Les 4 soldats fait office de drôle d'objet dans la filmographie déjà atypique de
Robert Morin. C'est un film de genre(s) sans genre précis – à la fois film de guerre où on ne fait au final qu'attendre celle-ci, science-fiction d'anticipation tournée dans un présent que l'on tente à peine de dissimuler et récit post-apocalyptique où la fin de la civilisation n'est plus qu'un contexte diffus… Mais c'est surtout une sorte de conte mélancolique, particulièrement émouvant, sur l'amitié et la mort, la fuite et l'espoir; une histoire simple qui carbure aux sentiments primaires et qui pourrait bien s'avérer, tout compte fait, le plus accessible des films de son auteur ou, du moins, le plus réussi de ses films accessibles.
Populaire, le nouveau Morin l'est non seulement parce que sa forme est plus classique qu'à l'habitude, mais aussi parce qu'il s'agit d'un film articulé tout entier autour de l'idée de communauté. « Je me suis dit qu'il fallait qu'on écrive notre histoire, avant qu'elle n'existe plus », conclut Dominique (
Camille Mongeau), narratrice dont la mémoire donne vie à cette histoire menacée par la disparition de ceux qui l'ont vécue. Ayant traversé la guerre, la jeune fille se donne pour mission de la raconter, afin qu'à travers elle puisse survivre le souvenir de ses camarades d'infortune mais, surtout, celui de ce groupe qu'ils ont formé, de cette amitié qui leur a permis d'échapper momentanément aux conflits.
Ici, la naïveté côtoie la cruauté et la douceur, l'horreur.
Les 4 soldats est un film qui souffre avec ses personnages, s'émerveille devant les mêmes choses qu'eux et pleure à leurs côtés. C'est un film foncièrement solidaire parce que la mise en scène de Morin regroupe et rassemble. Elle réunit – c'est-à-dire qu'elle crée l'unité, provoquant la naissance d'une famille improvisée au beau milieu du chaos. Même les apartés de Dominique, qui par moments s'adresse directement à la caméra, contribuent à solidifier les liens qui se tissent au fil du récit. Non seulement ceux qui unissent les personnages entre eux, mais aussi ceux qui les unissent au spectateur.
En quelques phrases à peine, Morin trace les grandes lignes de son univers : « La guerre a commencé quand il restait juste quelques riches et que tous les autres étaient pauvres. » Voilà la formule qu'il nous offre en guise de « Il était une fois », celle qui supprime tout détail inutile pour concentrer l'attention du spectateur sur l'essentiel de la situation. « L'armée était du côté des riches. Les pauvres, qui n'avaient plus rien à perdre, ont formé des milices. » L'étrange familiarité de l'image, pourtant irréelle, sur laquelle se posent ces mots inscrit d'emblée le récit dans un imaginaire de la fin qui sonne juste – trop juste pour ne pas être inquiétant, trop inquiétant pour ne pas être troublant.
Les 4 soldats, ne serait-ce que pour ces quelques images de combat armé dans une banlieue mise à feu et à sang ou ce choix de construire un camp militaire dans les ruines de la société automobile, est d'emblée le film québécois le plus clairvoyant, le plus lucide de l'année. Car Morin y emploie réellement le cinéma pour mettre en images le devenir des choses, pour exposer l'avenir que porte en elle la matière du présent. C'est en ce sens que la direction artistique d'
André-Line Beauparlant est déjà, en soi, une forme de mise en scène. Elle se suffit à elle-même, porte en son sein une idée avant même d'être le théâtre d'une action.
Une vérité fondamentale se dégage du minimalisme forcé caractérisant cette esthétique, un discours incisif prenant forme par la tension que celle-ci installe entre le réel et la fiction. En soulignant la laideur intrinsèque des éléments dont elle procède au détournement, cette mise en scène subversive révèle avec une foudroyante clarté l'indécence de la culture dont elle se réapproprie habilement les symboles. Entassés dans les ruines de la société contemporaine, attendant la reprise d'un conflit dont les enjeux sont au mieux nébuleux, les héros des
4 soldats finissent par choisir la fuite – un simple étang devenant à leurs yeux un refuge précieux, à l'abri du monde et de sa folie.
Plus que jamais, Morin se permet ici de ponctuer un film de véritables moments de grâce, faisant de la complicité naissante entre ses personnages le principal enjeu de son scénario. La guerre est de ce fait reléguée à l'arrière-plan, simple force dormante qui menace de venir à tout moment détruire les liens qu'elle a créé. Loin de son habituel cynisme carnassier, de cette ironie assassine pour laquelle il est depuis toujours réputé, l'auteur se laisse plutôt aller à une certaine forme de nostalgie, filmant comme un souvenir une amitié alors même qu'elle prend forme.
En ce sens,
Les 4 soldats s'avère une oeuvre plus sage, plus posée où ce qui transparaît dans un premier temps, c'est cette immense compassion, cette douloureuse sympathie qu'inspire à Morin le sort de ses personnages. Comme si, lui-même épuisé par ses propres combats, le réalisateur avait décidé de prendre une pause, de s'installer à leurs côtés pour reprendre lui aussi son souffle. Derrière ses allures de petite fresque à grand déploiement, cette fable humaniste se révèle foncièrement intimiste, profondément personnelle – à l'instar de l'oeuvre entière d'un auteur passé maître dans l'art de filmer à hauteur d'homme qui, cette fois, s'est permis d'offrir à ceux-ci une fragile lueur d'espoir au beau milieu de leurs souffrances.