DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Il était une fois les Boys (2013)
Richard Goudreau

Cafouillage en zone adverse

Par Jean-François Vandeuren
Cela fera bientôt dix ans que la franchise la plus lucrative de l’histoire du cinéma québécois peine à se renouveler, voire à simplement demeurer pertinente. Après la sortie d’un quatrième long métrage qui était définitivement de trop, la mythique équipe de hockey amateur se sera réfugiée au petit écran dans une série télévisée de moins en moins inspirée, et de moins en moins populaire. Croyant toujours en la force d’attraction de son groupe d’éternels adolescents, le producteur Richard Goudreau aura pris place dans la chaise du réalisateur pour tenter de remettre un peu de charbon dans une machine pourtant sur le point de rendre l’âme. Il était une fois les Boys prend d’ailleurs rapidement les traits d’une vaste étude de marché, courtisant le plus large public possible en pigeant dans pratiquement tous les registres explorés par le cinéma québécois au cours des dernières années. Mais à force de travailler à partir de matériaux aussi disparates, et souvent incompatibles, le film de Richard Goudreau apparaît inévitablement comme une production décousue et irréfléchie dont le public cible n’est jamais clairement défini.

Il était une fois les Boys ne cache évidemment pas sa volonté de capitaliser sur le succès des Pee-Wee d’Éric Tessier. Le tout en abordant de façon plutôt maladroite une quantité abusive de drames relatifs à l’enfance et à l’adolescence dans un contexte plus propice à la célébration de la gloire de nos Canadiens. À l’instar du supérieur Histoires d’hiver de François Bouvier, Goudreau nous transporte à l’hiver 1967 pour une « première » – et probablement dernière – rencontre avec les jeunes Bob, Stan, Méo, Fernand, Marcel et compagnie. Tout ce beau monde sera réuni cette fois-ci à l’occasion d’un tournoi du temps des fêtes qui amènera notre équipe de jeunes Canadiens français sous-estimés à rivaliser avec une formation beaucoup plus fortunée, supportée par l’establishment anglophone, prenant ici la forme du principal employeur de la région. L’une des premières séquences du film, au cours de laquelle les parents des jeunes Boys (campés par leurs interprètes d’origine) rentreront la mine basse à l’usine, révélera toutefois un ennemi beaucoup plus sournois, soit le francophone trahissant ses semblables en abusant du peu de pouvoir qui lui a été conféré.

Le présent exercice ne parvient ainsi jamais à trouver de juste milieu pour être en mesure de capter pleinement l’attention des deux tranches d’âge auxquelles il désire s’adresser. Il faut dire que l’idée de transformer une franchise reconnue pour son humour de fond de taverne en un film à la fois destiné à un public beaucoup plus jeune et cherchant à replonger le spectateur de la première heure dans ses souvenirs de jeunesse était déjà assez risquée en soi. L’échec du film de Goudreau est d’ailleurs attribuable au fait que celui-ci ne semble jamais savoir sur quel pied danser, voire quel point de vue privilégier. Un tel manque de repères nous donne un spectacle aussi dépourvu d’humour qu’il s’avère incapable de tirer une force significative de tous les drames qu’il met en scène, ceux-ci s’éparpillant du harcèlement à un accident mortel en passant par le jeu pathologique – qu’il trouve le moyen de tourner en farce – et le cas classique du père absent. Une surenchère voyant les enjeux comme les personnages être continuellement négligés au profit d’un autre, auquel Goudreau n’accordera toutefois guère plus d’attention.

Il était une fois les Boys se serait révélé un divertissement beaucoup plus efficace si ses artisans s’étaient résolus à embrasser pleinement l’idée de tourner un nouveau Guerre des tuques – classique du cinéma jeunesse dont ces derniers s’inspirent pourtant plus souvent qu’à leur tour. Le problème, c’est que Goudreau et ses acolytes consacrent trop d’énergie au monde des adultes – par maladresse comme par sentiment d’obligation face à leur propre héritage – alors qu’ils auraient dû se concentrer davantage sur la naissance de l’esprit de corps qui unirait leurs personnages pour les décennies à venir. Dans une production où tout sonne déjà faux, il est plutôt désolant de voir personne jouer davantage la carte de la désinvolture au-delà de quelques séquences convenues tombant vite à plat. Si ce n’est de la simple victoire, la portion « hockey » du film de Goudreau, qui n’obtient guère le temps d’écran qui aurait normalement dû lui être consacré, ne se révèle également le moteur d’aucune tension significative. Une lacune tout de même étonnante pour un film osant traiter des divisions sociales très prononcées du Québec de l’époque, lesquelles ne trouve au final que très peu de résonnance, et ce, aussi bien au niveau du récit que du discours.

Ainsi, plutôt que de ne s’en tenir qu’à l’essentiel, Il était une fois les Boys s’évertue à marquer le parcours de tous ses jeunes hockeyeurs d’un drame personnel afin d’amener ces derniers à se serrer les coudes, envers et contre tous, pour faire face à des situations dont ils ne connaissent ou ne comprennent pas encore toutes les implications. Goudreau aurait pourtant pu marquer un grand coup ici s’il avait su aborder ces questions d’un point de vue uniquement adolescent. Une telle initiative devient toutefois irréalisable de par la simple présence des Marc Messier, Pierre Lebeau, Rémy Girard et compagnie, lesquels ont pour mandat de faire le pont entre le passé et le présent, et ce, d’une manière qui ne fait parfois aucun sens. Goudreau ne se contente toutefois que de positionner ces derniers dans des rôles insignifiants et mal écrits, comme si un entraîneur s’entêtait à faire jouer ses meilleurs attaquants sur un quatrième trio. Le cinéaste n’est également d’aucun secours pour ses jeunes acteurs, à qui l’on a simplement demandé de reproduire les traits, les mimiques et les expressions les plus connus des personnages qu’ils ont été invités à camper.

Ni drôle ni particulièrement poignant, Il était une fois les Boys souffre d’une crise d’identité l’empêchant d’aborder du bon angle un contenu qui avait pourtant un certain potentiel. Trop d’attention aura ainsi été accordée à la reconstitution esthétique d’une époque dont Goudreau n’arrive cependant jamais à relever correctement l’essence, donnant peu à se mettre sous la dent au spectateur n’ayant pas connu cette réalité et titillant à peine le sentiment de nostalgie de celui pouvant s’y retrouver. Il était une fois les Boys échoue par conséquent autant à parler concrètement de l’adolescence qu’à s’adresser à elle. Il faut dire que la franchise aura perdu son principal atout lorsqu’elle aura commencé à baser de moins en moins son humour et ses prémisses sur des observations, certes, faciles, mais néanmoins habilement tournés et perspicaces, pour privilégier l’orchestration de machinations comiques peu effectives et complètement dépassées. L’élément rassembleur unissant des individus qui n’avaient souvent rien en commun s’en voyait du coup encore plus négligé. En voulant sauver du gouffre une série dont les jours étaient comptés depuis longtemps, Richard Goudreau aura ironiquement planté le dernier clou dans le cercueil, proposant au final un collage d’idées peu originales, assemblées sans rigueur ni conviction.
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Critique publiée le 6 décembre 2013.