DRACULA A.D. 1972 (1972)
Alan Gibson
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Première partie du dossier : Le
Cinéma d'horreur britannique I
Même les plus éternels classiques doivent de temps à
autre être remis au goût du jour s'ils désirent survivre
aux impératifs intransigeants du tout-puissant box-office. Il
en va de même pour le vampire qui, bien qu'il soit immortel, reçoit
tel un pieu dans le coeur l'annonce de résultats commerciaux
décevants. Commandé par la Warner, alors désireuse
de capitaliser sur le succès du Count Yorga, Vampire
de 1970, Dracula A.D. 1972 tente d'injecter un peu de sang
neuf à la plus populaire des franchises de la Hammer. Propulsant
le célèbre personnage (toujours interprété
par l'inimitable Christopher Lee) du 19e au 20e siècle, où
l'attend une ville de Londres swinging et psychédélique
à souhait, le septième épisode de la série
espère réussir là où deux ans plus tôt
le peu convaincant Scars of Dracula de Roy Ward Baker avait
échoué: adapter la formule préconisée par
le mythique studio anglais depuis 1958 aux attentes d'une jeunesse qui,
en couronnant Bonnie and Clyde en 1967 puis The Wild Bunch
en 1969, avait confirmé un véritable schisme séparant
la nouvelle génération de l'ancienne ainsi que l'avènement
d'une ère plus permissive pour le cinéma de masse. Alors
que Scars tentait de séduire ce public en haussant d'un
cran le niveau de violence et de sexualité déployé
à l'écran, Dracula A.D. 1972 cherche plutôt
à s'approprier le style et les moeurs de son époque dans
l'espoir que les jeunes spectateurs se reconnaissent et réinvestissent
les salles qu'ils avaient désertées. Tout sera donc mis
en oeuvre pour dynamiser de manière ludique l'esthétique
gothique un brin vétuste qui avait défini jusqu'alors
la signature de la Hammer.
Évidemment, les jeunes flairant l'arnaque ne se laisseront pas
charmer par cette cure de jouvence un brin forcée et Dracula
A.D. 1972 sera un échec tant commercial que critique malgré
son exécution fort satisfaisante. Force est d'admettre, en rétrospective,
que l'entreprise n'est pas complètement décalée
par rapport à l'esprit de l'époque, le satanisme étant
alors en vogue dans les cercles underground - et plus particulièrement
dans ceux qui sont associés à l'univers encore volatile
du rock 'n roll. Tandis que sont dépoussiérés les
écrits de l'occultiste Aleister Crowley, le cinéaste américain
Kenneth Anger côtoie Mick Jagger des Rolling Stones qui compose
en 1969 la trame sonore d'Invocation of My Demon Brother ;
les groupes folk britanniques cultivent pour leur part une certaine
filiation spirituelle au paganisme qu'explorera avec un flair indéniable
The Wicker Man en 1973. Mais tandis que le classique de Robin
Hardy embrasse les idées et les valeurs de la contre-culture
de manière provocante, le film d'Alan Gibson (un transfuge de
la télévision britannique) se contente de remanier sur
le plan de la forme les bonnes vieilles conventions associées
au vampirisme sans trop altérer le fond assez conservateur du
mythe - et retouche la prémisse du sous-estimé Taste
the Blood of Dracula (1970) pour que ses vieux bourgeois blasés
deviennent des adolescents insouciants. Autre inversion notable : dans
le film de Peter Sasdy, c'était la jeunesse qui, par son courage
et sa pureté, triomphait sur la menace que constituait le vampirisme.
Ici c'est la sagesse et l'expérience du professeur Van Helsing
qui viennent à bout du sinistre comte et de son suppôt
de service, un dandy fort subtilement dénommé Johnny Alucard.
Douze ans après The Brides of Dracula, l'excellent Peter
Cushing renoue enfin avec le rôle du redoutable chasseur de vampires
qu'il avait délaissé pour se concentrer sur le personnage
de Victor Frankenstein. Ne serait-ce que pour cette raison, Dracula
A.D. 1972 possède un attrait culte immédiat et se
distingue avantageusement des quatre volets précédents
de la série. Tandis que Christopher Lee est relégué
à quelques scènes presque muettes, c'est Cushing qui vole
la vedette et domine l'écran - conférant à cette
production une bonne part de son indéniable élégance.
Parfaite incarnation de la droiture morale, le Van Helsing de l'acteur
symbolise une sorte d'anachronisme noble qui correspond en quelque sorte
au classicisme efficace que met de l'avant la Hammer. Cushing, l'une
des figures emblématiques de la maison, ancre cette mise à
jour dans la tradition alors que Scars of Dracula, bien maladroitement,
cherchait à tout prix à s'en détacher. Contrairement
à ce qu'en dirent les critiques de l'époque, ce Dracula
revu et corrigé possède donc bel et bien « l'esprit
» caractéristique des films de la vénérable
firme - tout en se délestant de certaines habitudes qui étaient
devenues au fil des innombrables suites des tics. À défaut
de faire preuve de beaucoup d'originalité, Alan Gibson et son
équipe livrent pour leur part un solide produit se démarquant
dans un premier temps par sa finition technique racée. Les cadrages
fréquemment inventifs et la photographie, particulièrement
inspirée, confèrent au film une esthétique nerveuse
à souhait que vient rehausser une trame sonore délicieusement
tendancieuse, Mike Vickers de la formation Manfred Mann subtilisant
l'essentiel de ses idées musicales à la mode en plein
essor de la blaxploitation.
Le temps, c'est étonnant, a été plutôt clément
à l'égard de ce film qui, pourtant, par tous les moyens
mis à sa disposition, tentait si désespérément
à l'époque d'être de son époque. Peut-être
est-ce ce caractère totalement assumé qui fait de Dracula
A.D. 1972 un artefact si plaisant, ou encore la multiplication
de détails « contemporains » sympathiques qui lui
confèrent son petit cachet particulier : nos aspirants satanistes,
après tout, font jouer - choix judicieux s'il en est un - la
pièce Black Mass: An Electric Storm In Hell des pionniers
de la musique électronique expérimentale White Noise pour
accompagner leur rituel démoniaque et fréquentent un établissement
que n'auraient pas renié Alex et sa bande dans A Clockwork
Orange, l'acteur Christopher Neame arborant pour sa part une ressemblance
plus que passagère à Malcolm McDowell. Peut-être,
plus simplement, est-ce le fait que le film de Gibson constitue en son
genre une honnête réussite - une opération commerciale
rondement menée qui n'aurait pas eu le succès escompté
tout bonnement parce que la conjoncture culturelle ne s'y prêtait
pas. Chose certaine, il ne mérite pas cette réputation
de maillon faible de la série des Dracula qui lui colle
à la peau depuis sa sortie - et s'avère dans les faits
l'un des films les plus distrayants à porter le sceau de la Hammer,
à défaut d'égaler en termes de qualité les
meilleures réalisations de Terence Fischer qui datent déjà
de la fin des années 50 et du début des années
60. Déjà dépassé en 1972, époque
où le cinéma d'horreur gagnait tant en sophistication
qu'en brutalité, Dracula 73 (comme il fût baptisé
un an plus tard à l'occasion de sa distribution en France) est
peut-être meilleur maintenant qu'il est objet du passé
- chose qu'il est au fond depuis sa conception.
Version française : -
Scénario :
Don Houghton
Distribution :
Christopher Lee, Peter Cushing, Stephanie Beacham,
Christopher Neame
Durée :
96 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
10 Février 2010