DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Perceptions de l’autre monde

Par Claire-Amélie Martinant

Sur l’exposition Mondes oniriques, tenue du 18 juillet au 16 décembre 2017 au Centre Phi
 
Troisième volet de l’exposition Sensory Stories présentée au Centre Phi en partenariat avec Future of Story Telling (FoST), Mondes oniriques conjugue les nouvelles aspirations de la réalité virtuelle à l’immersion par un récit technologique des plus exaltants.




:: Tree (Milica Zec et Winslow Porte, 2017)
 
Dans une société où l’avancée numérique rime avec danger et méfiance à son égard — de façon quasi systématique —, il est facile d’imaginer le scénario dantesque d’un futur pessimiste où la réalité virtuelle finirait par se substituer à notre monde réel dans un élan de domination colonisateur. Et si nous nous conformions plutôt à ce que la réalité virtuelle a de mieux à nous apporter, au même titre qu’un outil d’observation et de compréhension des secrets les mieux gardés de notre dimension ? Et si la réalité virtuelle devenait un précieux allié, une mine d’informations et une exploration infinie en matière de création et de récits à l’âge du numérique ? C’est bien là le mandat de FoST qui agit sous les efforts d’une communauté de passionnés mêlant les domaines d’influences des médias, des technologies et des communications. Empruntant le chapeau du détective « des temps contemporains », ils nous invitent dans ces Mondes oniriques.
 
Le Centre Phi nous expose à ces mondes en une douzaine de récits alternatifs qui, en outre de fasciner nos sens en manque d’adrénaline, a le mérite de nous initier à des termes qui étaient jusqu’à maintenant réservés aux domaines scientifiques et vidéoludiques.
 
Ainsi, l’haptique court sous le nom de « science du toucher » et prend en compte la perception tactilo-kinesthésique du mouvement, permettant à notre corps d’explorer le contact de ses propres mains avec des objets. À l’aide de manettes de jeux vidéo, il nous est désormais possible de saisir des objets, de les déplacer et de les replacer (Transference) ou de s’accrocher à une barre en fer et de se propulser dans le vide intersidéral en effectuant un mouvement de traction ('Home' — VR Spacewalk).
 
Quant à la reconnaissance faciale largement exploitée par la biométrie, la robotique ou encore la vidéo-surveillance, elle se présente enfin sous une forme « artistique » dans Riot (prototype) de Karen Palmer dont la version définitive viendra à échéance en 2018. À travers l’objectif d’une caméra, l’intelligence artificielle capte nos humeurs : la colère, le calme ou la peur, et adapte le récit en fonction de nos expressions faciales.




:: Fragments (Microsoft HoloLens, 2017)

 
Autre procédé hybride, la réalité mixte — ou MR pour Mixed Reality —, qui vient tout juste de poindre à l’horizon du monde virtuel. Elle constitue l’apport essentiel de Fragments, un jeu produit par Microsoft HoloLens qui scanne votre salon, plus exactement la scène du crime que vous vous devez de résoudre en interagissant avec des personnages qui investissent votre environnement (par exemple quelqu’un qui s’assoit sur votre sofa à côté de vous) tout en partant à la chasse aux indices savamment cachés dans les pièces de votre mobilier. À ne pas confondre avec la réalité augmentée, constituée d’éléments virtuels ajoutés au monde réel sous la forme d’informations relatives à l’espace environnant et affichées sur l’écran — comme les fameuses lunettes de Robocop qui lui transmettait les données biométriques des personnes qu’il venait à rencontrer. La réalité mixte, a cette fonction supplémentaire d’insérer des objets virtuels avec lesquels l’utilisateur a le pouvoir d’interagir en temps réel et de jouer avec, au travers d’un décor réel, créant une fusion entre ces deux univers de nature opposée.
 
À ces techniques d’immersion qui font appel à notre participation active s’ajoutent les prouesses tenant au graphisme par le logiciel Quill, tout récemment créé. Dear Angelica raconte les souvenirs d’une fille pour sa mère qui n’est plus de ce monde, seule face au deuil et en proie avec ses tourments, sollicitant notre compassion naturelle dans un moment douloureux. Avec un lyrisme enchanteur, les pensées de cette jeune fille pour sa maman nous sont soufflées à l’oreille, tantôt avec chagrin, tantôt avec exultation, et sont transposées avec enchantement par des animations en trois dimensions. Les traits de dessin qui se superposent les uns aux autres sur la toile noire du vide pour former une scène — clin d’œil à la bande dessinée — restent en suspens dans l’air, comme figés, en pleine possession de leur expressivité et du mouvement du poignet qui les a créés, occupant le volume spatial d’une manière remarquablement habile. Grâce à la technique de peinture à la main, ce logiciel — développé pour les besoins créatifs de Dear Angelicaoutille les artistes et cinéastes d’un moyen rapide d’illustration. Chaque tableau révèle les actions fantasmées épiques et glorieuses d’une vie aux côtés d’images à la nature authentique, transcendant les états d’âme de la protagoniste. Devant nos yeux ébahis se déploient la commode, les objets et autres meubles de la chambre de la fille que l’on pourrait littéralement effleurer des doigts tant l’effet de proximité mêlé à celui de suspension fonctionne. Plus tard, c’est le lit d’Angelica qui rétrécit jusqu’à une taille lilliputienne, rappelant les jeux d’enfants et renforçant l’impression d’intimité tout en soulignant l’éloignement.
 



:: Transference (Ubisoft, 2018)


Dans un tout autre genre, Transference, le jeu de vidéo en réalité virtuelle de Ubisoft, nous plonge dans les décors d’une maison d’un homme souffrant de stress post-traumatique, à des époques différentes actionnées par l’interrupteur de la lumière. Les manettes nous servent de gouvernail pour nous déplacer et fouiner dans les placards de la cuisine, saisir entre nos mains le cadre d’une photo familiale ou encore la clé nous donnant l’accès à l’inquiétant sous-sol dont il faut descendre les marches pour entendre de plus près des discussions houleuses. À l’affût des indices et des actions qui mèneront à la reconstitution de l’histoire, nous sommes dans la peau d’un enquêteur professionnel et solitaire, qui sonde les tréfonds dramatiques d’une vie brisée à tout jamais par un acte irréparable. Si le sujet de cette aventure joue d’une atmosphère plutôt glauque et violente, sa ligne de mire va bien au-delà, en proposant de comprendre, par la reconstitution d’un casse-tête, les séquelles d’un traumatisme fort et de ses répercussions dans la vie quotidienne. Chaque détail présent est virulent de signification, dévoilant les traces du passé, l’usure et la décrépitude dans laquelle a sombré la maison. Les signes d’un isolement manifeste sautent à la gorge, l’enfoncement dans les couloirs du désarroi et d’un état psychologique de plus en plus instable crèvent de réalisme et nous étreint dans sa chute comme les muscles d’un serpent constricteur.
 
Apprêté d’un sac à dos pour partir à la découverte d’un nouveau monde, affublé de lunettes et d’écouteurs ainsi que d’un dispositif olfactif, il n’en fallait pas moins pour se métamorphoser en une graine, qui, quelques pieds sous terre, a toutes les conditions réunies pour grandir comme le haricot de Jack. Ce germe qui grandit avec la véhémence et la fougue d’un jour nouveau finit par percer avec une facilité désarmante la couche du sol pour s’élever encore plus haut et s’épaissir d’un tronc qui se développe presque aussitôt dit en de multiples ramifications. Devenu un feuillu, l’on connaît désormais la sensation vertigineuse et majestueuse de prendre de la hauteur, au-dessus de la canopée, à plusieurs centaines de mètres du sol. Des perroquets flamboyants ainsi que la belle robe des léopards attisent notre attention, l’allure envoûtante du paresseux et l’habileté des singes s’ajoutent aux nombreux insectes qui forment une faune riche en sons et en présence. Le sol humecté de la pluie dégage une forte odeur qui nous enivre les narines, sans compter la beauté du coucher de soleil auquel nous assistons et le vent qui nous caresse le visage : nous sommes au paradis. Et puis au loin, un bruit que l’on reconnaît instinctivement, celui d’une voiture et de ses hommes, vient perturber ce moment idyllique. Les phares jettent une lumière angoissante au cœur de la nuit noire. Nous flairons le mauvais augure et ce curieux sentiment d’impuissance s’abat sur nous. L’écho de la tronçonneuse s’élève dans les airs et la crainte de se faire couper l’herbe sous le pied nous envahit. Une forte lueur jaillit au loin. Puis c’est la chaleur qui nous surprend et nous brûle les membres. Certains animaux arrivent à s’enfuir, d’autres resteront prisonniers. Nous sommes immolés et abattus. Une sentence radicale qui marque indéniablement notre esprit en nous confrontant avec perspicacité aux conséquences destructrices de la déforestation massive. Tree, créé par les artistes Milica Zec et Winslow Porte, est en cela une très belle réussite.
 



:: Home — VR Spacewalk (BBC Studios et Rewind, 2017)


Si l’espace a toujours été un sujet convoité par les scientifiques, visionnaires et les amateurs de science-fiction, il est désormais possible d’y prendre une marche ! Home — VR Spacewalk, développé par Rewind et BBC Studios, détonne par les sensations fortes que cette balade cosmique procure. Frissons dans le dos et forte montée d’adrénaline y sont garantis. À quelque 240 miles de la Terre, vous avez tout le loisir de la zieuter, majestueuse et spectaculaire, à travers la visière de votre casque d’astronaute. À bord de la station spatiale internationale, vous êtes responsable d’effectuer une mission : inspecter des dommages causés à la structure par un débris de l’espace. Guidé par un coéquipier qui vous indique le chemin et les étapes à suivre, vous n’avez d’autre choix que de quitter votre cabine et de vous élancer dans le vide intersidéral en vous propulsant à l’aide de manches fixés à l’habitacle. Soudainement confronté à la vue de l’immensité d’un paysage d’une noirceur enveloppante à 360°, attraper les manches de couleur dorés devant soi, relève du défi. D’autant plus que vos pieds ne reposent sur aucune surface… En orbite autour de la terre (et ça tourne), vous escaladez un module comme si vous preniez le métro, à la différence près que vous utilisez la force de vos bras pour accéder au bras spatial canadien. Une fois les dégâts constatés, la sentence tombe. La situation s’avère plus complexe qu’escomptée et vous avez la responsabilité de photographier la partie escamotée. Votre camarade vous explique bien la procédure que vous écoutez attentivement. Puis avec entrain, vous mettez à exécution les instructions. Et c’est là que se produit le premier incident qui vous entraînera dans une surenchère cataclysmique des plus impressionnantes. Le cœur qui battait déjà la chamade s’emballe, les mains auparavant moites se liquéfient et vous vous retrouvez livrés à vous-même, perdus au beau milieu de nulle part avec votre raison qui vous joue des tours. L’issue inévitable ne vous rassure pas, bien au contraire. Pfiou ! Le casque enlevé, vos jambes tremblantes sont rassurées de toucher le sol et vous saisissez alors tous les risques que comportent une sortie dans le cosmos tout en prenant conscience des difficultés auxquelles sont confrontés ces femmes et ces hommes qui consacrent leur vie à l’avancement des connaissances… ainsi que l’ingéniosité de ceux qui nous les donnent à vivre.


Disponibilités

Dear Angelica sur Occulus
Transference sur Steam
Home — VR Spacewalk sur Steam

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Article publié le 10 mars 2018.
 

Essais


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