CAPTAIN KRONOS: VAMPIRE HUNTER (1974)
Brian Clemens
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Troisième partie du dossier : Le
Cinéma d'horreur britannique I
Signe d'épuisement créatif aux yeux de plusieurs, l'obsession
de renouvellement à laquelle carbure la Hammer durant les années
70 produira tout de même quelques-unes des perles les plus divertissantes
de son vaste répertoire. Moins iconiques, certes, les dernières
années d'activité de la célèbre maison de
production anglaise sont marquées par une série d'essais
incongrus comme The Legend of the 7 Golden Vampires (1974),
croisement entre le vampirisme et le kung fu réalisé en
collaboration avec les non moins légendaires studios Shaw de
Hong Kong. Il n'est plus suffisant de brasser les ingrédients
un brin, il faut repenser la recette de A à Z; et, en 1973, Christopher
Lee scelle le destin de la franchise des Dracula lorsqu'il
quitte le navire suite au tournage de The Satanic Rites of Dracula
- un film qu'il considère si foncièrement mauvais qu'il
n'hésite pas à le ridiculiser au cours des entrevues promotionnelles
précédant sa sortie en salles. C'est alors à Brian
Clemens, mieux connu pour son travail sur les séries télé
The Avengers et The Professionals, que l'on confiera
la tâche d'imaginer un nouveau héros ; s'inspirant de la
bande dessinée et des serials des années 30 et 40, le
scénariste déjà responsable du Dr. Jekyll and
Sister Hyde (1971) de Roy Ward Baker concocte une sorte de Van
Helsing blond et athlétique rompu au maniement du sabre et versé
dans l'art de la séduction : un personnage moins cérébral,
mais plus tourmenté (dont le passé aurait donc pu, éventuellement,
être exploré dans les épisodes subséquents),
que le gentleman anglais plutôt sobre interprété
par Peter Cushing.
Ainsi se résume la genèse de Captain Kronos: Vampire
Hunter, film initial d'une hypothétique série qui
ne connaîtra jamais de prolongement - estropiée par les
piètres résultats au box-office de cette première
mouture, annonçant plutôt qu'un jour nouveau le déclin
de la Hammer. Même en quittant le strict carcan du cinéma
d'horreur, celle-ci n'arrivera pas à rajeunir son image contrairement
à cette autre institution britannique - la saga des James
Bond - qui grâce aux mêmes stratégies (hybridation,
allègement du ton) sera catapultée vers de nouveaux sommets
de succès commercial jusqu'au Moonraker de 1979. Tandis
que quelques films plus tard, la Hammer se tourne une bonne fois pour
toute vers le médium autrement moins prestigieux de la télévision,
le clan Broccoli a quant à lui trouvé le moyen de faire
survivre son lucratif agent secret aux fluctuations les plus diverses
dans les intérêts du grand public. En 1974, la Amicus obtient
un succès-surprise avec The Land That Time Forgot -
un film d'aventure à saveur préhistorique dans la lignée
des One Million Years B.C. (1966) et Creatures The World
Forgot (1971) de la Hammer. Mais le créneau du cinéma
d'horreur britannique pur et dur, tel que pratiqué dans les années
60, semble quant à lui bel et bien épuisé.
En somme, le film de Brian Clemens fait état de cette crise :
ses personnages se promènent dans des cimetières dont
les croix délabrées évoquent autant la mort d'un
genre que l'épuisement de la symbolique religieuse habituellement
rattachée au vampirisme. D'emblée, le film nous apprend
que la protection conférée par le crucifix à son
porteur est relative - et que nos chasseurs de vampires doivent découvrir
pour chaque souche (car les espèces sont multiples) l'arme qui
sera efficace. Les créatures nous intéressant ici ne se
contentent pas de sucer le sang de leurs victimes ; elles se nourrissent
de la jeunesse même de leurs proies. Ce sont des vampires impurs
au coeur d'un film hybride, se permettant plusieurs entorses à
une mythologie bien définie dans l'espoir de la sortir d'un cul-de-sac
créatif. Captain Kronos: Vampire Hunter, en ce sens,
est une production autrement plus ambitieuse que Dracula A.D. 1972
- qui se contentait d'offrir une simple transposition de codes et de
conventions préétablis à un contexte contemporain.
Clemens, de toute évidence, écrit ce film dans le but
de remettre les compteurs à zéro - espérant que
cette approche originale saura revitaliser le genre. Mais son audace,
subtilement, se fait aussi ressentir au niveau de la forme.
Éloge du mélange, des genres entrecroisés, Captain
Kronos trafique la trame gothique du film de vampires traditionnel
à l'aide d'éléments empruntés à gauche
et à droite dans le spectre des styles: refus de révéler
d'emblée l'identité de son criminel surnaturel, stratégie
repiquée au modèle narratif du whodunnit, cadrages
et montage de certaines séquences évoquant directement
le western spaghetti, personnage principal tout droit sorti d'un récit
de capes et d'épées… La première force du
travail de Brian Clemens est de structurer ces morceaux disparates en
un tout cohérent et parfaitement naturel, qui n'a jamais les
allures de bricolage précaire que lui promettait sa nature éminemment
amalgamée. Au lieu d'aboutir à un croisement maladroit
et peu homogène d'idées incompatibles, Clemens élabore
une recette gagnante riche en ramifications potentielles - comme si,
à la manière d'une série télévisée
bien ficelée, cette introduction servait surtout à nous
mettre l'eau à la bouche pour les aventures à venir. D'autre
part, ses racines à titre de producteur dans le milieu télévisuel
l'ont habitué à travailler avec des moyens restreints;
et si certains décors pour le moins sommaires trahissent le maigre
budget de ce long-métrage, la facture globale demeure plus que
convaincante.
Mais, évidemment, c'est le charisme des protagonistes qui assure
la réussite (ou condamne au contraire à l'échec)
d'une production du genre. Et, à cet égard, force est
d'admettre que le héros qu'incarne Horst Janson a non seulement
la tête de l'emploi mais l'autorité nécessaire pour
dominer l'écran: son Kronos fume des cigarettes « herbacées
», dégaine le sabre plus vite que son ombre et charme en
deux temps trois mouvements la ravissante Caroline Munro (déjà
aperçue dans Dracula A.D. 1972) qui incarne avec un
panache certain son personnage autrement plutôt sommaire de gitane.
Quant à son acolyte le professeur Hieronymus Grost (John Cater),
il est à Kronos ce que Watson est à Sherlock Holmes; et
c'est avec amertume que l'on observe leurs silhouettes déjà
caractéristiques s'éloigner à l'horizon du générique,
l'image typique promettant des péripéties futures dont
les lois du marché empêchèrent la mise en chantier.
L'insuccès de Captain Kronos: Vampire Hunter annonce
la fin d'un règne. Mais s'il s'agit d'un chant du cygne pour
la Hammer, condamnant une bonne fois pour toute la firme au registre
sous-terrain du cinéma culte, on ne peut s'empêcher de
penser qu'il s'agit d'une belle manière de dire adieu au mythe
du vampire qui, durant toutes ses années, a assuré sa
renommée. Et qui, au cours des décennies à suivre,
garantira sa pérennité.
Version française : -
Scénario :
Brian Clemens
Distribution :
Horst Janson, John Carson, Shane Briant, Caroline
Munro
Durée :
91 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
10 Février 2010