DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Amazing Spider-Man 2, The (2014)
Marc Webb

Une araignée dans l'engrenage

Par Ariel Esteban Cayer
Deux ans après The Amazing Spider-Man, un film routinier, mais tout de même prometteur, ayant relancé la franchise du « friendly neighborhood » Spider-Man pour le compte de Sony Pictures, Marc Webb nous revient avec l’inévitable suite se voulant – formule hollywoodienne oblige – plus ambitieuse, plus complexe et plus excitante que le film précédent. Le tout s’ouvre sur les rouages de la montre se trouvant au poignet du père de Peter Parker (Campbell Scott). La caméra s’extirpe de ces images de synthèse et cette première figure de style se révèle annonciatrice des excès digitaux à venir. Le film s’engage aussitôt dans une succession saccadée de plans courts, hyperactifs et tape-à-l’oeil. S’en suit une série de péripéties effrénées qui culmineront en l’adaptation expéditive de « The Night Gwen Stacy Died » (Amazing Spider-Man #121-122, publiés en 1973). Simplement, The Amazing Spider-Man 2 se présente, à la manière du Spider-Man 3 de Raimi, comme un film fourretout, se sabotant à chaque détour scénaristique, à chaque vilain sous-exploité ajouté à l’intrigue. De plus, ce motif d’engrenage (qui reviendra dans la finale susmentionnée) devient par accident un présage de l’étrange aura d’anachronisme qui se dégage de l’oeuvre entière : un film de super-héros des plus contemporains dans son esthétique, et pourtant immensément rétrograde de par l’appareillage commercial qu’il déploie et la vacuité thématique qui en découle.

Jonglant toujours entre l’humour (faisant écho aux bandes dessinées fondatrices de Stan Lee) et un ton plus sérieux et réaliste à la Christopher Nolan, Webb déplace Peter Parker (Andrew Garfield) dans son précédent contexte de lycée. On retrouve ici notre jeune héros le jour de sa graduation et à l’aube de sa vie adulte. Hanté par la mort de George Stacy, sa relation adolescente avec Gwen (Emma Stone) tire à sa fin, et l’omniprésente corporation Oscorp, où celle-ci travaille, est tout bonnement une usine à super-vilains n’attendant qu’à être mise en marche. La mythologie de cette nouvelle trilogie, puisant abondamment dans le matériel révisionniste de la série Ultimate Spider-Man (2000-2009), s’étoffe ici davantage : l’introduction d’Electro (Jamie Foxx) est suivie de près par celle d’un Harry Osborn et un Goblin vert nouveau genre (Dane DeHaan), puis d’un Rhino robotisé (Paul Giamatti) à peine utilisé.

La machine bloque cependant, car chaque rouage est ajouté bout à bout sans grande cohésion. De concert avec une écriture enfantine et un manque de subtilité à bien des égards, The Amazing Spider-Man 2 s’impose comme un simple produit plus ou moins bien assemblé, rappelant les films de super-héros de Joel Schumacher d’il y a près de deux décennies. Mais si la bassesse des dialogues et les cabotinages scénaristiques des Batman Forever et Batman & Robin étaient pleinement assumés, munis d’une esthétique « camp » à tout casser et pouvant être abordés, avec un peu de recul, comme des hommages à la série télévisée des années 60 (voire même de superbes exemples de cinéma blockbuster « queer »), l’esthétique de Webb est, paradoxalement, celle du déficit d’attention, d’un présent où tout arrive simultanément, immédiatement, sans refléter grand-chose.

Jadis réalisateur de vidéoclips se spécialisant dans le pop-punk, Webb est devenu, de film en film, un véritable plasticien du présent et son esthétique, par moment ludique, apparaît ici comme une succession de raccourcis faciles à avaler. The Amazing Spider-Man 2 est, par conséquent, un film de plans courts et de découpage à tout va; un film où les émotions passent par le montage musical et une conception sonore beuglante (signée Hans Zimmer et Pharrell Williams, entre autres). En parallèle, Webb crée des pauses ultra léchées dans cette frénésie pop avec ses séquences hybrides, à mi-chemin entre la cinématique de jeu vidéo et l’effet « bullet time » que les frères Wachowski déployaient en 1999 dans The Matrix. Pur excès d’effets spéciaux relevant presque du film d’animation, ceux-ci s’avèrent à double tranchant : spectaculaires, certes, ces séquences se suivent jusqu’à perdre le spectateur dans la surenchère. Similairement, la séquence charnière où Spider-Man affronte Electro au milieu de Time Square se révèle la plus pertinente au coeur d’un film où le pixel côtoie de si près le réel; où la publicité se retrouve amalgamée au cinéma. Qu’Electro se retrouve sur tous ces écrans se veut par conséquent une image lourde de sens, mais prise dans l’ensemble, celle-ci commente moins sur le rôle des médias que sur la nature du film lui-même. L’acte d’un super-vilain s’emparant des moyens de diffusion d’une ville perd de sa puissance et devient plutôt un sombre reflet de la machine que Sony souhaite mettre en marche avec cette franchise : du cinéma publicitaire dépourvu de souffle et d’un reflet de société pertinent, dans un genre qui s’y prête pourtant si bien.

Que les mécanismes commerciaux de The Amazing Spider-Man 2 soient si flagrants à l’ère de la convergence médiatique s’avère presque un tour de force en soi. Car si tous les blockbusters nous vendent essentiellement leur produit (Marvel Studios les premiers), rarement un film de la sorte a-t-il été aussi transparent, aussi tristement prisonnier d’un schéma du genre classique. Amalgame du « cool », le film de Webb entretient un rapport au présent qui rappelle maladroitement le blockbuster d’une époque révolue, et un cinéma populaire naïf et nettement moins subtil où P. Diddy se voit indissociablement associé à Godzilla, par exemple, et où Batman cherche à nous vendre sa Mastercard. Avec The Amazing Spider-Man 2, le poids mythique qu’aurait pu avoir cette nouvelle trilogie s’estompe et Spider-Man devient entièrement un produit : « Un grand pouvoir implique » ici aucune responsabilité, outre celle de maintenir le capital de Spider-Man intact. Un grand pas vers l’arrière pour un genre qui nous montrait le mois passé (avec Captain America : The Winter Soldier) qu’il pouvait certainement aller de l’avant.
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Critique publiée le 6 mai 2014.