DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Silver Linings Playbook (2012)
David O. Russell

Excelsior

Par Jean-François Vandeuren
David O. Russell aura eu son premier contact avec The Silver Linings Playbook, premier roman de l’auteur américain Matthew Quick, bien avant que ne se termine la production de The Fighter. Nous réalisons d’ailleurs assez rapidement à quel point les deux longs métrages - l'un basé sur une histoire vraie, l’autre sur une oeuvre de fiction - auront fini par se lancer la balle, et ce, autant sur le plan de la facture visuelle que des thèmes abordés et de l’univers mis en scène. Il est ainsi question dans les deux cas d’un homme dont l’essence et le potentiel auront toujours été sous-évalués cherchant à prouver sa valeur à ses proches tout comme au monde extérieur. Le personnage de Pat Solitano (Bradley Cooper), comme celui qu’interprétait Mark Wahlberg dans l’opus de 2010, évolue également dans l’ombre d’un frère dont les accomplissements seront abondamment soulignés, mais qui ne saura faire preuve au final d’autant de force de caractère que le principal concerné. Pat sera lui aussi déchiré à un certain moment entre sa famille et une nouvelle amie, Tiffany Maxwell (Jennifer Lawrence), qui, à bien des égards, se révélera être le double féminin du protagoniste, ainsi que sa meilleure chance d’atteindre ses objectifs. Le personnage principal sera d’autant plus appelé à se surpasser - à sa façon - lors d’une compétition dont l’issue déterminera l’avenir de sa famille. Bref, deux récits ayant à la fois tout et rien à voir l’un avec l’autre. Mais ce que David O. Russell aura surtout su réaffirmer avec ses deux derniers projets, c’est sa capacité d’accorder entièrement sa démarche avec les défis et la personnalité des individus dont il traite des combats quotidiens.

Lorsque nous ferons la connaissance du protagoniste, celui-ci sera libéré de l’institut psychiatrique où il aura été interné à la suite d’une dépression nerveuse. Un épisode ayant découlé de la découverte de la liaison qu’entretenait sa femme Nikki avec un autre homme. Au cours de ses huit mois de détention, l’homme sera diagnostiqué bipolaire, trouble dont il aura souffert sans le savoir durant la majeure partie de sa vie. De retour à la maison de ses parents (interprétés par Jacki Weaver et Robert De Niro), Pat sera bien décidé à faire tout ce qui est nécessaire pour ramener sa vie dans le droit chemin et reconquérir l’élue de son coeur. Un plan qui se révélera beaucoup plus difficile à réaliser que prévu en raison de l’ordre de la cour le contraignant à toujours demeurer à une certaine distance de son épouse. À la suite d’un souper imprévu chez un couple d’amis, Pat commencera à fréquenter Tiffany, la soeur de l’hôtesse, qui aura aussi traversé une période particulièrement difficile sur le plan psychologique suite à la mort de son époux. Leur relation débutera lorsque la jeune femme acceptera de jouer les messagères pour Pat en faisant parvenir une lettre à Nikki afin que celle-ci puisse prendre conscience des nombreux progrès effectués par ce dernier. Le tout à la condition qu’il accepte en retour de prendre part à un concours de dance auquel son défunt mari n’avait jamais voulu participer. De son côté, le père de Pat, qui se sera reconverti en bookmaker après avoir perdu son emploi, tentera de passer plus de temps avec son fils, convaincu que sa présence lors des traditionnels matchs de football du dimanche porte chance à son équipe favorite.

Pat et Tiffany sont évidemment les personnages dont la condition sera le plus clairement identifiée, dont les agissements passés auront attiré les regards indiscrets d’étrangers et rendu leurs proches moins confortables qu’auparavant en leur compagnie. Mais ce que le réalisateur de Three Kings mettra de plus en plus en évidence au fil de la progression du récit, c’est à quel point ces deux individus ne sont peut-être pas si différents du monde dans lequel ils cherchent tant bien que mal à évoluer. Un univers où chaque individu a ses tourments, ses manies et ses obsessions, allant d’une partisannerie excessive agrémentée des superstitions les plus ridicules aux états d’âme d’un père de famille se sentant de plus en plus étouffé par les responsabilités de cette dite « vie normale ». La ligne entre les comportements socialement acceptés et ceux automatiquement marginalisés semblera ainsi beaucoup plus prononcée qu’elle l’est en réalité. Tous les personnages tenteront d’ailleurs de tirer avantage les uns des autres sous le couvert de sentiments n’étant pas toujours adéquatement exprimés, entre Tiffany qui imposera des répétitions de dance à Pat dans le but de se rapprocher de ce dernier et un père qui se servira du sport pour se rapprocher d’un fils qu’il aura négligé au fil des ans au profit de celui qui aura montré le plus de signes de stabilité. C’est cette confusion sous-jacente au niveau des intentions qui rend le scénario de David O. Russell d’autant plus humain, présentant des personnages imparfaits, mais foncièrement bienveillants, prêts à jouer gros pour garder allumée cette étincelle de vie qu’ils iront chercher dans les plus petites choses, les plus petits gestes.

Certes, la romance et les déboires familiaux que relève Silver Linings Playbook demeurent en soi des plus convenus, n’échappant pas à un lot de séquences éculées et d’ironies dramatiques semblant de plus en plus indissociables de ce genre de scénarios. Mais si la plume de l’Américain révèle sa grande habileté à rendre plus tangibles des éléments dont on ne parvient généralement pas à extraire toute la vie, c’est néanmoins dans la mise en scène de ce dernier que se situent l’âme comme la pertinence de raconter cette version évidemment plus déjantée d’un récit archiconnu. Une énergie émanant dans un premier temps d’une distribution des plus efficaces menée par deux têtes d’affiche dont la chimie permettra véritablement à la pâte de lever. Le tout tandis que les mouvements de caméra des plus atypiques du cinéaste, pouvant parfois sembler irréfléchis, reflèteront allègrement les impulsions comme les manies incontrôlables des différents personnages. La réalisation de Russell s’impose du coup comme étant parfaitement imparfaite, ne s’en faisant jamais avec la précision des cadres et des déplacements ou la cohérence des raccords, mais dégageant une spontanéité et une vivacité permettant d’élever cette histoire bien au-delà de la qualité plutôt moyenne à laquelle nous a habitués la majorité de ses contemporains. Une approche allant de pair avec l’optimisme si chèrement défendue par Pat, lui qui pètera les plombs devant la triste conclusion d’un roman d’Hemingway. Après une telle scène, une fin heureuse ne pourra évidemment que s’imposer d’elle-même. Mais au-delà de sa nécessité, voire de son inévitabilité, dans un tel scénario, celle-ci se concrétisera sous l’idée simple, mais réconfortante, que chacun mérite de temps à autre de voir ses efforts être récompensées dans cette vie dont les difficultés infinies sont déjà amplement soulignées.
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Critique publiée le 21 novembre 2012.