Quatre années se sont écoulées depuis
Quantum of Solace, période au cours de laquelle l’agent 007 aura été contraint au repos forcé en raison, entre autres, des difficultés financières de la MGM. Il s’agit d’ailleurs du plus long écart entre deux épisodes partageant la même tête d’affiche de l’histoire de la franchise - si nous excluons celui entre les deux derniers opus de l’ère Sean Connery, qui étaient séparés par le trépidant
On Her Majesty’s Secret Service. James Bond sera fort heureusement revenu à temps pour célébrer ses cinquante ans d’aventures cinématographiques. Et le présent
Skyfall a définitivement des airs de retour aux sources, mais aussi de réinvention, allant bien au-delà de ceux adroitement défendus par l’excellent
Casino Royale de
Martin Campbell. Cette longue période de gestation aura visiblement été l’occasion de repenser la formule en questionnant de nouveau sa pertinence dans le cinéma comme dans le monde d’aujourd’hui. Une équipe aussi stellaire qu’inattendue aura d’ailleurs été mise sur pied pour mener le projet à bon port alors que
Sam Mendes (
American Beauty,
Revolutionary Road) aura hérité de la chaise du réalisateur tandis que John Logan (qui aura connu une année de rêve en 2011 après avoir signé les scénarios des excellents
Hugo,
Rango et
Coriolanus) aura pris la relève de Paul Haggis pour épauler les vétérans de la série Neal Purvis et Robert Wade à l’écriture.
Skyfall s’articule ainsi autour d’une sérieuse étude d’un univers dont les bases s’avèrent aussi tangibles que fictives ainsi que des origines et des motivations d’un héros sur lequel on est loin d’avoir tout dit, menant à plusieurs séquences mémorables propulsant la franchise vers des sommets dont elle n’aurait pu que rêver il y a dix ans.
Cela explique que ce vingt-troisième film finisse par adopter un ton immensément plus personnel que ses prédécesseurs et que l’intrigue principale - bien que menée de main de maître - demeure somme toute assez secondaire, ne servant au bout du compte que de fil conducteur à une série d’événements clés affichant une dimension beaucoup plus psychologique et portant autant sur le passé que le présent et l’avenir du protagoniste et de son héritage. Dans l’esprit du
Mission: Impossible de Brian De Palma, nous retrouverons l’agent 007 alors qu’il pourchassera un individu s’étant emparé d’une liste révélant l’identité réelle de la quasi-totalité des agents de l’Otan. La chasse à l’homme tournera toutefois au vinaigre et Bond sera laissé pour mort. Ayant décidé de profité de son statut privilégié de décédé, l’agent secret ressentira néanmoins l’appel du devoir lorsque le MI6 sera la cible d’une attaque terroriste dont le ou les auteurs ont visiblement des comptes à régler avec M (
Judi Dench). C’est cependant un Bond meurtri qui devra reprendre du service pour faire face à l’organisation de Raoul Silva (
Javier Bardem, aussi impeccable que déstabilisant), un ancien agent qui tentera de secouer les fondements de l’allégeance du héros à sa mère patrie et à sa patronne (dont le rôle de figure maternelle aura particulièrement été renforcé depuis le début de l’ère
Daniel Craig). Se retrouvant davantage au centre du récit cette fois-ci, M prendra également les traits d’une dame de fer (la comparaison est voulue), d’un leader prêt à prendre les décisions les plus difficiles pour le plus grand bien commun et qui ne cédera pas sa place aussi facilement. Suivant la logique qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, c’est aux conséquences de ses choix passés que cette dernière sera confrontée, avec à ses côtés un agent, bien conscient du fait qu’il peut lui aussi être sacrifié à tout moment, qui fera tout pour la protéger.
L’association avec un réalisateur de la trempe de Sam Mendes devenait une nécessité pour pareille immersion dans l’univers du héros tel que personnifié - et redéfini - par Daniel Craig. D’un côté, nous retrouvons un acteur au jeu des plus nuancés ayant su continuer de mettre ses talents en valeur dans des productions particulièrement diversifiées, phénomène rarissime chez les interprètes de l’agent 007, qui doivent généralement évoluer durant de longues années avec le poids d’une telle étiquette. De l’autre, nous avons un cinéaste beaucoup plus familier avec la mise en scène d’oeuvres dramatiques dont la vision s’impose autant comme une bouffée d’air frais que l’ultime moyen pour la franchise de revenir à ses racines. Contrairement à
Marc Forster, qui cherchait parfois à dissimuler son manque d’intuition sous les frasques d’un montage hyperactif, Mendes n’aura pas eu peur d’intégrer de longs plans rehaussés de subtils zooms avant lors de séquences d’action comme de grands moments de confrontation. Le Britannique laisse d’ailleurs ici l’une des empreintes artistiques les plus clairement définie de l’histoire de la série, lui qui aura su retravailler la progression de son intrigue type en suivant une cadence beaucoup plus prononcée plutôt que de tenter de nouveau de suivre les pas de course de
Paul Greengrass et de la saga
Jason Bourne. Une patience et une minutie qui mèneront à l’élaboration d’une facture esthétique d’autant plus sublime, notamment lors d’un dernier acte crépusculaire qui passera certainement à l’histoire au cours duquel la remarquable direction photo de Roger Deakins (l’homme derrière les images de la grande majorité des productions des frères Coen) tirera merveilleusement profit de ces teintes on ne peut plus sombres, voire funestes, dont rejailliront les puissantes flammes de la résurrection.
Les couleurs de cet exercice aux accents beaucoup plus dramatiques, tournant presque toujours autour de l’idée de la mort, seront mise en évidence dès le traditionnel générique d’ouverture, présentant une série d’images pour le moins macabres contrastant particulièrement avec celles mettant ordinairement l’emphase sur les jolies courbes de nombreux corps féminins. C’est d’ailleurs ce monde d’hommes s’aventurant parfois aux limites admises du machisme typiques des premiers périples de l’agent secret que Mendes parviendra habilement à mettre en scène tout en se jouant de son essence. Les fameuses « Bond Girls » n’auront ici qu’un temps d’écran assez limité alors que l’intrigue de
Skyfall forcera souvent son protagoniste à agir seul et à se soucier davantage de sa figure maternelle que de ses conquêtes. Le tout tandis que le cinéaste soulignera à gros traits la tension sexuelle que cherchera à installer le fils abandonné entre lui et le prodige lui ayant succédé. Bref, la période d’essais et d’erreurs vient définitivement de prendre fin avec
Skyfall qui, de bien des manières, vient même boucler la boucle de plus de cinquante ans de cinéma. Plusieurs personnages mythiques de l’univers de l’agent 007 effectueront ainsi leur retour, dont l’inimitable Q (défendu avec autant de verve que de retenu par le jeune
Ben Whishaw), tandis que le héros réintégrera des décors dans lesquels il ne s’était pas aventurer depuis de nombreuses années. Mendes aura ainsi relevé avec brio le défi non négligeable de ramener l’un des personnages de fiction les plus célèbres de l’histoire à ses origines tout en renforçant son identité propre face à la nouvelle réalité du XXIe siècle. Alter ego dont Craig est visiblement prêt à repousser de nouveau les limites en lui apportant les nuances nécessaires pour lui permettre de poursuivre adéquatement son évolution entre renouveau et défense des traditions.