DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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World War Z (2013)
Marc Forster

Moyens de défense

Par Jean-François Vandeuren
L’idée derrière World War Z était visiblement de s’éloigner du canevas généralement employé par le film de zombies traditionnel en misant moins sur l’aspect gore - omniprésent dans ce genre de propositions - et en mettant davantage l’accent sur l’évolution d’une crise à l’échelle planétaire. Le tout à l’intérieur d’une intrigue reprenant, certes, les grandes lignes du drame d’anticipation, mais se plaisant également à visiter des avenues habituellement empruntées par le thriller d’espionnage. Cela explique pourquoi le traitement privilégié par Marc Forster s’avère dépouillé de tout démembrement, de toute effusion de sang, et ne semble souvent avoir en tête que de communiquer le sentiment de confusion comme l’état de panique généralisée dans lesquels sera vite plongée la population mondiale. World War Z cherche ainsi à faire monter les enjeux en ne confinant pas sa prémisse à l’intérieur d’un seul environnement - qu'il s’agisse d’une localité ou d’un bâtiment d’un quelconque acabit -, faisant plutôt voyager son personnage principal, Gerry Lane (Brad Pitt), des États-Unis jusqu’au fin fond de l’Europe en passant par la Corée du Sud et Israël. L’objectif sera du coup d’établir la mise en situation et la tension qui en découle au coeur d’un univers beaucoup plus concret que ceux ordinairement édifiés dans le cinéma d’horreur pur et dur. Des intentions qui se feront déjà sentir dans la simple connotation qui sera donnée au mot « zombie », lequel sera employé ici pour tenter de décrire la nature de la menace avec laquelle l’Homme croira être aux prises, comme si la réalité avait finalement été contaminée par la fiction.

L’essence du personnage principal en dit déjà long sur la nature des moyens qui seront pris ici pour tenter de déjouer les plans de Mère Nature - qu'un scientifique qualifiera littéralement de tueuse en série. Gerry Lane n’est pas un as de la gâchette ni un soldat surentraîné, mais un ancien inspecteur de l’Organisation des Nations unies qui sera appelé en renfort afin d’aider celle-ci à remonter jusqu’à l’origine du virus, et ainsi donner une chance à l’humanité de contrer sa propre extinction. Nous avons évidemment affaire ici au cas classique du vétéran devant reprendre du service pour assurer la survie de sa petite famille, dont il garantira la place sur un navire de guerre stationné à plusieurs kilomètres des côtes infectées en échange de ses précieux services. Notre héros n’est donc pas du genre à se tourner automatiquement vers la force brute pour venir à bout d’un problème, mais plutôt à user de ses pouvoirs d’observation et de déduction - qui seront continuellement mis en valeur par Forster - pour d’abord comprendre la menace et pouvoir agir de façon éclairée par la suite. L’interprétation à la fois calme et posée de Pitt permet certainement de consolider cet aspect de ce personnage privilégiant toujours l’esprit et les réflexes plutôt que les muscles pour faire face à l’adversité et se rapprocher de son but. Le film de Marc Forster établie du coup le contraste le plus significatif sur lequel repose son discours, entre l’urgence de sa mise en situation et le tempérament réfléchi du seul individu sur Terre semblant se rapprocher peu à peu d’une réelle solution.

Les lacunes que laissent paraître les méthodes du cinéaste suisse se révèlent toutefois être les mêmes que celles qui avaient miné les séquences les plus agitées du Quantum of Solace de 2008. La démarche de Forster a ainsi tendance à devenir terriblement brouillonne lorsque ce dernier doit orchestrer des scènes d’action évoluant à un rythme effréné. Une faiblesse dont souffrira particulièrement World War Z en début de parcours, lorsque viendra le temps d’entraîner le spectateur au coeur de ce désordre sous lequel croulera le monde entier. Un montage décousu et un mixage sonore souvent déficient nous empêchera de nous imprégner instantanément d’une telle atmosphère de chaos, chose qui sera beaucoup plus facile à faire lorsque le maître d’oeuvre aura finalement l’occasion de ralentir la cadence. C’est durant ces moments où Forster sera en mesure de prendre un peu plus son temps pour gérer le développement de situations plus spécifiques que le réalisateur se montrera le plus à son aise - et à son meilleur. La tension devient soudainement palpable, car elle n’est plus basée sur l’action, mais plutôt sur l’appréhension. Ces passages se dérouleront d’autant plus en des lieux paraissant d’abord à l’abri du danger, mais qui se transformeront inévitablement en pièges sans issues lorsque le menace trouvera un moyen de se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur. La marge de manoeuvre dont bénéficie alors Forster se fera également sentir sur le plan de la forme, ces séquences paraissant beaucoup plus peaufinées, faisant part de jeux de lumière souvent saisissants comme d’un traitement dramatique beaucoup plus assuré visuellement. Des qualités permettant à World War Z de tenir la route, malgré un parcours des plus sinueux.

Le principal objectif de Marc Forster était visiblement de mettre en images un tel vent de panique en se servant de mouvements de caméra frénétiques et d’un montage tout aussi imprécis afin de voiler, voire de rendre indéfinissable, le mal en cause durant une bonne partie du film. Le réalisateur se tournera du coup vers une série de plans aériens suivant les morts-vivants pourchassant leurs proies à toute vitesse dans les rues de différentes villes du globe pour illustrer clairement la propagation du virus. Mais que l’adaptation du roman de Max Brooks se révèle un suspense suffisamment fonctionnel tient en soi du miracle étant donnés tous les problèmes dont aura été affligée la production. Drew Goddard (Cloverfield, The Cabin in the Woods) et Damon Lindelof (Prometheus) auront même été appelés en renfort pour réécrire le dernier acte du scenario de Matthew Michael Carnahan, modifications qui allaient nécessiter plusieurs semaines de tournage supplémentaires en plus d’un investissement considérable pour permettre au projet d’éviter le gouffre vers lequel il semblait se diriger. World War Z semble, certes, se chercher durant la majeure partie de son parcours, procédant par instinct à la recherche du bon ton, de la bonne formule, nous donnant des moments qui, s’ils ne s’avèrent jamais désastreux, demeurent néanmoins inégaux. Le tout avant de finalement déboucher sur ce fameux dernier acte où tous les aspects de la production fonctionneront finalement comme nous pouvions l’espérer, menant alors à des résultats souvent prodigieux. Un dernier tiers venant sauver la mise à bien des égards, et permettant ultimement au film de Marc Forster de laisser une impression favorable dans l’esprit d’un spectateur qui aura pourtant passé la majeure partie du visionnement assis entre deux chaises.
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Critique publiée le 22 juin 2013.