HOSTEL (2005)
Eli Roth
Par Louis Filiatrault
J'ai aimé Hostel.
...
Laissez-moi reprendre.
J'ai bien aimé Hostel. Je suis un spécimen mâle,
hétérosexuel, élevé en Amérique,
et j'éprouve donc parfois des besoins que je n'arrive pas vraiment
à comprendre, quand je m'arrête un instant pour y penser.
Il me vient parfois l'envie irrépressible de regarder de la violence
brutale ou du sexe entre hommes et femmes. Je recours donc à
des moyens drastiques, comme à un énième visionnement
des meilleures séquences de Hard Boiled, ou tout simplement
d'un bon vieux film pornographique. Car je déteste qu'un film
se voulant « de simple divertissement » (et non «
d'auteur ») me présente ces vices dans un écrin
« soft » envisagé néanmoins comme «
provocateur » au sein d'un ensemble prude ; je préfère
dans ces cas m'abstenir, et regarder Singin' in the Rain ou
Beauty and the Beast à la place. Mais je suis toujours
heureux de rencontrer un film qui joue franc-jeu avec moi et insère
exactement ce qu'il sait que je veux voir dans une trame qui parvient
de surcroît à me captiver, moi qui aime aussi me faire
raconter des histoires. Hostel est un authentique thriller
de série B à l'esprit fermement ancré en 1976,
une réalisation modeste mais efficace au récit comportant
juste assez d'éléments exotiques et tordus pour me procurer
une bonne heure et demie d'évasion bien grasse.
Les jeunes Américains Josh et Paxton, accompagnés d'un
camarade rencontré en Islande, font la tournée de l'Europe
à la recherche de plaisir: c'est-à-dire de femmes et de
drogues, car il n'y a que ça de vrai dans la vie. Au cours d'un
séjour particulièrement dépravé à
Amsterdam, un individu un peu louche recommande aux trois vagabonds
une auberge de Slovaquie qui ne leur offrirait que mieux et plus de
ce qu'ils veulent. Enthousiaste, la bande prend la route de l'Est et
s'y paie du bon temps auprès de chaudes slaves... avant que les
choses ne tournent au vinaigre. La disparition de l'Islandais mène
à celle du tendre Josh, et le fier Paxton se retrouve seul et
vulnérable en ce territoire hostile qu'est l'Europe, tentant
de percer le mystère planant sur la dangereuse auberge. Il ne
trouvera bien sûr que pétrin et souffrance dont il s'extirpera
avec peine.
Hostel est un film à longues préliminaires, mais
d'une honnêteté déconcertante. Dès le premier
plan, agrémenté de hard metal bien masculin, il lève
le rideau sur la quête hédoniste qu'il nous fera partager
une bonne demi-heure («Amsterdam, motherfucker!», s'exclame
Paxton). La subtilité n'est pas à l'ordre du jour: les
femmes, nombreuses, sont dénudées la moitié du
temps, et le mot « gay » est assez souvent employé
de façon péjorative pour mettre en évidence un
certain parti pris hétéro (je laisserai les homosexuels
juger les dits propos comme offensants ou non). Dès ses premiers
instants, par un générique génial, Hostel
s'affiche comme l'antithèse ultime du film pour intellectuels,
un exercice parfaitement soutenu de mauvais goût et de contestation
juvénile qui, pour le meilleur et pour le pire, le rend quelque
peu sympathique jusque dans ses nombreux relâchements de rythme.
Contrairement à une série comme Saw, il ne s'invente
pas d'effets de style lourdauds pour soutenir une approche intéressante
mais déficiente ; leurrant le spectateur pour exactement la même
raison, il s'appuie sur un traitement sans artifices et s'exerce avec
une sorte d'ironie amusée. Le « trip » des
protagonistes est bien trop beau pour être vrai, et se doit nécessairement
d'être fatal.
Douloureusement.
Si bien que les fameuses scènes de torture, d'un nombre assez
limité (trois) pour éviter la redondance et leur assurer
une place dans la mémoire, deviennent des épisodes de
plaisirs contradictoires, faisant alterner l'identification de victime
à bourreau d'une manière plutôt dérangeante.
Eli Roth déploie un savoir-faire horrifique assez admirable dans
ces morceaux de mise en scène, employant une variété
de judicieux trucs de montage et de cadrage. La violence est corrosive,
mais l'absence de « nervosité » à la réalisation
procure un caractère stoïque et rigoureux à sa démonstration
(ce qui contribue bien sûr à l'« immobilisation »
du spectateur, en accord avec celle du protagoniste, et bla-bla-bla).
Assurément, quand il choisit de l'être, Hostel
est capable d'être un « bon » film d'horreur aux effets
grotesques et ridicules, appuyé par une trame sonore «
cheesy » à souhait. Cela ne devrait-il pas suffire?
Apparemment que non. Hostel surprend en parvenant à
entretenir convenablement, presque entièrement par l'image, un
suspense classique, franchement efficace à défaut de vouloir
dire quoi que ce soit, au cours de son dernier tiers, passant par les
étapes de l'évasion et de la poursuite. Une intrigante
scène de dialogue, où un bourreau débutant s'interroge
sur la manière la plus jouissive de tuer, vient soulever quelques
questions sans vraiment rien approfondir. Quant à la finale,
gratuite et d'une violence inouïe, elle vient confirmer tout le
mal que l'on puisse dire du film. Dégoûtant, vicieux, misogyne
et raciste en surface, Hostel est un film aux allures profondément
méprisables qu'aucun spectateur rationnel ne devrait pouvoir
apprécier. Une photo fade et des acteurs « corrects »
n'en font pas non plus un objet d'une grande force esthétique.
Et pourtant, il y a quelque chose de diaboliquement séduisant
dans ses conclusions: tout le monde en prend pour son rhume et meurt,
d'une façon atroce, à l'exception des enfants et d'un
héros seul et mutilé qui ne représente aucun idéal.
Roth épouse la philosophie adolescente de son producteur Tarantino
en ne croyant d'abord pas au renouvellement profond du film de genre,
puis en s'y adonnant avec un plaisir subversif des plus contagieux.
Imparfait, répulsif, stupide, Hostel est de toute évidence
le meilleur film de la décennie.
Version française :
L'Auberge
Scénario :
Eli Roth
Distribution :
Jay Hernandez, Derek Richardson, Eythor Gudjonsson,
Jennifer Lim
Durée :
94 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Décembre 2007