L’épopée funeste de Richard Kuklinski possédait tous les éléments du parfait film de gangsters hollywoodien avant même que le cinéaste
Ariel Vromen ne s’en empare et ne la porte au grand écran. À la fois père de famille dévoué et tueur à gages sans merci, les frasques du criminel auront été révélées au grand jour au moment de son arrestation au milieu des années 80. L’assassin aura surtout fait les manchettes pour s’être servi d’un congélateur dans le but de brouiller les pistes en ce qui a trait au moment exact de la mort de ses victimes, méthode qui lui aura valu le surnom de «
Iceman ». On attribue à Kuklinski les meurtres de plus de 100 personnes - ce nombre atteignant même les 250, selon les souvenirs du principal intéressé - sur une période d’un peu plus de trente ans, ce dernier affirmant avoir commis son premier homicide dès l’âge de treize ans. Un détail qui en dit long sur cet individu que tout prédisposait visiblement à une lucrative carrière dans le milieu du crime organisé. Le traitement d’un personnage d’une telle complexité représentait certainement un défi de taille, et ce, autant pour l’acteur qui allait devoir se glisser sous sa peau (en l’occurrence
Michael Shannon) que pour le cinéaste qui devrait souligner les moments forts de son ascension et de son inévitable chute. À cet égard le troisième long métrage d’Ariel Vromen recrée ce récit pour le moins surréaliste d’une manière malheureusement quelque peu maladroite, passant trop souvent à côté de l’essence de cette affaire si particulière en ne se contentant que d’orchestrer une autre histoire de pègre comme il s’en produit à la tonne chaque année pour tous les écrans.
Le récit de Richard Kuklinski demeure en soi celui d’un homme parti de rien qui, en raison de son tempérament glacial et inébranlable, se sera vu offrir l’opportunité de joindre les rangs d’un criminel notoire (
Ray Liotta). En ni une ni deux, Kuklinski se sera transformé en une véritable machine à tuer. Mais lorsque le temps est venu de retirer ses gants de cuir et de réintégrer le domicile familial, Richard redevient un mari aimant et un père attentionné comme nous voudrions en voir dans plus de foyers nord-américains. C’est sur ce plan que le cas Kuklinski se révèle pour le moins inusité alors que plus l’assassin accumulera les cadavres, plus celui-ci semblera tirer un sentiment d’accomplissement personnel de cette pratique qui lui conférera la confiance nécessaire pour agir d’une manière de plus en plus convenable et assurée en société. Vromen et son coscénariste Morgan Land se seront d’ailleurs permis de contourner les faits à cet égard en faisant abstraction des cas de violence conjugale dont la femme de Kuklinski (campée par
Winona Ryder) se dit avoir été victime. Le tout, évidemment, dans le but de renforcer la nette contradiction entre les deux facettes de la personnalité du protagoniste. Mais, encore là,
The Iceman se révèle trop souvent une proposition morcelée, cherchant à tout prix à opposer ces deux univers sans toujours prendre le temps d’approfondir adéquatement l’un ou l’autre. D’un côté, nous serons confrontés à une histoire de famille abordée de façon trop fleur bleue. De l’autre, les faits d’armes du tueur seront illustrés de manière trop anecdotique, capitalisant davantage sur le moment du meurtre que sur la démarche y ayant mené - ce qui, ironiquement, était l’étape dont Kuklinski tirait tout son plaisir.
Le réalisateur israélien laisse néanmoins paraître de belles choses sur le plan de la mise en scène, tirant notamment profit de la sombre et lugubre direction photo de Bobby Bukowski, dont les meilleurs élans font certainement écho à l’esthétique des films de
David Fincher. Cette approche renforce par la même occasion l’aura de violence enveloppant l’univers de Vromen et rythmant les pulsions sadiques émanant des séquences les moins mouvementées. L’ensemble est toutefois terni par une utilisation beaucoup trop appuyée d’une bande originale aussi insistante que peu inspirée, mais surtout d’un montage ne parvenant ni à cadencer efficacement la progression de l’intrigue ni à en marquer les moments les plus significatifs. Ce sera particulièrement le cas durant la première moitié du film alors que la succession et l’alternance des scènes s’avéreront parfois si confuses et les coupures si nerveuses que l’évolution dramatique du récit ne pourra que paraître inconséquente. On explique d’ailleurs assez mal les intentions derrière un traitement aussi précipitée, surtout pour raconter la vie d’un criminel de cet acabit, self-made-man de surcroît, son ascension n’étant portée du coup que par la stature du personnage et la nature de ses actes sans que Land et Vromen ne s’attardent à l’exploration de traits de caractère plus distinctifs. La cohésion de The Iceman repose dès lors sur les talents d’une distribution des plus éclectiques, réunissant autant d’habitués de ce type de projets que d’interprètes que nous n’aurions pas forcément imaginés au départ dans de tels rôles. L’initiative semblera tout de même reprendre des forces dans le dernier droit, soit lorsque les deux scénaristes pourront se concentrer sur des événements s’étalant sur une plus courte période de temps et ne devront plus faire le pont de façon aussi marquée entre les styles et les moeurs des différentes époques visitées.
Tout au long de son parcours,
The Iceman balance entre deux niveaux de qualité définis par une vision artistique pouvant aussi bien se révéler pertinente et réfléchie qu’elle peut faire part d’erreurs de débutant et d’une paresse créatrice des plus embêtantes. Il s’agit du cas typique d’une production laissant toujours paraître ici et là les traces d’un travail inspiré tout comme les compétences d’une équipe technique qui aurait pu atteindre des sommets autrement plus vertigineux si elle avait simplement su se montrer un peu plus patiente et opportuniste. Les élans les plus prometteurs sont ainsi trop souvent dilués dans un ensemble dont la matière ne semble pas toujours maîtrisée. Le tout faisant de
The Iceman une oeuvre ne parvenant qu’à tirer minimalement profit de thématiques pourtant plus que substantielles sur la violence dont l’homme est capable - que Vromen s’acharnera d’autant plus à rendre ordinaire - et les contradictions d’un être capable d’une extrême douceur comme des pires atrocités. Un personnage au potentiel immense dont Vromen semble avoir été intimidé, lui qui n’aura su l’aborder qu’à distance, manquant encore d’expérience ou de confiance en ses moyens pour s’immiscer plus adroitement derrière l’un ou l’autre des deux masques portés par Kuklinski. Pour sa part, Michael Shannon prouve qu’il appartient définitivement à une ligue à part en exprimant d’une manière aussi sournoise que coriace le caractère bouillant, mais inexplicablement contrôlé, de son personnage, conférant au film de Vromen sa ligne directrice la mieux définie.
The Iceman demeure un effort qui, à son meilleur, a de quoi glacer le sang, parvenant d’autant plus à nous rendre sympathique à la cause de son protagoniste, mais qui, autrement n’avait ni les moyens ni les ambitions pour s’élever à la hauteur de son sujet.