DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Le Diable est parmi nous (1972)
Jean Beaudin

Les orgies sataniques de Montréal

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le Diable est parmi nous, distribué en anglais sous des titres tels que Satan's Sabbath et The Possession of Virginia, n'est pas le seul film à avoir tenté de surfer sur le succès phénoménal du Rosemary's Baby de Roman Polanski. À titre d'exemples, on pourrait citer The Mephisto Waltz de Paul Wendkos ou encore Virgin Witch de Ray Austin – ainsi que le giallo de Sergio Martino All the Colors of the Dark. Mais il s'agit fort probablement de la seule production québécoise du genre. Étonnant artéfact d'une époque où le cinéma de genre québécois n'existait à toute fin pratique pas, le second long métrage de Jean Beaudin est une authentique bizarrerie dans laquelle s'entremêlent allègrement occultisme et psychédélisme. Culminant sur une orgie satanique, cette naïve production signée Cinépix fait preuve d'une audace peu commune mais résolument maladroite qui en fait une curiosité historique dotée d'un indéniable petit charme suranné.

Affublé d'une splendide cravate rayée, Daniel Pilon tient ici le rôle d'un journaliste qui enquête sur le suicide d'un ami antiquaire. Jusque là, ça va. Mais, au ­delà de cette prémisse somme toute assez classique, Le Diable est parmi nous carbure essentiellement aux événements nébuleux, aux situations vagues et aux temps morts impénétrables. Une toile se tisse, lentement mais sûrement. Notre héros est victime d'une machination. Quelque chose se passe. Mais quoi? Difficile à dire. L'intrigue est pour le moins confuse. Les dialogues aussi. « C'est un roman de vampires ou un policier que vous voulez me faire vivre? », demande au bout d'un moment un homme qui a sans doute un quelconque rôle à jouer dans toute cette affaire. La question aurait tout aussi bien pu être posée par un spectateur médusé ne sachant plus trop à quoi rime ce charabia évasivement ésotérique.

Beaudin, pour sa part, ne sait visiblement pas quoi filmer pour faire passer le temps. Entre la trop longue confection d'un sandwich et des oeufs qui brûlent dans une poêle parce que Danielle Ouimet chante en batifolant, les scènes de cuisine se multiplient sans nécessairement faire progresser un récit dont les enjeux persistent à demeurer hors de notre portée. Des ricanements diaboliques résonnent dans une église, poursuivant Pilon jusque dans la rue. Un autre cadavre est retrouvé, puis disparaît. Même les actions les plus élémentaires revêtent ici un caractère foncièrement incertain. Une énigmatique grand-­mère fait périodiquement des apparitions inexplicables, soulignées par l'irruption subite d'une drôle de ritournelle beaucoup trop candide pour convenir à l'atmosphère d'un thriller fantastique. Il va sans dire qu'un mystère plane et que cette présence contribue à l'entretenir. La paranoïa se généralise, sans avoir d'objet précis.

Pendant ce temps, Daniel Pilon et Louise Marleau se rencontrent lors d'une drôle de soirée où une fille se tortille sur un lit d'eau en récitant de la poésie : « Il viendra ce jour où le sexe des hommes s'ouvrira comme une bouteille de Coke... ». Est­-ce érotique ou surréaliste? « ... Et le sexe des femmes s'ouvrira comme des chopines de sang. ». Soit. S'ensuit une série de scènes romantiques tablant sur la chimie discutable entre les deux vedettes, Pilon offrant notamment à Marleau un bibelot non-­identifié des années 70, à mi-chemin entre le coussin en macramé et le cerf-­volant. Elle semble trouver qu'il s'agit d'un cadeau approprié et, qui plus est, de bon goût. Lorsqu'elle finit par pénétrer dans l'appartement de Pilon, elle demande d'ailleurs sur un ton admiratif : « C'est toi qui a fait la décoration? ». Ce à quoi il répond : « Oui. J'te l'ai dit... j'ai tous les talents. » Sa cuisine à thématique de rayures rouge en atteste.

Quelques raccords expéditifs plus tard, il est devenu difficile de déterminer où, exactement, se déroule le film. Pilon est guidé vers une pièce dans laquelle une poignée de satanistes mangent des pommes en jasant nonchalamment. Puis le maître de cérémonie annonce que le rituel va bientôt débuter. Enfin, les promesses occultes du film vont pouvoir se concrétiser : le montage gagne en intensité, une trame sonore funk annonçant la débauche à venir. Les corps s'étendent sur l'autel, s'entrelaçant lascivement tandis que Daniel Pilon, dont on vient visiblement de défoncer les portes de la perception, observe la scène en se disant sans doute qu'il n'a jamais été témoin d'une messe comme celle­-là. Une scène onirique et un meurtre plus tard, le film se termine comme il avait débuté : dans la confusion la plus totale.

La conclusion s'avère en ce sens particulièrement ironique. Une notice finale nous apprend qu'à chaque année, partout à travers le monde, un nombre considérables de morts demeurent inexplicables. L'affirmation semble vouloir donner l'impression que le spectacle auquel nous venons d'assister offre, justement, des « explications »; mais, dans les faits, il faudrait revoir le film de nombreuses fois afin d'en démêler l'intrigue et d'en tirer, finalement quelque chose s'apparentant de près ou de loin à une explication. La menace plane donc sans trouver dans le film l'ayant précédée un ancrage particulièrement cohérent. Plus comique qu'inquiétante, cette tentative de rattacher Le Diable est parmi nous à une quelconque réalité, à un phénomène concret dont il révélerait la véritable nature tient de la plus improbables des supercheries.

Malgré tout, l'ensemble s'avère extrêmement sympathique – ne serait-­ce qu'à titre de cas de figure assez singulier dans l'histoire du cinéma québécois. Témoignant d'une compréhension pour le moins approximative des ingrédients de base du genre dans lequel il tente de s'inscrire, Le Diable est parmi nous n'a rien d'un suspense enlevant. Mais ce relâchement général qui en caractérise la mise en scène confère à l'ensemble une qualité quasi contemplative : ne sachant pas pas trop quoi montrer, Beaudin filme le paysage, se perd dans le décor et en ressort généralement avec des images plutôt révélatrices de l'esprit de l'époque. Lorsque Louise Marleau complimente Pilon pour la décoration, on se dit d'ailleurs que la remarque pourrait très bien s'appliquer au film lui-même. Elle note ensuite que les chandelles noires et autres détails macabres jurent avec le reste. Là encore, on ne peut s'empêcher de lui donner raison.

Les photographies sont une courtoisie des collections de la Cinémathèque québécoise
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Critique publiée le 4 août 2014.