C'est un film que l'on attendait impatiemment et que l'on espérait de tout coeur pouvoir aimer.
Chasse au Godard d'Abbittibbi, c'est cette petite production qui semblait sur papier vouloir s'éloigner des sentiers battus et rebattus actuellement par le cinéma d'auteur québécois, cette idée intrigante qui nous faisait rêver à de nombreux films possibles et impossibles. Mais, malheureusement, le film d'Éric Morin n'est aucune des oeuvres que l'on avait pu imaginer et s'avère, pire encore, la concrétisation de toutes les craintes que l'on ne voulait (ou n'osait) pas formuler à son égard. Convoquant sans trop savoir quoi en faire le souvenir diffus d'une vieille anecdote qui est devenue à force d'être racontée (dans le documentaire
Mai en décembre de Julie Perron, notamment) une sorte de mythe fondateur raté du cinéma d'ici, soit cette fameuse visite de l'auteur d'
À bout de souffle à Noranda dont l'objectif était de redonner au peuple le contrôle de sa télévision, cette
Chasse au Godard n'est ni un hommage, ni une réflexion, ni au fond quoi que ce soit – sinon une accumulation vide d'effets de style peu convaincants qui sont placés au service d'une histoire sans intérêt et d'un discours soit inexistant, soit vaguement condescendant à l'égard de l'idéalisme tout autant que du cinéma lui-même.
Le problème, c'est que l'on comprend difficilement ce qui a attiré Morin vers l'Abitibi des années soixante et vers cette histoire en particulier, si ce n'est le désir d'affubler
Sophie Desmarais de costumes légèrement yé-yé, l'envie de fabriquer de toutes pièces un joli passé à filmer comme un fantasme ou le plaisir inconséquent de glisser ici et là quelques références visuelles mal assimilées au cinéma de l'époque qu'il colonise. À quoi bon, en effet, ressortir des boules à mites le spectre de Godard et de la révolte populaire si c'est, au final, pour nous raconter une bête histoire de triangle amoureux qui aurait pu se dérouler n'importe où, n'importe quand? Qu'y a-t-il, ici, au-delà d'une excuse amusante pour sortir les grosses chemises à carreaux, les vieux ski-doos et les belles bagnoles d'un autre temps? Rien sinon, peut-être, une sorte de cynisme mou qui s'empare du passé pour le vider de sa résonance idéaliste. En se l'appropriant sans intention précise, cette
Chasse au Godard réduit une culture complexe à l'état facilement récupérable d'objet esthétique – ce glissement s'opérant ici sur le mode faussement inoffensif du système ludique. Mais le plaisir n'est pas au rendez-vous et le jeu se transforme rapidement en un maniérisme qui épuise tout sur son passage, à commencer par le sens.
Même
La marche à l'amour de Gaston Miron qu'entonne en sanglotant
Alexandre Castonguay devient presque risible dans ce contexte où tout sonne faux, où rien ne renvoie plus à rien de concret. Cet élan tragique qui sort de nulle part, venant clore le film de manière à la fois outrancière et insignifiante, jure tant avec tout ce qui a précédé (tout en étant, très certainement, la conclusion logique de tout ce à quoi il fait suite) qu'il ne peut au final qu'avoir des allures de blague accidentelle. Comme si, en désespoir de cause, Morin avait tenté par la plus lourde citation qu'il avait à portée de main d'insuffler une quelconque profondeur à ses personnages qui ne sont rien, si ce n'est une série de surfaces élégantes sur lesquelles projeter quelques intentions confuses, quelques traits de caractère grossiers ou au contraire tellement équivoques qu'ils n'équivalent plus à rien. Même leur élan révolutionnaire est si peu crédible que l'on a d'emblée l'impression que Morin s'en moque ouvertement, la candeur de nos jeunes héros s'apparentant plutôt à de la naïveté, tout juste bonne à être traitée sur le mode de la dérision. Lorsqu'ils vont filmer quelques étudiants (l'une d'elles arbore d'ailleurs en noir et blanc un carré rouge), on pourrait presque confondre la confusion ambiante pour une sorte de mépris réactionnaire tant Morin a perdu le contrôle de la caméra qu'il braque sur la caméra que l'on braque sur ceux qui cherchent tant bien que mal à prendre la parole.
Tout comme le traitement qui saute d'un style à l'autre en cours de route, comme si chaque scène pouvait n'être qu'un extrait lié aux autres par une logique narrative minimale justifiant leur juxtaposition fortuite, le regard posé varie à tout bout de champ au détriment de toute vision cohérente. Tout, au fond, s'inscrit ainsi dans le sillage de cette narration en voix off « bien de chez-nous », supposément drôle mais bêtement parodique, qui ne trouve jamais vraiment son ton ou son utilité, qui oscille toujours entre une sorte de paternalisme caricatural et un second degré très mal maîtrisé. La morale, ici, semble donc se résumer au fait que si l'on donne la parole à la classe ouvrière, elle refusera de la prendre, dira essentiellement des niaiseries ou fera semblant de baiser des dindes devant la caméra, c'est selon. C'est aussi que les gens qui remettent en question le système établi ne savent pas trop ce qu'ils font, de toute façon, quand ce ne sont pas de vulgaires profiteurs. Mais c'est en même temps que les gens ne sont pas prêts à vivre de véritables changements, que ceux-ci soient légitimes ou non… Exception faite, évidemment, de la belle Marie qui a besoin de liberté… et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on ne sache plus trop sur quel pied danser mais, surtout, pourquoi on continuerait d'essayer de danser puisqu'il n'y a plus aucun rythme auquel s'accrocher et aucune idée qui soit vraiment la suite d'une autre. Chaque élément, parfaitement calibré pour séduire, peut peut-être fonctionner lorsqu'on le considère indépendamment du reste – ce qui, dans un sens, demeure la plus grande qualité du film, ce sur quoi il peut espérer capitaliser pour être apprécié. Mais l'assemblage approximatif de ces morceaux esseulés leur interdit toute portée dépassant le simple rayonnement passager de leur charme trompeur.
Au bout du compte, on ne sait d'ailleurs plus trop si l'intention principale de cette démonstration est poétique ou humoristique. Mais qu'importe, puisque le résultat final n'est ni l'un ni l'autre et encore moins le croisement sublime des deux? Le film atteint certes le comble du ridicule lors d'une séquence onirique d'une fadeur atterrante où la pauvre Sophie Desmarais, déguisée en squaw égarée, rencontre ce Godard de carton-pâte que Morin a planté dans le décor, au beau milieu du bois. Mais tout le reste, au fond, est à l'image de cette scène absurde : vide, superficiel, obnubilé par la soi-disant beauté plastique de ses images qui, au fond, sont tellement plastiques qu'elles ne sont plus belles du tout. L'image léchée, devenue une fin en soi, se substitue au cinéma – au détriment, d'ailleurs, de tout ce qu'a pu vouloir dire ce mot, « cinéma », à l'époque dans laquelle débarque avec une suffisance bien malvenue ce film trop lisse et trop propre qui semble si cruellement dépourvu de vérité que les quelques intrusions que s'y permet le réel (même trafiqué au-delà de toute crédibilité) y paraissent presque indécentes. Perdu dans un film ayant des allures de gigantesque publicité, le mineur chantant sa souffrance face à la caméra n'arrive pas à émouvoir – sauf dans la mesure où on trouve désolant le fait qu'après l'avoir exploité, on exploite désormais son image. Parmi tant d'autres. Jusqu'à ce que l'image ne veuille plus rien dire. Qu'elle soit juste une image et jamais plus une image juste.