DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Hijacking, A (2012)
Tobias Lindholm

Les nouvelles contraintes

Par Jean-François Vandeuren
C’est une notion qui nous traverse de plus en plus l’esprit, stipulant que tout n’est pas simplement dans le récit qui nous est raconté, mais également dans la manière dont celui-ci nous est raconté. Peut-être est-ce l’une des rares façons dont nous pouvons encore parler d’originalité en cette ère où tout semble déjà avoir été dit et fait sous une forme ou une autre, où la grande majorité des scénarios répondent à un modèle narratif établi dont les mécaniques auront été éprouvées jusqu’à l’usure. Ainsi, un metteur en scène un tant soit peu rusé et inventif saura tirer profit des contraintes avec lesquelles il doit composer pour arriver à des résultats aussi enlevants et articulés - sinon plus - qu'une production bénéficiant de moyens plus importants, mais s’orientant vers une forme de spectacle beaucoup plus traditionnelle. La question est du coup de savoir quel traitement sera privilégié par le cinéaste pour porter son scénario à l’écran. C’est ce genre de constats et d’interrogations qui nous viennent en tête au cours du visionnement de A Hijacking du Danois Tobias Lindholm, trouvaille des plus réjouissantes comme il en passe malheureusement beaucoup trop chaque année sous le radar des cinéphiles. Des films s’imposant généralement de par la puissance dramatique et l’extrême précision des méthodes préconisées par leurs maîtres d’oeuvre. Le résultat se veut ici une oeuvre qui ne cherche pas tant à déjouer les conventions d’un certain genre plus que de leur trouver un sens nouveau. Le tout par l’entremise d’une démarche dépouillée de tout artifice, mais jamais à court de drame ni de suspense.

Lindholm nous entraîne ainsi au coeur d’une histoire de prise d’otages qui débutera lorsqu’un navire de charge danois sera pris d’assaut par des pirates somaliens. Ce sera le début d’une (très) longue période de négociations entre les criminels et les dirigeants de la compagnie mère, qui tenteront de marchander leur navire et la vie de leurs hommes tout en cherchant à faire chuter le montant de la rançon, qui sera d’abord fixé à quinze millions de dollars américains. Le réalisateur impressionnera d’entrée de jeu de par la façon à la fois simple, directe et particulièrement adroite dont il intégrera les éléments clés de son intrigue afin de lui conférer une dimension très humaine et de décupler la tension qui en émane. C’est d’ailleurs à cet égard que l’approche de Lindholm rejoindra - d’une certaine façon - les impératifs qui restreindront les représentants des deux camps durant les négociations. Ne cherchant pas à faire dans le canular ou à s’inscrire dans le courant du « found footage movie », A Hijacking se plaira néanmoins en début de parcours à employer des méthodes rappelant fortement celles du documentaire. Lindholm passera alors par la présentation des personnages de Mikkel (Johan Philip Asbæk), le cuisinier du bateau, et de Peter (Søren Malling), le directeur de l’entreprise, pour situer son récit à l’intérieur d’un univers tout ce qu’il y a de plus concret. Une entrée en matière qui guidera les élans du Danois bien au-delà de l’événement déclencheur qui ancrera définitivement son scénario dans la fiction, lui qui respectera jusqu’au tout dernier instant les règles et la logique souvent sans merci auxquelles obéit la réalité.

Cette approche des plus épurées aura certainement été employée dans toutes les branches du cinéma de genre au cours des dernières années. Bon nombre de réalisateurs misent désormais sur l’efficacité pure dans un créneau où une image laissée à l’état brute se révèle parfois plus effective qu’une autre trop peaufinée. C’est certainement le genre d’objectifs que le complice de Thomas Vinterberg avait en tête, mais sa démarche laisse surtout paraître les qualités d’un cinéaste extrêmement débrouillard de même que d’un excellent raconteur, lui qui est visiblement beaucoup plus intéressé par les drames que par la mise en situation dont ils découlent. La totalité de l’action de A Hijacking est ainsi concentrée à l’intérieur de seulement deux lieux, soit le navire à la merci des brigands des mers et les locaux de la compagnie mère à Copenhague. La valeur narrative et dramatique du film de Tobias Lindholm repose du coup sur la façon dont ce dernier effectue le pont entre les deux endroits, et surtout sur les moments où il nous confinera dans l’un ou l’autre de ces deux microcosmes. Le réalisateur n’effectue ainsi jamais de va-et-vient entre les deux lieux à l’intérieur d’une même séquence, nous permettant de ne voir qu’un côté de la médaille à la fois. Une stratégie qui se révélera particulièrement payante lorsque Lindholm étirera notre présence dans un lieu pour nous garder dans le noir quant à l’évolution de la situation dans l’autre. Le tout rendra également le temps passé avec chacun des deux principaux personnages beaucoup plus significatif, et ce, en ce qui a trait aussi bien à l’identification du spectateur qu’à sa compréhension des deux manières dont sera vécue la crise.

Là où A Hijacking laisse également sa marque, c’est dans la façon dont il parvient petit à petit à soustraire toute notion d’antagoniste. À un certain moment, il ne restera plus qu’une situation hasardeuse de laquelle chaque camp tentera de se sortir en ayant obtenu le plus ou perdu le moins possible. Les pirates modernes passeront le temps en attendant d’obtenir ce qu’ils veulent tandis que leurs otages chercheront à fraterniser avec eux pour ne pas vivre dans un climat de stress et de frayeur continu. De son côté, Peter devra sans cesse jongler avec les impératifs commerciaux et humains de l’entreprise pour éviter de perdre le contrôle de la situation. Ce dernier révélera d’ailleurs une sensibilité qui est généralement évacuée de ce type de personnages de haut placés lorsque ces deux capitaux entrent en ligne de compte. Il s’agit certainement de l’un des éléments les plus significatifs du film de Lindholm, auquel le jeu d’un naturel confondant et d’une grande sobriété de Søren Malling confère toute l’humanité désirée. Le temps sera évidemment un facteur toujours déterminant, introduit à la fois comme la principale faiblesse d’un parti et une arme à double-tranchant pour l’autre au coeur de ce bourbier où le réalisateur soulignera toujours de façon tempérée que la vie ne peut que continuer malgré tout. Le réalisme confondant de la démarche de Lindholm va ainsi de pair avec son impressionnante maîtrise du drame et du suspense, lui qui gardera d’ailleurs son doigt sur la gâchette au-delà de la résolution du conflit. A Hijacking se révèle un exercice de mise en scène minimaliste - d’autant plus renforcé par une absence quasi-totale de support musical -, mais mené avec un savoir-faire et un sens du rythme sidérants.
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Critique publiée le 6 juillet 2013.