La jeune femme à laquelle
Greta Gerwig prête ses traits dans
Frances Ha se révèle assez similaire au personnage titre qu’elle côtoyait dans l’excellent
Greenberg de 2010. Il faut dire que les protagonistes des films de
Noah Baumbach ont toujours été poussés à faire un - ou plusieurs - pas en avant, à sortir de leur zone de confort ou à se libérer du marasme qui semble les contenir. Une série d’étapes que surmonteront lentement, mais sûrement, ces individus cherchant à comprendre les rudiments de l’âge adulte, eux qui devront alors répondre à de multiples remises en question, desquelles ressortira la nécessité de remettre de l’ordre dans une existence paraissant au point mort. C’était le cas également - dans une tout autre mesure - du personnage qu’interprétait
Jesse Eisenberg dans
The Squid and the Whale, qui cherchait pour sa part à gagner prématurément en maturité en s’inspirant d’un père qu’il aura parfois idolâtré pour les mauvaises raisons. Oeuvre plus symbolique pour l’actrice que pour le réalisateur, il ressort de
Frances Ha le dur constat de la perte des illusions d’une génération de jeunes adultes aspirant à un mode de vie qu’ils voient défiler depuis toujours dans les arts et les médias - et désormais dans les réseaux sociaux -, mais auquel la vaste majorité n’aura jamais accès. Ces derniers cherchent à faire leur place dans différents milieux artistiques n’étant plus en aussi bonne santé qu’à une certaine époque, se démenant pour adhérer à une routine nourrie à l’ironie et à la nostalgie d’une époque à laquelle ils auraient voulu appartenir, et qu’ils tentent à présent de recréer dans un monde où les règles ont toutefois bien changé.
Avec
Frances Ha, Gerwig continue de mener cette vague d’actrices, regroupant notamment les
Brit Marling,
Zoe Kazan et
Rashida Jones, qui auront tenté de s’imposer au cours des dernières années dans le milieu du cinéma indépendant américain en faisant également valoir leurs talents de scénaristes. Avec l’aide de Baumbach, la comédienne aura su éviter les nombreux pièges qui auraient pu écraser son histoire sous le poids d’un ton lamentable et teinté d’égocentrisme. Heureusement, le duo aura trouvé le moyen de tirer de sa prémisse un récit drôle, touchant et on ne peut plus sincère, résultat de la superbe chimie s’opérant entre le vétéran et sa nouvelle complice, et ce, aussi bien devant que derrière la caméra. À l’écran, Gerwig incarne une jeune femme cherchant à faire sa place dans le milieu de la danse dont l’univers sera mis sens dessus dessous lorsque sa meilleure amie Sophie (
Mickey Sumner) décidera de ne pas renouveler le bail de leur appartement pour aller vivre dans un quartier plus huppé de la Grosse Pomme. Une nouvelle qui surviendra au moment où Frances viendra tout juste de refuser d’emménager avec son petit ami, décision qui mènera d’autant plus à leur séparation. La jeune femme devra dès lors refaire périodiquement son nid dans l’appartement de quelqu’un d’autre, le positionnement de chacun de ces logis étant du coup employé comme baromètre de la condition sociale et financière du protagoniste. Tandis que la situation de Frances semblera de plus en plus précaire, celle-ci côtoiera des gens entretenant un rapport assez peu réfléchi avec l’argent, tendance d’une génération suivant ses impulsions en ne tenant pas toujours compte des conséquences qu’elles pourraient entraîner à court comme à long terme.
La superbe direction photo monochrome de Sam Levy - qui fait certainement écho à celle du magnifique
Manhattan de
Woody Allen - ainsi que le choix des pièces musicales reflètent parfaitement l’état d’esprit du personnage éponyme. La jeune femme paraîtra ainsi continuellement nostalgique d’une époque révolue, de ce qu’elle perdra sur le plan humain et social et ne parviendra pas à recouvrer complètement en raison de la manière dont elle sera continuellement chahutée par le destin. Frances n’aidera pas non plus sa cause en laissant simplement les choses aller, croyant que le vent finira par tourner en sa faveur d’un seul coup de baguette magique sans qu’elle n’ait à accepter de dégringoler de quelques échelons pendant quelques temps pour se réajuster, même si, en revanche, elle profitera amplement de l’hospitalité des gens qui l’entourent pour se trouver un toit, ou même faire baisser le coût d’une petite escapade à Paris. Un comportement qui ne pourra que l’entraîner de plus en plus vers les bas-fonds, et l’éloigner incidemment de cette vie rêvée au coeur de la mégapole newyorkaise. Le dernier endroit où notre héroïne aboutira la forcera évidemment à remettre ses choix et ses priorités en perspective et à accepter que la solution se trouve tout simplement dans la prise de ses responsabilités. Un gain significatif en maturité qui viendra renforcer le principal précepte du film dictant que toute progression commence d’abord par soi-même. Une idée que Gerwig et Baumbach pousseront sans chercher toutefois à faire la morale, se servant habilement de la personnalité attachante, fondamentalement optimiste et quelque peu maladroite de Frances pour garder leur récit au-dessus de toute lourdeur dramatique.
C’est en marquant l’évolution de son protagoniste à partir de sa façon de gérer sa vie plutôt que de son simple tempérament que le duo aura pu tirer de cette petite histoire en apparence anodine une oeuvre aussi sensée que sentie, de même qu’une comédie d’une foudroyante efficacité. La performance des plus enjouées de la jeune actrice y est évidemment pour beaucoup dans la réussite de la présente entreprise, donnant vie à un personnage face auquel le spectateur est davantage appelé à éprouver de la sympathie qu’à réellement s’identifier. Les différentes leçons que Frances devra tirer de ses frasques se révéleront évidemment quelque peu contradictoires dans un monde convergeant continuellement vers l’instantanéité, mais où tout semble prendre de plus en plus de temps à se mettre en place. Le meilleur exemple à cet effet demeure les petites habitudes que Frances et Sophie auront développées au fil du temps, mais que l’héroïne ne sera en mesure de reproduire rapidement avec quelqu’un d’autre. Un détail que nous finissons par oublier lorsque ces éléments font désormais partie intégrante d’une certaine routine. Cette formidable séquence de clôture, qui viendra justifier le titre de l’exercice, nous présentera d’ailleurs l’héroïne alors qu’elle se retrouvera finalement sur une pente ascendante, encore loin du sommet, certes, mais confiante de pouvoir s’y hisser selon ses propres termes, et surtout grâce à cette sagesse nouvellement acquise.
Frances Ha démontre ainsi que Baumbach n’a rien perdu de sa verve comique et de sa grande sensibilité dramatique. Un puissant mélange dont il dose les ingrédients d’une manière toujours aussi merveilleusement nuancée pour en tirer un cinéma apaisant, aussi cocasse que perspicace, aussi léger que d’une grande précision.