L'adolescence avec 2 bras c'est bien, mais 3 c'est mieux
Par
Mathieu Li-Goyette
De nos jours, la notion d’une beauté intérieure capable de rivaliser avec les défauts d’un physique compromettant attire vite la foudre des matérialistes, des esthètes du corps et des blondes stéréotypées. Dûment exploité au cinéma sous le drame (Elephant Man), la comédie (Nutty Professor, Shallow Hal) et même le film de super-héros (la sélection y est abondante), la superficialité ne semble avoir tiré son épingle du jeu que sous la tutelle du maître de la beauté dissimulée : David Lynch. Handle Me With Care, s’il suit véritablement cette tendance, met en scène une recherche désespérée de reconnaissance de soi chez un jeune Thaïlandais « armé » de trois bras. Puisqu’il est phénomène de foire, Kwan n’est reconnu que pour son deuxième bras gauche, le reste de son corps demeurant aussi normal (banal?) que n’importe quel autre. En route vers le sud de la Thaïlande pour y subir une opération d’envergure visant à le séparer de sa bien-aimée protubérance, Kwan sera amené à partager son périple aux côtés d’un jeune hippie chauffeur d’autobus et d’une femme de bonne chaire choyée par la nature. C’est une invitation dans l’univers d’humour douteux de Jaturanrasamee. Univers qui, comme son héros hélas, fait bien de se vanter des anomalies qu’on lui reproche puisqu’au fond, il reste, lui aussi, bien habituel.
Handle Me With Care s’offre comme un cheminement de ces deux futurs amoureux à accepter d’être perçus, étiquetés sous leurs principaux traits physiques (l’un est maudit par son membre en surplus, tandis que l’autre est enviée pour sa poitrine abondante). La faille majeure de la comédie romantique réside justement dans cette paresse de remettre le récit dans les mains d’une opposition méthodique, d’une acceptation contraire et mutuelle que ses protagonistes éprouvent. Elle ne pousse leur développement que par des mésaventures relevant du déjà-vu et du gag sexuel répété (les seins de la femme, la possibilité d’une troisième main, etc.). Le rire reste majoritairement en surface, ne plongeant dans la psyché de Kwan et de sa partenaire qu’en l'occasion de scènes amoureuses. Si ces dernières s’avèrent inventives de flirt inspirants, elles ne restent enfin qu’éphémères face à l’ensemble qui se prouve rapidement ancré à un noyau central bien copieux. Atome mort autour duquel plus rien de convaincant ne semble graviter.
Avec ses maigres allures de road trip (le voyage ne supportant le symbole qu’en vu du « cheminement »), ce Handle Me With Care doit effectivement se faire prendre avec des pincettes; beaucoup plus anodin qu’il n’en a l’air, il pourrait s’écrouler sous trop de pression. Des rencontres avec des poissons et des fruits difformes, un troisième bras devenant mort-vivant et le sauvetage in extremis de trois pauvres innocents (idée bien plaisante au départ), le scénario semble s’essouffler vainement dans une tentative de secourir ce que la première partie du récit tentait de mettre en place. Où l’on croyait pouvoir interpréter le membre en plus comme un prétexte à faire évoluer une romance originale qui dénoncerait ces injustices, on s’aperçoit plutôt que le cinéaste en fait vulgairement l’enjeu principal : le personnage souhaite réellement se faire opérer et il réussit! Débarrassé de ses angoisses, il se permet de rejoindre (dans un épilogue rose bonbon à souhait) sa bien-aimée en plein coeur d’un champ fleurissant d’agriculture, endroit du renouveau, de la nouvelle souche. En créant un enjeu qui ne cesse de tourner autour d’une absurdité, Handle Me With Care refuse d’atteindre un certain degré d’esprit qui aurait bien pu être l’intérêt même d’une comédie romantique autrement bien insignifiante et flouée de ses objectifs.
Au minimum, la touche de Kongdej Jaturanrasamee s’y retrouve encore. Bien qu’il se soit offert ici un projet de commande, le réalisateur de Midnight my Love (2005) ne déçoit pas dans ses prouesses à mettre en scène le bras mutant de Kwan. Se contentant parfois d’un technicien hors-champ pour y reproduire les bons mouvements, d’autres fois en usant d'effets numériques, l’arnaque est bien huilée et ne peine aucunement à se prouver crédible. Les comédiens appliquent d'ailleurs avec brio une interprétation classique du genre sans prendre des raccourcis normalisés en se servant de la comédie romantique comme exercice de pince sans rire; ils se trouvent visiblement, eux-mêmes, dans un univers où ils ont peine à y croire (réflexions qui nous parviennent dans un dialogue de la pensée sur fond noir). Bien que satisfaisant le temps d’un visionnement, le style très quelconque de la photographie ramène aussitôt l’envie d’assister à un étalement d’idées bien plus psychédéliques (compte tenu du sujet!). Tout comme le gimmick du film, elle revient à être trop ordinaire quand l’extraordinaire s’y serait pourtant si bien prêté; elle ne tend pas le piège souhaité au spectateur imprudent d’être au-dessus de ses attentes. Comme Kwan le fait remarquer si souvent: « Je souhaite de tout coeur être normal, être comme tout le monde ». C’est une demande très honorable, mais dont on aurait très bien pu se passer de la préméditation appliquée.
Critique publiée le 28 juillet 2008.