THE WICKER MAN (1973)
Robin Hardy
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Deuxième partie du dossier : Le
Cinéma d'horreur britannique I
Au début des années 70, le cinéma d'horreur britannique
- suite à une décennie dont on peut dire en rétrospective
qu'elle constitue son âge d'or - fait face à une impasse
tant commerciale que créative. Tandis que la légendaire
maison de production Hammer, ne sachant plus où donner de la
tête, tente tant bien que mal d'actualiser ses séries à
succès par l'entremise de films comme le Dracula A.D. 1972
d'Alan Gibson, sa concurrente directe la Amicus met au point des films
« interactifs » interpellant directement le spectateur en
tentant de l'intégrer à « l'enquête »
en cours, tels que The Beast Must Die (1974), et s'éloigne
de la formule du film à sketch qui avait fait sa renommée
avec des essais comme And Now the Screaming Starts! (1972)
de Roy Ward Baker. Mais ces productions somme toute très classiques
semblent invariablement dépassées, des films comme le
sauvage Night of the Living Dead (1967) de George A. Romero
ou le très sérieux Rosemary's Baby (1968) de
Roman Polanski annonçant respectivement la férocité
du Texas Chainsaw Massacre (1974) de Tobe Hooper et le ton
particulièrement glauque de The Exorcist (1973). À
même le registre gothique, le style extrêmement théâtral
des productions anglaises ne fait pas le poids face aux envolées
baroques de l'Italien Mario Bava qui, de La maschera del demonio
(1960) à Operazione paura (1966), repoussera à
maintes reprises les limites du genre - en plus de jeter avec La
ragazza che sapera troppo (1963) les bases du giallo, qui prend
définitivement son envol en 1970 avec la sortie du violent L'uccello
dalle piume di cristallo de Dario Argento. Le film d'horreur anglais
n'est plus de son temps, et ses jours semblent définitivement
comptés, lorsque sort en 1973 The Wicker Man.
Oeuvre hors normes, The Wicker Man tiendra en rétrospective
de la conclusion plus que du renouveau pour cette cinématographie
alors en chute libre. Écrite par Anthony Shaffer (à qui
l'on doit notamment le scénario du Frenzy d'Alfred Hitchcock)
et mise en scène par Robin Hardy, cette réflexion particulièrement
cinglante sur la religion marque la fin du règne des monstres
de la Hammer, illustrant l'échec des codes qui voulaient que
la foi triomphe toujours sur les voies hérétiques du vampirisme
et la justice sur les dérives scientifiques du Baron Frankenstein.
Les rituels et croyances qui autrefois servaient de repères ont
perdus leur emprise sur le réel, la figure mythique de Christopher
Lee délaissant les pratiques sataniques surnaturelles pour se
consacrer à une forme plus terre à terre de paganisme.
Habilement, du moins comme peut l'être une série B de son
genre, The Wicker Man oppose deux régimes de croyances
qui se rejoignent dans leur aveuglement fanatique: d'un côté
les villageois de Summerisle qui pensent qu'un sacrifice humain leur
donnera une récolte prospère, et de l'autre l'enquêteur
chrétien implorant son Dieu de le sauver alors qu'il semble bel
et bien condamné. Quant aux lois que vient faire respecter cet
intrus, elles n'ont plus d'emprise (morale, du moins) sur les habitants
de l'île qui sciemment ont décidé de rompre tous
les liens avec la société qui les a mises en place. Cette
communauté isolée évoque à plus d'un égard
les communes hippies de l'époque, et le scénario de Shaffer
réserve aux portes-paroles de cette contre-culture certaines
de ses plus truculentes répliques.
Formellement, la réalisation de Robin Hardy embrasse quant à
elle l'iconoclasme enthousiaste de ces païens bons vivants - faisant
de leur mode de vie le principal sujet de son film. Se libérant
du style rigide des productions Hammer, The Wicker Man ne recule
devant aucune fantaisie pour installer l'atmosphère de fiévreux
délire qui prend peu à peu le dessus sur la « raison
» que symbolise (de manière assez peu persuasive) la figure
dépassée du policier. Les segments chantés et les
ruptures radicales dans la facture photographique trahissent un authentique
désir de mettre en scène autrement que selon une logique
purement narrative, leur excentricité explicitant une volonté
de remettre en question le classicisme austère du cinéma
d'horreur britannique au profit d'une certaine modernité plus
éclatée. Paradoxalement, le contexte folklorique très
clairement appuyé enracine le film dans l'idée de tradition
- et dans un passé situé bien au-delà du 19e siècle,
de la civilisation anglaise et de la pudeur victorienne, remontant jusqu'aux
origines culturelles d'une Écosse dont les fondements celtiques
sont ouvertement célébrés dans la folie ambiante.
Le plaisir palpable avec lequel acteurs et figurants recréent
la cérémonie de May Day fait de cette scène finale
un véritable moment d'anthologie du cinéma d'horreur,
notamment parce que son pouvoir de séduction est authentique
: costumes, chorégraphies et paysages contribuent à un
effet de pittoresque saisissant qui crée une cruelle dissonance
avec la barbarie des actes à venir.
Se laissant happer par la logique de cette communauté, le spectateur
devient en quelque sorte complice du rituel meurtrier commit devant
lui - dans la mesure où il a au préalable adhéré
au discours de Lord Summerisle et de ses disciples. The Wicker Man,
sournoisement, désamorce les repères moraux qui régulent
traditionnellement le cinéma d'horreur; en faisant de leur représentant
de l'ordre et de la foi un être si peu attrayant, puis en faisant
de leur secte « déviante » l'objet d'un certain romantisme,
Hardy et Shaffer inversent dans une certaine mesure les rôles
incombant généralement aux forces en place. Mais la conclusion,
dans toute sa magnifique démence, nie plutôt l'existence
d'une opposition entre le bien et le mal en unissant au bout du compte
christianisme et paganisme: superstitions ritualisées, éloignant
l'homme de la raison, les deux croyances ne sont que deux incarnations
d'une même faiblesse humaine. Film d'horreur à caractère
social, The Wicker Man fonctionne encore aujourd'hui parce
que l'impact de son discours ne repose sur aucun effet visuel; seul
compte l'implacable lucidité de son exposé, la férocité
de sa critique des religions organisées, la terrifiante réalité
de cette atrocité rendue acceptable par la mécanique du
consensus. Ancré dans l'esprit d'une époque, le film n'en
demeure pas moins intemporel - parce que le dérèglement
de masse qu'il dépeint sous un jour si insidieusement sympathique
peut resurgir à tout moment, d'une manière ou d'une autre.
The Wicker Man terrifie parce que, pour un moment, nous avons
participé à l'horreur.
Si le film a si bien vieilli, c'est aussi parce que sa facture esthétique
naturaliste (aucune scène n'a été tournée
en studio) en fait un objet cinématographique plutôt particulier
dans le canon encore très plastique du cinéma d'horreur
anglais. Le réalisme des images, qui frôlent parfois le
document ethnographique fabriqué, amarre un sujet potentiellement
fantastique à un univers très concret. Ancrée dans
une véracité que décuple son étroite relation
avec l'époque de sa production, The Wicker Man crée
la terreur par des moyens essentiellement intellectuels; mais c'est
aussi, et surtout, une oeuvre qui ne se cantonne pas au registre limité
du « film d'horreur ». C'est une fiction festive, multipliant
les mots d'esprits et les clins d'oeil coquins (la sexualité
y est représentée de manière résolument
positive) où les acteurs s'en donnent à coeur joie (Christopher
Lee, tout particulièrement, semble prendre un malin plaisir à
danser, chanter et livrer ses répliques) pour que le passé
reprenne vie et que les coutumes ancestrales soient ressuscitées
devant notre regard complice. Dans l'espace que leur offre le cinéma,
celles-ci perdent leur caractère suranné de vulgaire manifestation
folklorique pour redevenir énergie primaire - réinvesties
comme elles le sont d'une telle valeur cathartique viscérale.
Mais, avec une gravité qui surprend, The Wicker Man
met en garde contre le genre d'emportements qu'il provoque momentanément;
les religions inspirent le fanatisme alors que l'univers, lui, semble
rester indifférent aux cris des dévots et aux prières
des pieux qui résonnent en vain dans le vaste ciel jusqu'à
ce qu'elles s'éteignent indéfiniment.
Version française :
Le Dieu d'osier
Scénario :
Anthony Shaffer, David Pinner (roman)
Distribution :
Edward Woodward, Christopher Lee, Diane Cilento,
Ingrid Pitt
Durée :
100 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
10 Février 2010