DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Scandale (1982)
George Mihalka

Assemblée particulière

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Des mesures d’austérité frappant impitoyablement tous les paliers du gouvernement, une bande de fonctionnaires décide de tourner avec l’équipement de l’Assemblée nationale un film pornographique pour arrondir ses fins de mois. À l’insu de leur patron, trop occupé à harceler ses secrétaires pour se rendre compte de quoi que ce soit, nos cinéastes amateurs orchestrent des scènes de plus en plus osées dans cette enceinte sacrée – invitant des « débauchés » de la faune montréalaise à venir faire grimper de quelques degrés la température de la Vieille Capitale. Inspiré d’un fait divers de l’époque, l’affaire Pornobec, Scandale exploite dans tous les sens possibles du terme la nature sensationnelle de sa prémisse salace. Écrit en deux semaines et tourné dans l’urgence pour capitaliser sur la marque laissée par l’histoire dans l’esprit du grand public, le film de George Mihalka n’est certainement pas un bon film à proprement parler. Mais il s’en dégage une folie bien particulière, assez unique en son genre, qui en fait assurément un film culte québécois de premier ordre.
 
Assemblage à peine cohérent de scènes pornographiques et d’humour cabochon, le film se moque par moments de sa propre nature bâclée. Une jeune Sophie Lorain va jusqu’à dire, dans un élan de lucidité s’appliquant autant au long métrage que tourne son personnage qu’à l’œuvre dans laquelle elle se trouve : « On fait comme tous les autres films d’ici, cher. Scénario pas scénario, on tourne. » Et Scandale, effectivement, semble avoir été tourné sans trop subir les interférences d’une quelconque vision d’ensemble; les scènes y sont alignées un peu au hasard, dans le but d’atteindre par la force des choses la durée d’un long métrage. Dans un cabaret de Montréal où ils sont venus recruter de nouvelles vedettes, Lorain et son acolyte François Trottier assistent à une suite décousue de spectacles : Nanette Workman chante Call Girl accompagnée par des danseuses nues, le duo punk lesbien des Soeurs Ciseaux s’adonne à une audacieuse prestation d’inspiration sadomasochiste puis les inexplicables Frères Brosses débarquent sur scène le temps d’un numéro d’humour glorieusement absurde et raciste.
 
C’est à n’y rien comprendre, mais ce n’est pourtant qu’un début. Le film multiplie les saynètes saugrenues, alternant allègrement entre humour et érotisme. À un point tel que l’on est à peine surpris lorsque notre Poune nationale fait une brève apparition, afin de présenter sa fameuse recette de dinde fourrée à la saucisse (on devine évidemment où ça s’en va) – la diffusion de son émission étant malencontreusement parasitée d’inserts pornographiques qui se synchronisent plutôt littéralement à ses instructions. L’humour s’en tient généralement à ce niveau, cataloguant les divers étages du ras des pâquerettes avec courage et résolution. Dans Scandale, on boit de la Labatt 69 et toutes les occasions sont bonnes pour alterner entre scènes de sexe explicites et gros plans d’un moustachu se goinfrant de pizza. Dire que ça ne vole pas très haut relève du plus charitable des euphémismes, toute occasion étant bonne pour asséner au public une autre blague qui fait « pouet pouet ».
 
Mais force est d’admettre qu’il se dégage de cette grosse farce une candeur et une audace presque subversives. Terminant le cycle des comédies folichonnes entamé en 1970 avec Deux femmes en or de Claude Fournier, Scandale dresse en effet un portrait peu flatteur de la classe politique et de la société québécoise dans son ensemble. Si sa charge critique est évidemment diluée dans l’ineptie ambiante, tant technique qu’intellectuelle, l’effronterie enthousiasmante avec laquelle cette production brise les tabous et outrepasse les limites du bon goût paraît aujourd’hui rafraichissante. Même avec le recul, il est difficile de croire que Scandale puisse exister. Mais le plus étonnant, dans toute cette histoire, c’est que cet improbable objet culturel non identifié s’avère indéniablement divertissant – constituant, à n’en pas douter, une note de bas de page particulièrement loufoque dans l’histoire du cinéma québécois.
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Critique publiée le 27 juillet 2015.