DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Man of Steel (2013)
Zack Snyder

Cœur d'acier

Par Mathieu Li-Goyette
Depuis 75 ans, Superman incarne « la vérité, la justice et l'American way ». Dans une société en proie à l'aliénation, aux frustrations du quotidien, dans une société industrialisée où l'Homme n'est, pour paraphraser Umberto Eco, qu'un numéro à l'intérieur d'une organisation où le principe de force individuelle s'est dissipé, dans une société où la machine vise à remplacer nos moindres actions, nos moindres luttes, le héros positif qu'est le man of steel « incarne, au-delà du concevable, les exigences de puissance que le citoyen commun nourrit sans pouvoir les satisfaire » (De Superman au Surhomme, p. 113).

C'est aussi ce que murmure Jor-El (Russell Crowe) à l'oreille de son fils, Moïse réincarné, Christ en devenir, éjecté de Krypton comme une bouteille à la mer dans l'espoir qu'il connaîtrait la vie que son peuple, à force de cupidité et d’expansionnisme interstellaire, n'allait être en mesure de lui assurer. La planète d'origine du superhéros est un monde dangereusement totalitaire où les individus naissent dans des éprouvettes, destinés à des rôles particuliers de scientifiques, de soldats, d'ouvriers. Krypton est à l'image de la Terre et vice-versa comme Dieu est l'image l'Homme; le parallèle omniprésent entre la religion chrétienne et Superman enrobe le film d'un lyrisme prêt-à-porter qui affiche ses couleurs dès le premier plan : la naissance de Kal-El (Henry Cavill), le premier Kryptonien né naturellement depuis des siècles, l'homme qui aspirera à autre chose et dont la quête cosmique de réinvention de soi sert d'allégorie inépuisable au rêve américain.

Envoyé sur Terre par son père pour qu'il échappe à la destruction inévitable de sa planète et au courroux du général Zod (Michael Shannon en militaire de naissance qui ne jure que par la reconstruction du défunt empire), Kal-El est élevé par un père et une mère terrestres (Kevin Costner et Diane Lane) qui, à l'image de Joseph et Marie, lui apprennent à s'intégrer au monde des humains; si ses rayons X lui causent des maux de tête insupportables, c'est surtout lorsqu'il se restreint d'user de sa force face aux brutes de l'école élémentaire qu'il crise. Ce surhomme, plus que tous les autres du cinéma, recèle en lui une force monumentale qu'il souhaite à tout prix partager pour défendre les démunis. Ayant les moyens de ses ambitions, il est l'homme indestructible par excellence, celui qui retrouve dans son humanité la vulnérabilité qui lui permet, contrairement aux sbires de Zod, d'être sensible à la morale et à donc à nous, êtres de la morale civique.

Plus que Christopher Reeve qui représentait un archétype américain aujourd'hui vétuste, plus encore que Brandon Ruth, homme d'acier ankylosé par la nostalgie, Henry Cavill est un mastodonte de muscle et d'innocence qui ne rime pas avec naïveté. Sa curiosité à comprendre ses confrères humains le restitue à sa position d'extraterrestre et favorise l'incorporation des codes de la science-fiction dans le film. Zack Snyder, déjà responsable de l'adaptation de Watchmen au grand écran, remplace ici la Forteresse de la Solitude par un vaisseau inspiré de H. R. Giger qui s'avère dissimulé sous l'Arctique. Quant à elle, la structure dramatique qui n'est pas sans rappeler celle de The Day the Earth Stood Still culmine en une rencontre explosive entre Metropolis et une technologie étrangère dont la grandeur renvoie aux plans les plus réussis de Prometheus.

À bien des égards, l'hybridité entre le film d'action, la science-fiction et le récit d'apprentissage atteint de rares sommets alors que Snyder s'intéresse étonnement à la structure morcelée de Tree of Life. Durant une première heure où les prouesses héroïques alternent avec des flashbacks-clé de l'enfance de Clark Kent, le metteur en scène place méthodiquement les pièces les plus importantes de la mythologie de Superman et clôt son récit des origines par un dernier plan qui laisse rêveur pour la suite. À l'image de Casino Royale qui imaginait James Bond pour une nouvelle génération, l'approche de Snyder et Goyer nous indique que ce Superman en est un autre et qu'une grande partie du plaisir à venir tournera autour de la redécouverte du personnage.

Tous ces films – sans oublier Batman Begins, auquel Man of Steel emprunte Christopher Nolan pour assurer la bonne conduite de la production –, Snyder les émule avec un talent indéniable, reléguant cette fois-ci sa griffe de l'image ralentie, puis rapidement accélérée. Avec l'aide de ses excellents acteurs, il opte au contraire pour une approche réaliste en se reposant sur des plans de caméra à l'épaule, des close-ups rapides lors des envolées et une attention remarquable à l'utilisation du son et à la bande sonore de Hans Zimmer. Par une direction photo grise et bleue qui rappelle les Batman de Nolan, Snyder réitère l'appartenance de l'homme d'acier à cet univers qu'il rapproche du nôtre avant de le soumettre à l'invasion du général ennemi. Au final, son Superman n'est pas plus réaliste pour le plaisir du style, mais plutôt parce qu'ainsi, il est, plus que jamais, à notre image.

« Tu donneras aux gens un idéal. Ils courront derrière toi, ils trébucheront, ils s'écrouleront, mais un jour, ils te rejoindront dans le soleil », dit Jor-El à son fils. Tout Man of Steel, par les différents procédés de transfigurations qu'il met en scène, des plus subtils aux plus balourds, est résumé par des voix-off qui commentent l'ascension d'un héros plus grand que nature, nous donnant à la fois une impression de détachement, mais aussi d'identification grâce à Lois Lane (Amy Adams) qui éclipse par sa verve et son initiative les incarnations précédentes du personnage. De loin, mais aussi de très près, nous apercevons donc ce Superman s'envoler, aller à la rescousse d'un monde tangible que l'on entend et voit respirer, un monde où le lyrisme et les légendes font désormais définitivement partie du quotidien.

À 33 ans, l'âge du Christ, Clark Kent est né à nouveau, ressuscité lui aussi, mais cette fois par une nouvelle tradition tragico-réaliste où la persona d'acteurs de renom compte autant que l'impressionnante avalanche d'effets spéciaux qu'on nous sert dans une finale ambitieuse (sans aucun doute les plus réussis depuis les débuts de l'ère du numérique). Comme de nombreux récits des origines, celui-ci pèche néanmoins dans l'exposition et dans la réintroduction du héros; chaque nouveauté éclipse ainsi un souvenir, chaque trouvaille nous laisse désirer une nostalgie qu'on peine à retrouver. Dieu solaire, Superman a malheureusement tout le sérieux d'un prêtre, esquissant rarement un sourire, préférant jouer la carte de l'élu jusqu'au bout de son chemin de croix. Considérant les origines enfantines du personnage et son attachement à une génération toujours plus jeune de spectateurs, voilà un superhéros probablement trop adulte pour la simplicité de ses idéaux.

Malgré toutes ses lacunes, Man of Steel possède un pouvoir d'émerveillement qu'il n'avait pas été donné de voir au cinéma depuis fort longtemps. Au fil du tempo de plus en plus accéléré du film, au fil des coups de poing qui tonnent comme la foudre, des roulements de caisse claire et des timbales de Zimmer, tout le grand plan de Snyder, de Warner et de DC Comics se met en place pour nous donner le Superman d'une nouvelle ère : un héros parfait jusque dans ses imperfections, tellement mortel qu'il en devient divin, tellement droit qu'il ne peut être qu'exemplaire. Et c'est là, précisément là, au centre d'un quadrilatère formé tour à tour de culture populaire, de pétarade superhéroïque, de Wagner et de Nietzsche qu'on retrouve le cœur d'acier de Kent, un cœur judicieusement positionné, mais encore trop dur, trop chromé alors que le nôtre, finissant par être dompté par les « thum-thump » incessants du film, n'en finit plus de battre au rythme du mythe.
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Critique publiée le 14 juin 2013.