Spock est sans doute l’une des rares icônes incontestables de la culture populaire du 20
ème siècle. Son apparence, son flegme vulcain et ses excès de logique ont participé à faire de la figure du scientifique et de l’étranger – autrement dit celle du
nerd – un archétype apprécié des
trekkies et des autres, de tous ceux qui virent un jour dans son haussement aigu de sourcil le signe dubitatif d’un individu curieux des mystères de l’existence, qu’elle soit humaine ou pas. Spock, plus qu’un personnage culte, est carrément devenu une posture, une manière d’exister.
For the Love of Spock se regarde comme une lettre filmée du fils Adam à son père Leonard. Il ne faut pas le voir autrement ni imaginer que le film n’a d’autre ambition que de rendre hommage à cet homme originaire de Boston, un homme rigoureux, travailleur et prêt à tous les métiers (d’installateur d’aquarium à chauffeur de taxi) pour subvenir aux besoins de sa famille dans le milieu sans pitié du show-business américain. Ainsi, si son fils souhaite partager la vie de son père avec ses fans, il s’est attelé à le faire avec une sincérité qui déborde à bien des égards du documentaire
geek habituel ; leur relation difficile est explorée, avec ses dissensions, ses trêves et ses réconciliations, la présence du cinéaste dans son propre film prenant une importance grandissante au fil des interview menées avec les collaborateurs du père et ses héritiers.
William Shatner,
George Takei,
Nichelle Nichols, Nicholas Meyer,
J. J. Abrams,
Simon Pegg et le digne successeur
Zachary Quinto répondent à l’appel et soulignent tour à tour l’excellence du travail de Nimoy en s’adressant directement à son fils : «
Your father was… », «
Your dad did… ». Leonard Nimoy était Spock. Mais c’était aussi un père et
For the Love of Spock n’oublie jamais de le rappeler.
C’est donc lorsque le film s’éloigne du mythe qu’il devient particulièrement touchant, dans ces scènes où, parti d’un documentaire à retrouver dans les suppléments d’une énième réédition de la série originale, il devient film de famille, cumulant à l’écran de précieuses images des Nimoy avant et pendant la première saison de
Star Trek, lancée en 1966. Les premières affres d’un comédien qui n’avait jamais pu tenir un rôle plus de deux semaines durant, l’échec du premier pilote, l’équilibre atteint dans le jeu pour se positionner dans le triangle Kirk-Spock-McCoy, le va-et-vient entre le travail d’acteur sérieux du père et l’image populaire de son personnage n’est pas sans répétitions ni lieux communs. Or la personnalité attachante de son sujet ainsi que sa carrière éclatée suffisent amplement à faire de
For the Love of Spock un document émouvant, à plusieurs années lumières du désastreux
Captains de William Shatner (qui n’était rien d’autre qu’un délire nombriliste).
Ébranlé par cette ardeur au travail, le spectateur y comprend aussi que la somme de Spock est bien plus grande que celle de Nimoy. Nimoy, avec ses projets méconnus, ses autres farfelus (
The Ballad of Bilbo Baggins) et ses plus belles performances accomplies au théâtre étant complètement tombées dans l’oubli, a été écrasé d’amour et sa famille avec lui, tous compressés par la célébrité du personnage. Le fait que son fils et sa fille aient dû composer avec les fils et les filles de Spock traverse le documentaire qui se veut aussi une forme de réconciliation pour Adam Nimoy avec les fans de son père.
Comme à chaque fois que l’étude d’un mythe nous révèle ses fissures, celles mise de l’avant par
For the Love of Spock nous rappellent toute l’humanité de son interprète stoïque, avec une variété de matériaux (autobiographie, lettres intimes, disques, photographies de voyage) que seul un membre de la famille saurait mettre en scène sans tomber du côté des voyeurs. Et à l’heure où la muséification des figures de proue de la culture populaire bat son plein, où le paysage contemporain réifie et récupère plus que jamais des icônes nées au milieu du siècle dernier de peur d’en créer de nouvelles, il fait bon de découvrir le cœur d’Homme dans la silhouette du Vulcain et de se rappeler que la magie ne naît pas du personnage, mais de l’âme de celui qui l’habite.