DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Paranormal Activity 3 (2011)
Henry Joost et Ariel Schulman

Film de peur 3

Par Laurence H. Collin
Je tiens à commencer ce texte par une déclaration : j’aime la série Paranormal Activity. La transparence me paraît de rigueur pour aborder le troisième volet en autant d’années de cette franchise dont les épaules soutiennent apparemment « l’avenir du genre », ou quelque autre démesure absurde. Puisque la branche du cinéma d’horreur qu’elle occupe vit et meurt par son efficacité, il serait de mise de signaler mon appréciation subjective de cette dernière mouture. Donc oui, excusez mon anglais, j’ai eu la chienne. Encore.

Si je n’ai pas formulé mon premier énoncé en disant : « j’aime les films de la série Paranormal Activity », c’est pour une raison plutôt évidente : ceux-ci constituent à peine des « films » à proprement parler. Eux-mêmes sont ouvertement marchandés comme des produits, des machines, comme des courroies de transmission au service d’un public ne lui demandant qu’une seule chose : lui faire peur, et pour vrai. Car la peur, la vraie, a vraisemblablement disparu de nos écrans de cinéma depuis on ne sait trop combien de temps. Malgré l’arrivée fréquente du tout dernier remake, du nouveau prequel, reboot ou « pre-boot » (au diable ces néologismes dégueulasses que l’on emploie désormais), on ne pourrait compter que sur une main les films d’épouvante nous ayant récemment foutu la trouille. Exception faite du Insidious de James Wan, sorti de nulle part pour ensuite faire honneur à son titre, l’année 2011 présente une déficience marquée en termes de vraies oeuvres à faire dormir avec une veilleuse. C’était le cas jusqu’à la sortie de Paranormal Activity 3.

Campé en 1988, donc longtemps avant les événements des deux films précédents, le ménage documentant les épisodes de hantise sous son toit sera donc celui de Dennis (Christopher Nicolas Smith) et de sa copine Julie (Lauren Bittner). Les jeunes filles de cette dernière, soit Katie et Kristi (Chloe Csengery et Jessica Tyler Brown, respectivement), sont en fait les deux soeurs qui grandiront pour ensuite être au coeur de l’activité paranormale des opus précédents. Nous aurons donc droit à quelques développements par rapport aux origines des manifestations surnaturelles, certaines subtiles, certaines insensées et d’autres absolument dérangeantes. Mais manifestement, tout cela ne demeure qu’accessoire au déroulement de ces scènes de nuit où une caméra capture tout ce qui pourrait être potentiellement terrifiant dans une maison silencieuse.

Rendu à ce stade, il est presque impossible de croire que ces mêmes ruses employées dans le premier épisode mènent toujours les foules à en redemander - ceux qui excellent dans le cynisme iraient même jusqu’à dire ruse au singulier. Et pourtant. Le génie d’Oren Peli, chef de tête du petit projet qu’était initialement le film original, s’affiche dans la simplicité si désarmante (et pourtant si souvent mise de côté ailleurs) de sa technique : la répétition. En conditionnant ses spectateurs aux mêmes prises de vue, capturant généralement de longues séquences où rien ne se produit, la table est mise pour générer un maximum d’anticipation. Il suffit par la suite de ne changer qu’un seul détail, d’y ajouter un intrus ou de retirer un élément allusif et, instinctivement, le spectateur ne peut contourner ce sentiment, comme quoi quelque chose ne va pas.

N’importe qui détenant une caméra peut assembler un moment de sursaut; rien dans le cadre… rien… toujours rien… BOO. La question demeure cependant : le choc se ressent-il de l’extérieur, comme le bruit d’une porte qui s’ouvre lorsque quelqu’un rentre dans la pièce, ou plutôt de l’intérieur, comme si l’impact libérait toute une charge d’énergie négative accumulée depuis la seconde ou l’on sent qu’il se trame quelque chose de mauvais? La raison pourquoi les deux suites de Paranormal Activity peuvent paraître aussi sclérosées par la rigidité de leur concept témoigne d’abord de la grande perspicacité de l’équipe de production : à Hollywood, on ne touche pas à une formule gagnante. Bien entendu, il y a moyen de jouer un peu avec les composantes de l’alliage en question, tâche dont Joost & Schulman (réalisateurs de l’excellent « documenteur » Catfish) s’acquittent avec tous les honneurs, notamment dans l’usage d’une caméra placée à la base d’un ventilateur oscillant, elle générant un lent pingpong entre deux pièces dont l’effet s’avère aussi frustrant qu’insoutenable. Reste que le procédé, s’il n’opèrera probablement jamais aussi bien que la toute première fois, demeure vivant et en bonne santé, pour notre plus grand plaisir.

Comme son « score » à ce jour de trois sur trois le certifie, la filiation Paranormal Activity continue d’éviter les pièges de la suite instantanée. Pour une série emballée selon ce qui semble être le code officiel du « found footage movie » (caméra à l’épaule, conversations désincarnées, sous-exposition chronique, etc.) et aussi allergique au renouvellement, force est d’admettre que ce travail de manipulation délicieusement sournois derrière le revêtement de film amateur bidon n’a pas fini de surprendre. Peut-être sont-ils de vrais films, après tout.
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Critique publiée le 21 octobre 2011.