MARTYRS (2008)
Pascal Laugier
Par Jean-François Vandeuren
Depuis déjà quelques années, le cinéma d’horreur
est marqué par la résurgence d’un sous-genre dont
les principales aspirations ont toujours tourné autour de l’exploitation
et de la surexposition de la souffrance humaine. On pense entre autre
au doublé Hostel
de l’Américain Eli Roth qui soumettait de pauvres touristes
sans défense à une série de supplices physiques
pour le moins abominables dans le but d’assouvir les pulsions
perverses de riches occidentaux, voire des spectateurs en général.
Pendant un temps, il n’était plus nécessairement
question de tension ou d’ambiance, mais bien de savoir qui soumettrait
son auditoire à la démonstration de violence la plus malsaine
et la plus réaliste qui soit. C’est ici qu’entre
en ligne de compte le fameux Martyrs du Français Pascal
Laugier, déjà fort d’une controverse monstre dans
son pays d’origine où son visionnement fut initialement
interdit au moins de 18 ans - chose qui ne s’était pas
vue depuis des lustres pour un long-métrage destiné à
un aussi large public. Le film retrace au départ l’histoire
de Lucie, une fillette que les autorités retrouvèrent
dans un état lamentable après avoir été
séquestrée et battue dans une pièce sombre d’une
usine désaffectée au début des années 70.
Quinze ans plus tard, nous nous retrouvons dans la salle à manger
d’une luxueuse maison de campagne où déjeunent dans
la joie et l’allégresse les membres d’une famille
en apparence tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Hantée
par les démons du passé, Lucie fait son entrée
dans la demeure, un fusil de chasse à la main, accusant les parents
d’être les responsables du calvaire qu’elle a vécu.
Arrive ensuite Anna (une jeune femme avec qui elle se lia d’amitié
au centre où elle fut recueillie), visiblement sous le choc devant
les actes insensés perpétrés par sa consoeur. Y
aurait-il eu erreur sur la personne?
Évidemment, Laugier aurait pu facilement se contenter d’étirer
la sauce - comme ce fut si souvent le cas par le passé - en entretenant
le mystère entourant cette simple interrogation jusqu’à
la toute dernière séquence du film. Mais à l’opposée,
le cinéaste balayera presque instantanément cette histoire
de vengeance du revers de la main pour relancer son scénario
dans une toute autre direction. Un stratagème que ce dernier
répétera continuellement afin de délimiter clairement
chacun des trois actes de son récit et de structurer l’ensemble
à l’image d’une boucle - qu'il refermera d’une
manière particulièrement audacieuse, et surtout profondément
dérangeante. C’est d’ailleurs la grande capacité
d’adaptation du réalisateur français qui retient
principalement l’attention dans ce cas-ci. Une aptitude de moins
en moins répandue chez les artisans de ce type de cinéma
qui permettra non seulement à Laugier de réinventer son
intrigue et de brouiller les pistes quant à son éventuelle
résolution, mais également de fondre un assez vaste éventail
de sous-genres en un tout cohérent et extrêmement homogène.
Le présent effort passera ainsi de l’invasion de domicile
au film d’exploitation pur et dur tout en se permettant de prendre
momentanément les traits d’une histoire de fantôme
à la japonaise afin de matérialiser le fort sentiment
de culpabilité de l’une de ses deux protagonistes. Il faut
dire que la plus belle réussite de Martyrs réside
justement dans le fait que même si le résultat final se
veut d’un sadisme et d’une cruauté rarement égalés,
l’expérience n’est jamais motivée que par
des ambitions simplement spectaculaires ou stylistiques. Dans un domaine
où la recherche de l’image choc s’effectue bien souvent
au détriment d’un scénario complet et bien ficelé,
Martyrs s’impose comme l’une des trop rares productions
a avoir été pensées et réalisées
avec suffisamment de sérieux et de suite dans les idées.
Le film de Pascal Laugier n’a donc pas pour objectif que de capitaliser
bêtement sur le côté pervers et profondément
amoral des événements sordides dont il fait état.
Le cinéaste français se démarque d’ailleurs
de bon nombre de ses contemporains à ce niveau en ne cherchant
pas à choquer le spectateur que par le biais de l’image,
mais en s’assurant aussi d’impliquer fortement celui-ci
sur le plan émotionnel. Un processus d’identification qui
lui permettra à la fois de fortifier son intrigue sur le plan
dramatique et de décupler la force de frappe déjà
ahurissante d’un dernier tiers corrosif au cours duquel il nous
plongera dans l’inconfort le plus total. À l’opposée
des multiples volets de la série Saw,
la particularité première de Martyrs se situe
justement dans le fait que tout a été mis en oeuvre ici
pour que le sort des deux protagonistes finisse par nous importer alors
que l’amas de violence auquel elles seront constamment confrontées
ne sera jamais justifié par une quelconque forme de transgression
morale ou éthique. Laugier rendra d’ailleurs ses deux «
héroïnes » de plus en plus vulnérables à
mesure que progressera le récit alors qu’il broiera tour
à tour chacun de leurs mécanismes de défense. La
caméra nerveuse du réalisateur ainsi que son recours constant
au gros plan lui permettront du coup de maintenir une proximité
entre le spectateur et les personnages en plus d’approfondir les
forts sentiments d’isolement, de solitude et de désespoir
sur lesquels repose la totalité de son long-métrage. Un
tour de force visuel et sonore aussi improbable que foudroyant qui sera
superbement complété par un travail colossal, et surtout
effrayant de réalisme, au niveau du maquillage et des effets
spéciaux de même que par la sombre et glaciale direction
photo de Stéphane Martin et Nathalie Moliavko-Visotzky.
Si le cinéma d’horreur français ressembla bien souvent
à une suite d’essais et d’erreurs au cours des dernières
années, il aura finalement atteint la consécration en
offrant au genre deux de ses oeuvres les plus significatives de la présente
décennie. Pascal Laugier orchestra en ce sens un voyage au bout
de la souffrance face auquel il est tout simplement impossible de rester
insensible. À l’instar du tout aussi percutant, et surtout
beaucoup plus sanglant, À l’intérieur d’Alexandre
Bustillo et Julien Maury, Martyrs se veut un film vicieux qui
ose énormément. Parfois même trop, d’ailleurs.
Le cinéaste aurait évidemment pu se heurter à plusieurs
obstacles de taille durant l’élaboration de son projet.
Heureusement, ce dernier aura su garder la tête froide et faire
de cette troublante descente aux enfers une franche réussite
en ne lésinant jamais sur les efforts, et ce, à tous les
niveaux de sa production. Outre sa mise en image tout ce qu’il
y a de plus inspirée, Martyrs s’impose grâce
à l’impact viscéral de son scénario en constante
mutation et aux performances absolument sidérantes de Morjana
Alaoui et Mylène Jampanoï. La grande efficacité de
cette expérience psychologique et sensorielle s’explique
également par la manière extrêmement réfléchie
dont le Français bâtit son intrigue de façon à
la rendre toujours plus imprévisible et transcendante, allant
jusqu’à ouvrir la porte à une forme de mysticisme
dont les finalités se révéleront aussi grotesques
que terrifiantes. À l’image d’un film comme The
Exorcist - qu'il rejoint d’ailleurs à plusieurs égards,
Martyrs aura su tirer son épingle du jeu en s’intéressant
à des peurs et des questionnements qui stimuleront vraisemblablement
toujours l’imaginaire collectif mondial. Il ne serait d’ailleurs
pas surprenant de voir le film de Pascal Laugier acquérir la
même notoriété et soulever les passions comme avait
pu le faire celui de William Friedkin il y a maintenant plus de trente-cinq
ans.
Version française : -
Scénario :
Pascal Laugier
Distribution :
Morjana Alaoui, Mylène Jampanoï, Catherine
Bégin, Robert Toupin
Durée :
97 minutes
Origine :
France, Québec
Publiée le :
30 Janvier 2009