DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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World's End, The (2013)
Edgar Wright

Littéralement

Par Jean-François Vandeuren
The World’s End prend rapidement des allures de film somme, transportant ses principaux personnages au coeur d’une petite communauté paisible du Royaume-Uni, à l’image du Hot Fuzz de 2007, avant de placer ces derniers en position d’infériorité numérique face à une menace surgissant de tout bord tout côté façon Shaun of the Dead. Pour Edgar Wright, c’était l’occasion d’effectuer un retour aux sources entre deux percées dans le marché nord-américain, lui qui, après le survolté Scott Pilgrim vs. the World - qui n’aura malheureusement pas connu le succès mérité -, s’attaquera prochainement à l’adaptation de la bande dessinée Ant-Man pour le compte des studios Marvel.

Pour arriver à ses fins, le réalisateur se sera de nouveau entouré de ses vieux complices Simon Pegg - avec qui il cosigne le scénario - et Nick Frost, menant pour leur part une distribution des plus invitantes réunissant les Paddy Considine, Martin Freeman, Eddie Marsan, Rosamund Pike et Pierce Brosnan. Moins surstimulant que le précédent opus du Britannique, The World’s End rejoint davantage l’humour de ses deux premiers longs métrages, renouant avec ce mélange exquis de comédie et de cinéma de genre avec le même enthousiasme que par le passé tout en démontrant que ses maîtres d’oeuvre ont encore bien des choses à apporter à cette formule ayant déjà plus que fait ses preuves. À l’instar de ses deux têtes d’affiche, qui se seront allègrement échangés les rôles d’éternels adolescents et de mâles un peu trop coincés tout au long de ce triptyque, Wright évite lui aussi l’immobilisme grâce à l’authenticité et au relief qu’il aura su insuffler à ses personnages tout comme à ses mises en situation à la fois si similaires et si différentes les unes des autres.

Une croisade vers la petite localité de Newton Haven sera donc instiguée par Gary King (Pegg), un individu dont l’existence aura très peu évolué depuis la fin de ses journées passées sur les bancs d’école, son quotidien étant d’ailleurs toujours guidé par un échantillonnage d’une chanson du troisième album de la formation Primal Scream paru en 1991. Une pièce qui aura inspiré Gary à ne développer aucun attachement pour quoi ou qui que ce soit et à ne vivre que pour le moment présent, ambition qu’il aura cherché à perpétuer en abusant de diverses substances tout au long de sa vie d’adulte. C’est durant une thérapie de groupe que Gary aura étrangement l’idée de retenter une tournée de douze pubs dont lui et ses anciens comparses n’avaient su venir à bout à leur sortie du lycée. Gary entreprendra dès lors de réunir la vieille clique, dont les quatre autres membres ont désormais des carrières respectables, dans le but de triompher de ce parcours mythique et de recréer la dynamique qui les unissait jadis.

De cette mise en situation tout ce qu’il y a de plus familière, qui entraînera bien malgré eux un groupe d’hommes prospères dans les frasques d’un être irresponsable, surgiront peu à peu les grandes lignes d’une histoire de science-fiction tournant autour du concept de paranoïa. Les cinq comparses réaliseront ainsi que les habitants de leur ville natale où il fait si bon vivre ont été remplacés au fil des ans par des êtres faits de plastique et de filage, plongeant dès lors tout ce beau monde dans une intrigue mélangeant de manière improbable les récits de They Live et Invasion of the Body Snatchers à l’irrévérence de Attack the Block. Comme ils l’avaient fait pour le film de zombies et le film policier, les deux scénaristes effectuent de nouveau un parfait dosage des éléments spécifiques aux deux genres associés. Le tout au coeur d’une prémisse parvenant à imposer une identité qui lui est propre grâce à cette même verve comique et l’impressionnante rigueur scénaristique ayant toujours fait le succès du duo britannique.

Le degré et le style d’humour demeurent donc intacts, les personnages imaginés par Pegg et Wright livrant leur lot de répliques aussi délicieuses que mémorables tandis que chaque interprète campe avec toute la vigueur et l’esprit désirés le rôle type auquel il a été associé. Il faut dire que les films d’Edgar Wright n’ont rien de simples gamiques, tirant principalement leur essence de personnages parfaitement définis pour pouvoir se permettre de visiter périodiquement des avenues beaucoup plus dramatiques tout en conservant le même niveau d’efficacité. Le tout est d’autant plus articulé autour de la capacité du réalisateur à intégrer à son récit tous les éléments susceptibles de satisfaire instantanément son auditoire, et ce, sans jamais avoir à en sacrifier la logique ou l’homogénéité. Une qualité non négligeable en cette ère de films cultes préfabriqués où le sens comme la façon dont ce genre de productions obtenaient jadis ce statut si prestigieux semblent être ignorés plus souvent qu’autrement.

Qu’Edgar Wright soit parvenu à atteindre une fois de plus de tels sommets, lui qui sait toujours de quelle corde jouer à quel moment, témoigne bien de toute la perspicacité derrière ses méthodes. Une démarche dont l’efficacité ne repose en soi que sur l’attention accordée au plus menu détail et l’effort de compréhension de la matière manipulée. Deux qualités qui auront malheureusement été absentes de bon nombre d’initiatives de ce genre parues ces dernières années. Le succès du trio Frost-Pegg-Wright est ainsi attribuable au fait qu’aucun ingrédient ne semble avoir été incorporé de force à la recette, la saveur de chacun étant parfaitement relevée et se mariant avec aisance à celle des autres, témoignant encore là de la cohérence comme du plaisir et de la passion contagieuses venant souder ses élans.

Le Britannique continue ainsi de travailler à partir de prémisses relativement simples, ajoutant la chair autour de l’os grâce au relief qu’il parvient à insuffler à tout coup à chaque élément. L’essence de son cinéma devient alors vite palpable, valant bien ici tous les revirements de situation saugrenus et les quiproquos maladroits dont regorgent trop souvent ce type d’initiatives. Si le présent exercice se révèle, certes, un peu plus laborieux en fin de parcours, Wright ayant alors tendance à étirer un peu trop la sauce pour arriver à ses fins, The World’s End demeure une comédie de genre des plus réjouissantes menée par un cinéaste toujours aussi rusé et articulé. Une mise en scène à la fois stylisée et méticuleuse et un scénario habilement cadencé donnent ainsi un second souffle à tous ces personnages et ces situations éculés que le réalisateur se plaît à revisiter avec son oeil d’artiste comme de spectateur. Sans être l’oeuvre d’une carrière, The World’s End s’impose au final comme une autre pièce de choix venant s’ajouter à l’une des filmographies les plus estimables de la comédie actuelle.
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Critique publiée le 17 septembre 2013.