchouc translucide de laquelle il est impossible de s'échapper pour une période de quinze minutes.

Voilà qui donne aux envahisseurs intergalactiques tout le temps nécessaire pour fouiller dans la mémoire de l'animal à la recherche d'un souvenir qui pourra les aider à le vaincre – un procédé qui, en termes cinématographiques, se traduit par un très long enchaînement de séquences tirées des épisodes précédents de la série. Après avoir visionné une quinzaine de minutes d'images d'archives, les extra-terrestres déterminent que le point faible de Gamera est son amour pour les enfants de l'espèce humaine. S'ils avaient pris le temps d'écouter plus de séquences du Gamera de 1965, ils auraient aussi appris que la tortue géante peut être vaincue en étant renversée sur le dos. Mais il faut croire que cette bobine avait été égarée au moment de sonder la mémoire de la bête. Qui sait? Les voies du stock footage sont impénétrables.

Capitalisant sur ces précieuses informations, glanées à l'aide d'une technologie de pointe qui fonctionne grâce à un système très avancé de motifs kaléidoscopiques, les extra-terrestres kidnappent Masao et Jim et les emprisonnent sur leur astronef. Sorte de collier de boules à motif d'abeille, le vaisseau témoigne parfaitement de l'esthétique dominante au sein de cette société hautement évoluée : du triangle lumineux à l'hexagone de verre, l'op art vaguement psychédélique est de toute évidence au goût du jour dans la galaxie lointaine d'où provient celle-ci. Même les sandwichs servis aux enfants en guise de collation sont de forme octogonale, signe irréfutable d'une intelligence supérieure à l'oeuvre.

Quoiqu'il en soit, les vilains monstres d'un autre monde utilisent la compassion de Gamera à leur avantage et profitent du fait qu'il tente de sauver ses deux jeunes camarades pour lui implanter un appareil de contrôle psychique, lui aussi rond et rayé, grâce auquel ils ordonnent à la bête d'attaquer un barrage électrique. Les plus astucieux spectateurs remarqueront que cette spectaculaire séquence de destruction est très exactement la même que la scène d'ouverture de Gamera vs. Barugon – deuxième occurrence d'un astucieux stratagème de recyclage audiovisuel qui servira par la suite lors d'une attaque de Tokyo provenant, pour sa part, du tout premier Gamera. Ce nouvel emprunt est peut-être plus évident que le précédent, le long métrage dont sont issues lesdites images ayant été tourné dans un noir et blanc qui offre un contraste saisissant par rapport aux couleurs chatoyantes du film dans lequel elles sont transplantées.

C'est après cinquante minutes que le monstre Viras, sorte de calmar de l'espace, apparaît pour la toute première fois à l'écran. Il faudra attendre vingt minutes de plus avant de le voir, enfin, affronter Gamera au cours d'un combat final, certes, amusant, mais qui, malheureusement, ne sert qu'à mettre en évidence la nature bâclée et résolument lacunaire de tout ce qui le précède. En ce sens, Gamera vs. Viras s'avère une occasion manquée : ce poulpe colossal, qui avait le potentiel d'être un adversaire divertissant, est relégué à un rôle secondaire dans une étrange aventure où les principaux antagonistes sont des humanoïdes dont les yeux clignotent lorsqu'ils parlent.

Sorte de compilation des meilleurs moments de la série jusqu'à ce jour, Gamera vs. Viras est un vestige incongru d'une époque révolue où les gens devaient retourner au cinéma pour voir à nouveau les films qu'ils avaient aimés. Mais, bien qu'il s'agisse sans contredit d'un exercice paresseux visant à exploiter la popularité de son héros, force est d'admettre que ce drôle de subterfuge mercantile témoigne de l'affection profonde dont faisait l'objet Gamera et le genre du kaiju eiga dans son ensemble en 1968. Ami de tous les enfants, le titan de la Daiei avait trouvé en ceux-ci un public loyal et sincère, avec lequel il avait développé un lien d'affection indéfectible – ou, à tout le moins, assez solide pour résister à un passage à vide tel que celui-ci.
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Critique publiée le 11 juin 2014.
 
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